Le cahier de Bonne-Maman – Là où il y a des filles amoureuses, il est inutile de verrouiller les portes

 

Ce texte a fait l’objet d’une superbe lecture de CharlieLiveShow, si vous souhaitez vous laisser bercer par la voix et l’accent de chacun des personnages, cliquez sur cette phrase et écoutez…

L’armistice était signé depuis plusieurs mois quand nous pûmes enfin nous retrouver vraiment. Il nous avait fallu attendre la démobilisation, qui s’est faite classe par classe. Nous étions révoltés de cette absurdité supplémentaire. Il n’y avait plus de combats, nos soldats avaient lutté contre la peur, la fatigue, la mort, mais ils devaient encore se soumettre à cet ordre idiot !

L’État-Major n’avait aucune, absolument aucune considération pour ces combattants, pour leur famille, le Toine était « de la 14 » et mon Pierrot « de la 15 », ils avaient réintégré leur régiment, mais nous ne sommes pas allé les voir, à leur demande, parce qu’ils n’auraient pas eu envie de retourner dans leur caserne et ils savaient qu’alors, ils auraient été passibles du peloton d’exécution, pour désertion.

J’ignore si tu sais à quel point ton papé était antimilitariste, mais l’incompétence des généraux, des maréchaux, pendant et après la guerre, a transformé un brave pioupiou en un rebelle à l’ordre, en un anarchiste, dans toute l’acception noble du terme.

Une autre absurdité a conduit à sa démobilisation quelques jours avant celle du Toine. Il a attendu son ami et c’est ensemble qu’ils ont pris le train pour Nice, où nous nous sommes finalement retrouvés. Ils avaient besoin de cette escale avant de reprendre le cours de leur vie civile. Nathalie a reçu le télégramme qui nous donnait rendez-vous « Nicœa civitas fidelissima STOP Nous vous y attendons belles fidèles »

Quand nous descendîmes du train, ils étaient sur le quai, une énorme brassée de mimosas dans les mains. Nous nous faisions bousculer par tous ces voyageurs, par les porteurs encombrés de grosses malles, nous nous faisions bousculer, mais avec bienveillance. Mon Pierrot et le Toine portaient encore leur uniforme.

Je ne pouvais décoller ma bouche de celle de mon Pierrot, il en était de même pour Nathalie avec son Toine. Nous riions, nous pleurions comme on respire et aussitôt après nous nous embrassions encore !

Nathalie et moi découvrions cette ville que nos amoureux tenaient à nous faire visiter. Qu’elle était belle ! Qu’elle nous semblait grande ! Que ses avenues étaient larges !

J’avais apporté de quoi manger, mais le Toine tint à nous faire goûter la focaccia et le clin d’œil qu’il m’adressa en disant « Avec tes provisions, nous n’aurons pas besoin de sortir de la chambre pour le dîner ! » embrasa nos joues et nos corps.

Bien vite, nous quittâmes le front de mer pour aller dans le quartier Saint-Sylvestre, où ils avaient loué deux chambres communicantes. Nous étions fous, un peu naïfs, tellement jeunes ! La logeuse, une petite vieille, était très souriante, très accueillante et joviale, mais je ne compris pas un traître mot de ce qu’elle nous dit.

Quand nous arrivâmes sur le pallier, devant les deux portes closes, Toine m’expliqua qu’elle avait parlé en italien. Ils avaient loué une chambre « pour les demoiselles » et une autre pour eux, elle leur avait expliqué que cette ruse avait fait long feu et qu’ayant connu l’enfer si jeunes, ils avaient gagné le droit à un peu de paradis sur cette terre.

La vie m’a appris que la compréhension, la tolérance se trouvent souvent là où on s’y attend le moins, cette vieille femme en était l’illustration parfaite. Nous avons passé trois jours dans sa petite maison et ces trois jours marquèrent pour nous quatre le retour à la vie, le début du bonheur.

Je redécouvrais le corps de mon Pierrot, qui ne pouvait s’empêcher de caresser, de toucher, d’embrasser le mien. De l’autre côté de la porte, j’entendais le petit rire nerveux et excité de Nathalie.

Je sus quand elle découvrit le corps nu de son Toine. Nous en avions souvent parlé, durant ces longs mois d’attente, je lui avais décrit avec force détails, à quoi elle devait s’attendre, à quoi ressemblait un sexe d’homme, sa taille, ses reliefs, mais son cri de surprise ne laissa aucune place au doute.

Le Toine riait, c’était un sacré farceur et il aimait plaisanter, taquiner. L’entendre rire, les entendre rire nous déconcentrait et, comme un fait exprès, à chaque baiser un peu intime, à chaque caresse un peu curieuse que nous nous prodiguions, répondait un éclat de rire ou une plaisanterie.

Pierrot, amusé, prit sa grosse voix et s’exclama « C’est pas un peu fini, ce boucan ? ! », et avant que j’aie pu le retenir, se précipita vers la porte et l’ouvrit en grand d’un geste théâtral.

Nathalie n’eut pas le temps d’en être surprise que j’arrivais déjà pour la refermer. J’aurais voulu faire les gros yeux, houspiller mon Pierrot, mais nous restâmes figés, comme frappés de catatonie, les yeux du Toine écarquillés, fixant ma toison, les miens tout autant fixant son sexe.

Comment aurais-je pu imaginer de telles proportions ? Je marmonnai « Je ne pouvais pas savoir, Nathalie… » quand lui commenta « Pour de la blondeur, c’est de la blondeur! » Je me retournai vers Pierrot, lui reprochant de ne pas m’avoir parlé de la particularité anatomique de son ami « Parce que tu crois que je la connaissais? ! Tu crois que je l’avais déjà vu bander? ! »

Je m’apprêtai à retourner dans notre chambre quand Nathalie s’exclama « Non ! Reste avec moi ! ». Interloquée, je constatai l’effet de sa supplique sur les sexes de nos hommes. Il me semblait que nous respirions plus fort, que nos cœurs battaient plus vite, à l’unisson. Je ne savais que faire, confuse de ce désir que je sentais monter en moi. J’avais conscience de transgresser toutes les règles morales que l’on m’avait inculquées, mais peu m’en chalait !

Que s’est-il passé dans nos têtes pour que ce soit moi, la plus jeune de cette troupe, moi qui n’avais pas encore fêté mon dix-huitième anniversaire, qui prenne la direction des affaires ? Nous ne nous sommes pas posé la question sur le moment, mais par la suite je me faisais souvent taquiner à ce propos « Nous étions comme les pauvres anglois face à la hardiesse de Guillaume le Conquérant ! »

Je sais bien qu’ils ne voyaient aucun rapport entre mes origines et mon assurance ce jour-là, mais sans un soupçon de mauvaise foi, à quoi bon les taquineries ?

Je m’assis sur le lit, aux côtés de Nathalie, je lui pris la main et de l’autre, invitai Pierrot et le Toine à s’approcher de nous. « Fais comme je fais ! », ne lâchant pas la main de Nathalie, j’attrapai fermement le sexe de Pierrot de mon autre main et entrepris de le sucer comme s’il s’était agi d’un sucre d’orge. Trop surpris de ce que nous leur faisions, Pierrot et le Toine ne laissèrent échapper qu’un seul « OH ! » d’une même voix.

Un peu vicieuse, je regardai Nathalie qui fit de même, nos regards se dirigèrent ensuite vers nos hommes, qui n’en revenaient pas. Eux, d’ordinaire si bavards, si prompts à commenter le moindre détail, étaient muets de surprise. Fières d’avoir pris l’ascendant, nous les léchions avec une avidité, une gourmandise croissantes. Je sentais le corps de Pierrot trembler de plaisir, ses doigts se perdaient dans mes cheveux.

Hmm, comme c’est bon ! 

Nathalie se régalait, nous nous regardions toujours, complices, coquines, taquines et nous commentions à voix haute, conscientes de les troubler davantage.

Alors, tu vois ? Je te l’avais bien dit ! Ça vaut toutes les friandises du monde, non ?

Oh oui ! Il a bon goût, mon Toinou !

Moins que mon Pierrot, j’en suis sûre !

Tu déparles, la Rosalie ! Tiens, goûte !

Avant que quiconque ne comprenne ce qui lui prenait, elle lâcha ma main et offrit le sexe gonflé de son Toinou à ma bouche. Excitée, je le goûtai sous le regard ébahi de nos deux compères.

Alors ?

Il est ben bon, mais je ne saurais dire s’il est meilleur que mon Pierrot… T’en penses quoi ?

Comme elle l’avait fait quelques instants auparavant, je lui offris la verge de mon Pierrot à goûter. Nous passions de l’un à l’autre, leur reprochant de ne pouvoir les départager. « Fadas ! Elles ont tourné fadas ! » furent les premiers mots du Toine, mon Pierrot se contentant de gémir de plaisir.

Je pense que toutes ces craintes accumulées depuis toutes ces années, ces craintes qui disparaissaient comme une digue qui cède ont libéré les flots de nos désirs et, l’excitation s’en mêlant, nous étions grisées. Une ivresse sensuelle s’était réellement emparée de nous. Nous les sucions, nous les léchions, nous les caressions comme si nos vies en dépendaient.

Au plus nous les sentions prêts à défaillir, au plus nous devenions ardentes. Je sentais régulièrement perler sur ma langue, les petites gouttes annonciatrices du plaisir prêt à exploser et je m’amusai de les soumettre à cette douce torture.

Soudain, Pierrot s’exclama « À notre tour, maintenant ! » et d’un même geste, ils nous renversèrent sur le lit. Mes jambes s’enroulèrent autour de son corps, il les écarta un peu pour être plus à son aise.

Je regardais Nathalie « se faire ausculter par le bon docteur Antoine », elle ondulait sous ses doigts, gémissait, le suppliait de la délivrer enfin de ce pucelage qui lui pesait tant. Il me désigna d’un mouvement du menton, en lui demandant « C’est ça que tu veux ? Tu veux que je te fasse ce que Pierrot fait à Rosalie ? »

J’ondulais comme un serpent sous les coups de boutoir de mon amoureux, qui prenait tout son temps, qui me caressait les seins, s’enfonçait un peu plus quand il se penchait pour m’embrasser.

Je croisai le regard de Nathalie et j’y lus la puissance de mon plaisir dans le reflet de ses yeux. « Oh oui, c’est tout ce que je veux ! »

Alors, le Toine la pénétra, avec force et douceur, il goûtait chaque instant de cette défloration et tenait à ce que Nathalie grave ces premières sensations dans sa mémoire, qu’elle s’en souvienne à tout jamais. « Ouvre tes yeux, pitchoune ! Ouvre tes jolis yeux ! »

Le Toine avait beau être taquin, farceur, prompt à la plaisanterie, à la grivoiserie, il fut très délicat, attentif, quand il dépucela sa Nathalie. Elle gémissait de son accent chantant « Oh, fan de diou, comme c’est bon… comme c’est bon ! » Je l’observais découvrir ce plaisir et j’en prenais ma part.

Au moment où je réalisai que mon Pierrot et le Toine allaient et venaient au même rythme, le soleil s’effaçait doucement pour céder sa place au crépuscule. Je remarquai leurs regards complices, leurs sourires convenus, un hochement de tête donna le signal

Tu es bien dans ta Rosalie ?

Autant que tu l’es dans la Nathalie !

Je ne crois pas ! Moi, je suis au Paradis… !

Oh gari ! Le Paradis, c’est dans ma Rosalie ! Tiens, puisque tu ne me crois pas…

En riant, Toine se retira et invita mon Pierrot à prendre sa place. Ils nous rendaient la monnaie de notre pièce et nous l’avions bien cherché !

Je me sentis envahie par ce membre énorme et je vis Nathalie jouir de mon Pierrot, le Toine jouait avec mes poils et semblait fasciné par leur blondeur. Je poussai un cri de plaisir animal quand, du bout de son doigt, il caressa mon bouton. Je me sentais palpiter autour de sa verge. « Tu ne mentais pas, Rosalie est encore plus belle quand elle jouit ! »

Combien de fois échangèrent-ils leur place, combien de fois nous firent-ils jouir avant de jouir eux-mêmes ? Je ne saurais le dire, mais l’honneur fut sauf, mon Pierrot jouit en moi et le Toine dans sa Nathalie ! Ça te paraîtra idiot, mais nous accordions une grande importance à ce détail.

Nous mangeâmes les provisions que j’avais apportées pour le déjeuner et quand mon Pierrot fut rassasié, désaltéré, revigoré, il proposa à Nathalie et à Toine de leur « faire visiter notre chambre, nous aurons bien le temps de nous reposer quand nous serons de retour au village ».

Ce fut dans un sentiment de légèreté, d’amour et de sérénité que nous passâmes notre première nuit ensemble, à goûter à ces plaisirs qui allaient devenir notre pain quotidien.

Bonne-Maman explique les liens qui les unissaient les uns aux autres.

Dessin d’Alexander Szekely

 

Le cahier de Bonne-Maman – Préambule

Ma toute petite, mon petiot,

Je prends la plume parce que la Nathalie et moi avons des choses à vous dire et nous avons peur d’en oublier la moitié si nous nous contentions de vous livrer ces souvenirs de vive-voix.

Comme tu le sais, je suis née avec le siècle, en 1901, dans un petit village normand. Ton papé, était né en 1895 dans le village où il a toujours vécu.

Mais pendant la Grande Guerre, comme tous les hommes, il est parti combattre. Ce n’était qu’un gamin, plus jeune que ton Christian et il voyait chaque jour d’autres gamins mourir à ses côtés ou être mutilés. De son village, sur les vingt-cinq hommes qui sont partis, seuls quatre en sont revenus entiers, et trois autres revinrent mutilés.

En janvier 1916, je devins sa marraine de guerre. Je ne sais pas si vous savez ce qu’étaient les marraines de guerre. Nous correspondions avec des soldats, leur envoyions des colis, quand on le pouvait, et puis des photos. Mon Pierrot se confiait, me parlait de ses peurs, de son chagrin de voir tant de morts autour de lui, il me parlait aussi du froid, de la pluie, de la faim, des horreurs plus ou moins grandes, mais permanentes.

De notre temps, un homme ne pleurait pas, ne se plaignait pas « comme une bonne-femme », c’est avec cette conviction que j’avais été dressée. Oui ! Dressée ! Comme on dresse un cabot à obéir ! Pourtant, plus je lisais ses lettres, plus je respectais cet homme et plus je l’encourageais à se confier.

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En 1917, alors qu’il ne l’espérait plus, il obtint une permission de 48 heures à l’arrière. Quand il me l’apprit, je fis une chose incroyable, moi, la petite fermière, la jeune fille timide, docile, j’entrepris un long et chaotique voyage et le rencontrai pour la première fois.

Je n’oublierai jamais son sourire quand je le cherchais du regard dans cette salle remplie d’éclopés, d’hommes abrutis par l’alcool et la fatigue, par ces autres qui hurlaient dans leur sommeil et semblaient effrayés en se réveillant en sursaut, puis s’apercevant qu’ils avaient fait un cauchemar, se rendormaient, la tête posée sur leurs bras croisés devant eux. Mais je ne voyais que son sourire. Quand il vint à ma rencontre, il me dit que j’étais bien plus jolie que sur la photo, où j’étais pourtant déjà bien belle.

Ton papé était un beau parleur, mais je sais qu’à cet instant, il était sincère.

Au loin, on entendait le fracas de la guerre, mais nous étions ensemble, c’était tout ce qui comptait ! Je n’ai jamais compris comment il s’y était pris, mais il avait trouvé une petite chambre qu’il partageait avec le Toine, un jeune homme de son village, dont il m’avait parlé dans ses lettres.

Je n’avais jamais entendu l’accent provençal avant qu’il ne me parle, ça vous paraîtra sans doute étrange, mais nous avions du mal à nous comprendre quand nous nous parlions.

Il voulait savoir ce que pensaient mes parents de la visite que je lui rendais, je n’ai pas pu lui mentir. Je ne leur en avais pas parlé, parce que je savais qu’ils n’auraient jamais accepté que je me rende si près de la zone de combat, surtout pour y rencontrer un homme ! Prudente, j’avais pris avec moi toute ses lettres, tout ce qui aurait pu leur permettre de me retrouver et surtout de savoir avec quel homme j’allais passer ces 48 heures…

Je n’avais que 16 ans et lui déjà 22 !

Je vis son visage se fermer, son front se plisser, je ne voulais pas le chagriner. Non, je ne le voulais vraiment pas ! Alors, nous conclûmes cet accord, pendant les heures qui allaient suivre, nous ne parlerions ni de la guerre, ni de tout ce qui aurait pu nous contrarier, nous allions nous créer un univers rien qu’à nous, comme si le chaos du monde avait cessé d’exister. Il voulut « toper là » pour sceller notre accord. Mais je l’embrassai et lui demandai de m’aider à retirer ma robe, mes jupons, et ces kilos de tissus que je portais sur moi.

Ma Rosalie, qu’il me dit, il ne le faut pas… je peux mourir à tout instant… il ne le faut pas… je ne veux pas être la cause de ton déshonneur !

Quel déshonneur ? Tu m’épouseras à la fin de la guerre et s’il devait t’arriver malheur, personne ne saura jamais rien de notre rencontre ! Le déshonneur, serait que tu ne veuilles pas de ce corps que je t’offre, alors que tu n’as pas touché une femme depuis deux ans ! 

Par la suite, il me taquinait souvent, quand nous devions marchander, ou obtenir un petit passe-droit, il me disait « Ma Rosalie, c’est à toi de négocier, tu sais si bien le faire… »

C’est ainsi que je découvris l’amour… l’amour absolu, l’amour total, l’amour si puissant qu’il nous faisait oublier la guerre pourtant si proche…

Passées les premières heures, je me souvins du Toine qui aurait dû partager la chambre de mon Pierrot, je lui demandai où il allait dormir puisque j’occupais la chambre. Il me répondit qu’il s’était fait un petit nid dans une grange isolée et dont le toit n’était pas trop éventré.

Je n’ai pas pu supporter cette idée. Comment aurais-je pu être heureuse dans les bras de Pierrot, maintenant que je savais que son ami allait dormir comme dans les tranchées à cause de moi ? Ça aurait pu être notre première dispute… mais quand il me dit qu’une jeune fille respectable ne pouvait pas passer deux nuits avec deux hommes sans se couvrir de déshonneur, je lui répondis qu’à mon avis, je perdrais tout honneur, toute respectabilité si, par pur égoïsme, je laissais un jeune homme dormir dans de telles conditions alors qu’il combattait depuis deux ans dans les tranchées.

Mon Pierrot me demanda de l’attendre dans la chambre et partit à la recherche de son ami. Il valait mieux qu’on ne me voie pas trop traîner parmi ces hommes et ces prostituées. Pendant son absence, je me servis d’un drap et d’une corde à linge que j’avais trouvée dans un placard, sur le pallier, près des « commodités » pour séparer notre chambre en deux parties.

Quand ils arrivèrent, ils étaient épatés de mon petit bricolage. Le Toine me sourit, me tendit la main pour me saluer et mon Pierrot fit ce serment « Si on s’en sort vivants, je t’épouserais, ma Rosalie et le Toine sera notre témoin ! »

Mon Pierrot était un amant incroyable, le plus difficile était de ne pas trop faire de bruit, tout de même Toine dormait tout à côté, en plus, comme il n’y avait qu’un seul lit, nous avions fait un petit matelas en nous servant de l’édredon et de ma robe posée dessus, un simple drap nous séparait les uns de l’autre !

Quand je chuchotai à mon Pierrot de faire moins de bruit à cause du Toine qui dormait à côté de nous, celui-ci me demanda de ne pas me tracasser pour ça, que nous entendre batifoler le rendait heureux, lui faisait oublier la guerre, la mort…

J’ai passé deux jours merveilleux avec eux deux, ils me parlaient de leur village, je leur parlais du mien, nous oubliions la guerre, nous ne savions pas quand la guerre s’achèverait, mais ces deux jours leur ont donné l’envie d’y survivre, coûte que coûte.

Avec plus de difficultés que j’en avais eues à l’aller, je fis le voyage de retour, vers ma Normandie natale. Je savais que mes parents seraient mécontents de mon absence, j’étais l’aînée, je devais m’occuper de mes frères et sœurs, aider à la ferme et mon escapade avait sûrement été vécue comme une désertion.

Je n’ai pas oublié, après toutes ces années, le regard de ma mère quand elle me vit arriver. Ses yeux bleus étaient froids comme le métal, ils me lançaient des éclairs de colère froide, de mépris et de haine. Elle me demanda d’où je venais, ce que j’avais fait pendant ces cinq derniers jours, je lui racontai mon périple, en omettant certains détails. Je ne voulais pas qu’elle sache que j’avais perdu ma virginité, que j’avais passé deux jours dans la même chambre que deux hommes.

Tu as abandonné ta famille, mis de côté tes devoirs pour aller faire la catin ? C’est ce que tu me dis ? As-tu pensé au déshonneur pour ta famille ? Sors d’ici, je ne veux plus entendre parler de toi !

Je la suppliai de me laisser au moins prendre quelques affaires, dire au revoir à mon père, à mes frères, à ma sœur. Je lui demandai de me pardonner, je lui parlai de la promesse de mariage, du sacrifice de ces jeunes hommes, de l’enfer dans lequel ils étaient plongés, mais elle fut inflexible. Je devais partir sur le champ, sans même être entrée dans la maison, sans pouvoir dire adieu à ma sœur, à mes frères, je ne devais plus jamais chercher à les joindre et m’estimer heureuse que mon père fût aux champs puisqu’il avait prévu de m’accueillir à coups de fusil. Quand je lui demandai où je pourrais aller, ce que j’allais devenir, elle eut cette réponse que je n’oublierai jamais non plus.

Tu n’as qu’à aller te faire embaucher dans un bordel, tu y seras bien avec les filles de ton espèce ! Vas te vautrer dans la fange, tu n’es qu’une putain, une… fille à soldats !

Voilà donc ce que j’étais devenue à ses yeux ! De la gentille fille, marraine de guerre, j’étais devenue une fille à soldats, une prostituée ! Je sais que si j’avais été sa domestique, elle aurait mis plus de formes pour me congédier.

Je partis donc, sans me retourner, à pied, pour Paris. Je n’avais en tout et pour tout que ma mauvaise petite valise, la robe que je portais sur moi, mon manteau et quelques pièces dans ma poche.

En chemin, je vis le père Mathurin qui me demanda ce que je faisais sur les routes, voyant ma valise, il se tut et m’invita à monter à ses côtés sur la charrette. Il me laissa à Coutances, m’offrit de boire un canon à l’auberge. Arrivés dans la salle, il interpella la patronne, en lui demandant si elle pouvait faire attention à moi quelques jours. Quand il eut bu son verre, il se leva, me serra la main et sortit. Je ne revis plus jamais le père Mathurin.

Le service tirait à sa fin, la patronne vint à ma rencontre et me demanda ce qui m’amenait ici. Je lui racontai mon histoire, elle me demanda ce que je comptais faire. Je ne savais que répondre. Je pleurai, me demandant si je ne ferais pas mieux de mourir.

Ce jeune homme était sérieux ?

Oui !

Je ne pouvais pas imaginer le contraire, mon Pierrot ne m’aurait pas menti ! J’en étais sûre, mais était-il seulement toujours en vie ? Elle me conseilla de lui écrire une lettre lui expliquant ma situation depuis mon retour et d’attendre sa réponse. Ce que je fis. En attendant, elle me proposa de travailler pour elle, aider en cuisine, faire le ménage, la vaisselle, en échange du gîte, du couvert, et d’un tout petit pécule. Elle était seule puisque son mari était aussi parti au front.

La réponse de Pierrot arriva la semaine suivante, une lettre que je vous montrerais si vous le souhaitez. Il me dit d’aller dans son village, d’aller voir la Nathalie, qui serait prévenue et de l’y attendre. Au moins, je serais sous le soleil de sa Provence et il serait plus tranquille en me sachant là-bas.

Traverser la France, en pleine guerre, même si mon trajet ne passait pas par des zones de combats, était une chose compliquée. Mais quelques jours après avoir reçu la lettre de mon Pierrot, je quittai l’auberge et commençai mon voyage vers ma destinée.

« À table comme en amour, le changement donne du goût » (proverbe provençal)