Aux plaisirs discrets ~ Cinquième épisode – Sébastien

Cher monsieur Dumont,

C’était la première fois et ce sera la dernière que je suivrai un de tes conseils avisés en la matière ! Avec tout le respect que je te dois.

Je me suis rendue à tes arguments, tu as certainement raison, ma conduite, mes rencontres fortuites ne m’ont jamais apporté d’autres désagréments que la déception, mais je ne suis pas à l’abri de tomber sur un vrai taré qui pourrait m’en occasionner d’autres bien pires.

Alors, quand tu m’as proposé de t’accompagner à « une soirée coquine », j’ai remisé les propos sarcastiques qui me venaient à l’esprit au placard et j’ai laissé Geneviève s’en réjouir à l’avance.

Nous arrivons dans cette « soirée coquine », que je qualifierais plutôt de « foire à la bidoche », ce qui n’est pas le cas de Geneviève. Il y a une quarantaine de convives, à première vue, autant d’hommes que de femmes. Nous nous situons dans la moyenne d’âge supérieure.

Les deux salles sont aménagées pour la circonstance, dans celle où nous dînerons, plusieurs tables réservées aux tête-à-tête, d’autres autour desquelles quatre à six personnes pourront s’asseoir. Dans l’autre salle, un buffet est dressé sur une longue table, ainsi que des verres contenant divers cocktails servis par du personnel en tenue. Je m’en approche et constate la présence d’énormes saladiers remplis de capotes. La prudence est de mise, ce qui a un effet rassurant.

La musique en sourdine n’est pas à mon goût, mais Geneviève s’en accommode fort bien. Il semble y avoir une majorité d’habitués, qui se saluent joyeusement, des couples enlacés dansent lascivement sans tenir compte du rythme des chansons, juste pour le plaisir de se chauffer.

Je t’observe, non sans admiration, évoluer avec aisance dans cet univers, papillonner d’une femme à l’autre, jouer de tes charmes, mais je te soupçonne d’user de cette tactique pour aiguillonner celle que tu convoites réellement, tout en feignant de ne pas l’avoir remarquée, quand un homme s’approche de moi.

– Sébastien, adjoint à la culture d’une ville moyenne dont je préfère taire le nom.

Dans ce cas, pourquoi le précises-tu, ducon ? Je ravale mon compliment assorti du nom d’oiseau qui me brûle les lèvres et laisse les commandes au personnage que je jouerai ce soir.

– Geneviève, votre homologue dans une autre commune, qui restera tout aussi anonyme.

– On pourrait se tutoyer, non ? Tu viens souvent à des soirées coquines ou est-ce l’occasion qui…

– Parce que c’est une soirée coquine ? Je croyais qu’on venait ici à la chasse au partenaire pour une nuit de sexe sans serment, ni promesse, ni conséquences…

Geneviève me met un taquet virtuel, m’ordonne de fermer ma bouche et de la laisser sourire.

 Tu es plutôt directe, toi !

– J’aime que les choses soient claires, ce qui me joue parfois des tours… Pour répondre à ta question, oui, c’est la première soirée du genre à laquelle je participe… subséquemment, je n’en possède pas les codes. Et toi ?

– Je participe parfois à des soirées coquines, mais c’est la première fois à Paris.

– Les charmes de la capitale, pour nous… braves provinciaux…

La soirée se poursuit, comme tu le sais, par le dîner. Tu es attablé tel le pacha dans son harem, Sébastien me propose de partager sa table. Nous entamons la conversation. Ainsi que j’ai décidé de le faire désormais, je raconte mon histoire, subtil mélange entre ma vie réelle et celle de Geneviève, il apprend que je suis séparée de fraîche date, après vingt ans de mariage.

Sébastien sort le grand jeu pour me charmer avec ses mots. Il me flatte et se présente comme un amant soucieux du plaisir de sa partenaire. Geneviève ne relève pas que dans ce genre de situation, il serait stupide de se présenter comme un piètre amant, focalisé sur son unique plaisir. Je ne l’aurais probablement pas relevé non plus.

Et blablabli et blablabla ! Sébastien est certainement un super amant, mais il est en train de me farcir le crâne à me raconter en long, en large et en travers ses exploits sexuels, passés, présents et à venir. Je repense avec un semblant de nostalgie aux mots abrupts de cet homme au Cristal Bar, cet homme qui ne m’inspirait que du mépris et qui, contre toute attente, m’a fait jouir comme aucun autre auparavant. Je décide de laisser la même chance à Sébastien, dont la conversation est intéressante pour peu qu’elle ne verse pas dans le récit de ses prouesses sexuelles.

Peu après le repas, je quitte cette soirée au bras de Sébastien, je t’adresse un petit signe de la main que tu ne remarques pas, tout occupé à ferrer ta proie, la femme que tu feignais d’ignorer jusque lors. Ma perspicacité en la matière me redonne le sourire. C’est donc avec entrain (et en métro) que Sébastien et moi rejoignons l’hôtel.

Sébastien regrette que l’on n’ait pas fait le détour par le sien, il aurait pu y récupérer « quelques jouets susceptibles de pimenter notre nuit de plaisir ». Néanmoins, il se console en m’expliquant que c’eût, peut-être, été trop tôt pour que je puisse en jouir pleinement. Même Geneviève est agacée par cette remarque pleine de condescendance.

En revanche, les baisers de Sébastien ont deux vertus, quand il m’embrasse, il se tait ; de surcroît, il embrasse plutôt bien. Je me dis que j’ai bien fait de lui laisser sa chance. J’aime beaucoup sa façon de me déshabiller, il y met toute la sensualité d’un strip-tease. L’ennui, c’est qu’il se remet à parler.

– Tu vas voir, on va bien s’amuser !

Et patati, et patata… ! Je décide de l’embrasser. Je repense à la soirée, quand il me racontait ses nombreuses conquêtes passées. C’est pour ça qu’il embrasse si bien ! Il jacassait sans cesse et puisqu’il y en a eu autant… À cette pensée, un fou-rire s’empare de moi, j’accuse (une fois encore) la nervosité.

Sébastien me dit de ne pas m’en faire, puis, galant homme, me demande ce dont j’ai envie. Geneviève, menaces à l’appui, me suggère de la boucler s’il me venait l’idée de lui répondre « Que tu te taises, enfin ! » Je me soumets à ses arguments, je la boucle. Elle m’en sait gré. Le sourire que Geneviève affiche se situe exactement entre la lubricité timide et le « plonge, mon chéri, l’eau est bonne ! » Il est parfait en la circonstance. Je ne saurais faire mieux.

Je pense que les choses s’arrêteront là, je veux dire qu’il se contentera de me baiser « à la parlante », mais je me trompe. Non content de jacasser, Sébastien émaille son bavardage de mots d’auteurs, de citations. J’ai l’impression d’assister à un oral de français ou à l’épreuve finale d’un jeu de culture générale sur l’érotisme ! J’imagine ton éclat de rire en lisant ces mots, mais sache que le plaisir que j’aurais pu prendre en a été irrémédiablement gâché.

« Ainsi que le disait Maupassant… » « Comme l’écrivait Apollinaire dans ses merveilleuses Lettres à Lou… » « À ton avis qui a écrit ces mots… ? » Je n’ai qu’une envie, lui répondre « Ta gueule ! Allez, abrège, qu’on en finisse ! » À force, une migraine menace, je fais semblant d’atteindre l’extase, chose que je me suis toujours refusée à faire, juste pour qu’il en finisse.

Après un dernier baiser, je feins de m’endormir repue de plaisir. Satisfait, il s’allonge à mes côtés. Je m’endors pour de bon, mes rêves sont agités. Je me réveille avec la bouche sèche et un mal de crâne pas possible. Je n’ose ouvrir les yeux de peur de le réveiller à son tour et que ses bavardages reprennent avant que le paracétamol ait produit son effet.

De toute façon, il va bien falloir te lever pour prendre ton cachet, ma chère Geneviève ! Geneviève se dit qu’il aurait peut-être mieux valu me laisser faire, hier. Nous ouvrons les yeux, elle et moi, et constatons que Sébastien n’est plus dans la chambre, ni dans la salle d’eau. Soupir de soulagement.

Posé sur son oreiller, un petit mot. « Tu dors encore, épuisée par tout le plaisir que je t’ai offert cette nuit. Si tu veux revivre d’autres nuits d’amour, ce dont je ne doute pas, tu peux me contacter à cette adresse mail. Bisous coquins. Sébastien »

Voilà. Tu sais tout. Tu as l’air bien content de partager ton petit-déjeuner avec ta conquête d’hier soir, elle semble heureuse aussi, ça met un peu de soleil en cette matinée. Je vais glisser le compte-rendu de cette nuit dans une enveloppe que je laisserai à ton attention à la réception. Nous aurons tout le temps d’en reparler plus tard, mais sache, sache, Monsieur Dumont, sache que plus jamais, plus jamais je ne suivrai un de tes conseils et que jamais, plus jamais je ne t’accompagnerai à une de tes « soirées coquines » !

Geneviève Duval