Aux plaisirs discrets ~ Quatrième épisode – Monsieur Dumont

J’attendais l’ascenseur, ce petit-déjeuner allait être le quatrième que je prendrais dans cet hôtel. L’ascenseur s’est arrêté, la porte s’est ouverte, un couple était déjà à l’intérieur. J’ai reconnu l’homme, nous nous étions déjà salués d’un hochement de tête à deux reprises dans le petit salon.

Sa compagne semblait pressée de s’en aller. Je les ai laissés à leurs adieux et me suis dirigée vers le petit salon où il n’a pas tardé à me rejoindre. D’un geste, je l’ai invité à partager ma table. Il m’a tendu la main, je me suis présentée.

– Madame Duval

Il a souri.

– Monsieur Dumont

Quand on nous a apporté nos petits-déjeuners, nous discutions déjà à bâtons rompus, comme de vieux amis se retrouvant après s’être perdus de vue durant de longues années. Quand le réceptionniste est venu nous rappeler qu’il était temps de libérer nos chambres, monsieur Dumont connaissait déjà mon infortune et mon désir de croquer la vie à pleines dents « avant qu’elles ne soient toutes tombées », de mon côté, je savais déjà qu’il était empêtré dans une liaison adultère guère satisfaisante.

Nous nous sommes retrouvés dans le hall, nos petits sacs de voyage à la main et nous avons décidé de passer quelques heures ensemble à déambuler tout en papotant gaiement. Il nous a fallu plusieurs petits-déjeuners, que nous nommons malicieusement nos « débriefings post-coïtaux », pris ensemble pour oser nous avouer que la nature de notre relation, une sincère amitié, était née dès cette première rencontre.

J’aime la nature de notre amitié, qui nous permet de dévoiler toutes les facettes qui nous composent, y compris (et surtout) les moins glorieuses. Je pourrais dire qu’il est comme un frère pour moi, cependant je ne confierais jamais à un frère ce qu’il m’arrive de confier à monsieur Dumont et de son côté, monsieur Dumont ne révélerait jamais à sa sœur ce qu’il lui arrive de me révéler !

Il peut me poser certaines questions, sans que je n’y décèle un jugement réprobateur, je peux lui répondre sans qu’il n’y voie une fanfaronnade. Et réciproquement. Notre parole est libre, comme nous nous nous sentons libres de garder le silence dans certaines circonstances, le temps de digérer un bonheur trop intense ou une profonde déception.

Nous ne nous imposons qu’une seule règle, nos salutations. « Bonjour, madame Duval ! » « Bonjour, monsieur Dumont ! », ce protocole respecté, le débriefing peut débuter.

Ce matin, monsieur Dumont semble en retard, à moins qu’il n’ait pas pu venir à son rendez-vous hebdomadaire, à moins que, bouillant d’impatience, je ne sois descendue plus tôt que d’habitude. J’ai déjà presque fini de dévorer mon petit-déjeuner, quand il me rejoint enfin.

– Bonjour, madame Duval !

– Bonjour, monsieur Dumont ! Je me demandais si tu serais là ce matin…

– Tu as l’air toute chose, encore une rencontre qui n’a pas tenu ses promesses, encore un soi-disant Casanova façon lapin précoce ?

– Un peu de romantisme, ça t’arracherait la bouche ? Est-ce que je te demande où tu en es de ta relation avec ton étoile de mer ?

– Veuillez accepter toutes mes excuses, madame Duval, je m’interrogeais sur la raison de cet air dubitatif.

– Le mec m’avait donné rendez-vous au Cristal Bar, tu connais ? Non ? À côté de la Gare de l’Est. Je rentre, je ne sais pas pourquoi, mais je l’ai reconnu tout de suite. Le gars buvait un Picon-bière, tu vois le truc ? Un Picon-bière, quoi ! On se salue, je vais pour commander, il me sort « On va pʼtète y aller, non ? Ou tu veux qu’on se la joue comédie romantique ? »

– Ah oui, quand même… !

– Rigole pas ! On arrive dans la chambre, on n’a pas échangé deux phrases. Il se dessape, en sifflotant. Je me déshabille, sans siffloter.

– Ah ah ! La distinction, ça s’apprend pas !

– Il me roule une pelle, purée, j’aime vraiment pas le goût du Picon-bière et puis avec tout ça, j’ai toujours rien mangé. J’ai presque envie de vomir… J’ai dû avoir un haut-le-cœur, parce qu’il me demande ce qui ne va pas. Je lui réponds que j’ai faim et là…

– Il te propose sa bite en apéritif ?

– T’étais là ou quoi ?!

– Ah ah ! Et après, que s’est-il passé ensuite ?

– Ben… comment te dire ? Je crois que je n’ai jamais autant pris mon pied…

– Non ?! Tu déconnes !

– J’aimerais bien, mais non… C’est comme s’il savait mieux que moi ce que j’aime… putain ! Le panard total !

– Et… ?

– Ben, et… il s’est ressapé, toujours en sifflotant. Et, galant homme il m’a dit « T’es pas du tout mon genre de greluche, mais tu baises comme une belle salope et c’est rare ! Ah ça oui, c’était un vrai plaisir ce rencard. Je te laisse un numéro de téléphone, si tu veux on remet ça quand tu veux. Ça faisait longtemps que j’avais pas pris un panard pareil ! T’es pas mon genre, mais je remettrais bien le couvert ! » Il a jeté un coup d’œil dans son pantalon, a demandé à sa bite ce qu’elle en pensait et, comme si j’avais pu entendre sa réponse, a conclu « Tu vois, même ma bite est partante pour une autre partie de jambes en l’air ! Bon, ben, c’est pas que je m’ennuie, mais je suis attendu chez moi ! Bonne nuit, ma p’tite salope qui porte pas de culotte ! »

– Ah oui, quand même… et il s’appelle comment, ce gentleman ?

– Si je te dis « Titi sept-sept » je perds ton estime ?