Putain ! J’en peux plus de cette vie de merde ! J’en peux plus de ma condition de poisson ! J’aimerais bien, moi aussi, profiter des rayons du soleil, me goberger sur une feuille de nénuphar, coasser pour attirer les femelles et quand j’aurais un petit creux, tirer une langue à faire pâlir d’envie les adeptes du sexe oral et choper au vol le premier insecte passant dans mon champ visuel… Putain ! Je donnerais dix jours de ma vie pour être une grenouille… !
Au lieu de ça, je ne suis qu’un poisson… un poisson caméléon puisque mes couleurs varient… Je suis un poisson vert quand j’ai peur, un poisson rouge quand je bous de colère, je suis parfois blanc comme un linge, quand j’ai faim, je broie du noir… bref, rien qu’à ma couleur, on peut deviner ce que je ressens…
J’ai une vie de merde, quand j’y pense… tiens, rien que de manger… ces connards de batraciens peuvent bouffer tout ce qui passe à leur portée, mais moi… ! Moi, quand j’ai faim, et que je vois passer devant moi une proie appétissante, j’ai toujours la crainte qu’après l’avoir croquée, je disparaisse comme les autres… ceux qu’on voit s’envoler au-dessus de l’eau et qui ne reviennent jamais…

Mon seul réconfort, c’est le sommeil… fermer les yeux et rêver, rêver de caresses sur mes écailles, rêver de baisers subaquatiques, imaginer des cris de plaisir… imaginer que je suis une grenouille sur une feuille de nénuphar… une grenouille amoureuse… qu’elles me semblent heureuses les grenouilles qui batifolent sous la pluie !
Seulement voilà, les grenouilles amoureuses sont bruyantes… Putain, elles font chier ! J’en peux plus de cette vie de merde… allez, à mon tour de leur pourrir la vie ! Ça ne changera rien à la mienne, mais le malheur d’autrui me réconforte…
On respire un grand coup ! Peut-être cela suffira-t-il à chasser le trac…