Le cahier de Bonne-Maman – À la Sainte-Reine, sème tes graines

Nathalie arriva chez moi dès le samedi soir, elle était si excitée à l’idée de voir toutes ces tenues, ces pièces de tissus que j’avais rapportées qu’elle n’avait pas eu la patience d’attendre jusqu’au dimanche matin. Quand je lui avais raconté ce qui m’était arrivé, ce jeudi, j’avais évoqué en deux mots l’idée « de nouveaux jeux, de nouvelles figures ».

Ouh fan… ! Il y en a combien en tout ? !

Je ne sais pas ! J’ai attendu que tu viennes pour ouvrir la malle et les compter avec toi ! Et puis… regarde… tu as vu ? Il y a même des costumes pour Pierrot et Toine ! Ils ne sont pas tout à fait à leur taille, mais on pourra arranger ça, non ?

Nathalie dansait avec un costume de bergère posé contre son corps. Nous riions comme des fillettes ravies de cette bonne aubaine, quand une idée surgit « et si nous faisions une surprise à nos amoureux ? »

Depuis que j’y demeurais, nous nous retrouvions tous les quatre dans la maison, chaque dimanche à 9 heures. Munies d’un panier de victuailles, notre costume sous nos robes, Nathalie et moi nous mîmes en route avant le lever du jour, pour ne pas prendre le risque d’être vues. Nous improvisant stratèges, nous fîmes même un grand détour, évitant ainsi de passer devant la ferme de Pierrot et celle de Joli Coquelicot.

Avant notre départ, nous avions laissé ce quatrain, bien en évidence sur la grande table

Il se dit que, près d’une certaine source,
À la Sainte-Reine, quelques jeunes fées
Par l’été assoiffées, s’y retrouvent pour se désaltérer
Alors, messieurs, venez les y rejoindre… et au pas de course !

Arrivées dans cette forêt au sol rocailleux, nous ôtâmes nos robes, et les rangeâmes près des paniers, que nous cachâmes dans une sorte de petite grotte où régnait une fraîcheur fort agréable. L’été avait été déroutant, au froid relatif avait succédé une période de forte chaleur, les arbres en semblaient déboussolés, les branches de certains étaient déjà presque nues tandis que d’autres arboraient encore un feuillage tout printanier.

Sur les conseils de Nathalie, j’avais détaché mon chignon et elle avait longtemps brossé mes longs cheveux, les rendant vaporeux, féeriques… Elle portait les siens déjà beaucoup plus courts, mais tandis que je la coiffais, je fus saisie par sa beauté particulièrement éclatante ce matin-là.

Nous riions beaucoup, plaisantant en les attendant, nous taquinant aussi, nos caresses étaient tendres, nos baisers aussi. Nous aimions depuis longtemps faire l’amour ensemble, mais c’est ce jour précis, à l’ombre de ces arbres centenaires, près de ce filet d’eau qui chantait, que l’évidence nous sauta à la figure.

Nous avions longtemps cru que la part sexuelle de notre relation avait été un pis-aller pendant l’absence de Toine et de Pierrot, ensuite, nous savions qu’elle les excitait. Ils aimaient nous voir faire l’amour et nous aimions leur offrir ce spectacle, mais en ce matin, alors qu’ils allaient bientôt nous rejoindre et que nous étions seules, nous dûmes nous rendre à l’évidence. Nous nous aimions pleinement, nous nous aimions tout simplement. Loin de nous troubler, cette révélation nous apporta une force, une sérénité supplémentaire.

J’aimais sentir mon corps vibrer sous ses caresses, j’aimais sentir le sien vibrer sous les miennes. La douceur de sa peau, la plénitude de ses seins, les aréoles plus brunes, plus larges que les miennes, cette petite ligne cuivrée joliment dessinée, qui courait de son nombril vers son pubis à la toison brune, comme pour guider mes baisers… sa bouche, ses yeux, ses mains… Oh oui, j’aimais et je désirais son corps avec autant de fougue que celui d’un homme !

Elle me faisait l’amour d’une façon incroyable, en me disant que c’était tellement facile. Je la comprenais. Nos corps ne se contentaient pas de réagir aux caresses, aux baisers, aux griffures, aux morsures, ils indiquaient ce dont ils avaient soif, comme s’ils nous criaient « Ici ! Comme ça ! Encore ! Plus fort ! Moins fort ! Encore ! Encore ! Oui ! Comme ça ! »

Je n’ai, nous n’avons jamais cherché à savoir ce que je, ce que nous préférions, les plaisirs étaient différents, mais pourquoi vouloir les hiérarchiser ? Comment comparer ce qui est incomparable ? La question est tout aussi ridicule que si l’on me demandait si je préfère l’aïoli à la tarte aux pommes ! Ce qui compte, n’est-ce pas le moment, la puissance de l’abandon au plaisir ?

Il n’était guère plus que dix heures quand nous entendîmes des pas lourds écraser des brindilles, des voix d’hommes se répondre. Un dernier baiser rien que pour nous et nous rejoignîmes notre cachette. Oh ! Le terme « cachette » est bien exagéré puisque nous n’avions qu’un désir, un désir ardent, celui qu’ils nous trouvassent !

Ça y est ! Je les vois !

Nathalie et moi sursautâmes, étonnées d’entendre la voix de Bouche Divine, ainsi, Pierrot et Toine étaient venus avec des comparses… Nous avions prévu de faire semblant d’être effarouchées et de nous égailler en poussant des petits cris suraigus pour qu’ils nous courent après. Mais, paralysées par la surprise, nous ne pûmes que tourner nos visages vers eux.

Quand mon regard croisa celui de Bouche Divine, je pris conscience qu’il était le plus jeune des villageois partis combattre. Il ressemblait à un enfant émerveillé. Je me levai, fis semblant de me réfugier derrière un arbre, mais de l’index, l’invitai à s’approcher de moi.

De son côté, Toine invita Barjaco à succomber aux charmes de Nathalie et recula d’un pas. Aux côtés de Pierrot, les bras croisés, ils observaient la scène, amusés, comme pour nous dire « à malin, malin et demi ».

Offre-moi un de tes divins baisers, jeune homme…

Après une seconde d’hésitation, il entra dans le jeu que je lui proposai. Un baiser sur mon front, un second à la naissance de mon cou. De ses mains artificielles, il dénoua le ruban qui retenait les pans de ma robe. Je lus dans ses yeux qu’il avait peur de me blesser en faisant jaillir mes seins dont il ne pouvait sentir la fragilité, j’accompagnai donc son geste et lui volai le baiser suspendu à ses lèvres.

Une fois de plus, la douceur, la fougue de ses lèvres, la tendresse et l’habileté de sa langue me transportèrent loin de la réalité. Sa bouche se promena le long de mon cou, fit un détour par mes épaules. J’aurais voulu avoir la force de la diriger sur mes seins, mais je n’en étais déjà plus capable…

Quand enfin sa langue les caressa, qu’il me dit, rougissant « on dirait deux petits boutons de roses prêts à éclore », une vague de bonheur me submergea et mon désir enfla comme un torrent à la fonte des neiges. Je lui arrachai ses vêtements plus que je ne le dévêtis, sans prendre garde aux lanières de cuir qui ceinturaient son buste. Plus tard, bien plus tard, il m’avoua que mes gestes ce matin-là lui avaient rendu sa « normalité ».

Je m’agenouillai devant lui, comme j’aurais aimé avoir son don, rien qu’une fois, son merveilleux don… ! Adossé à cet arbre, il criait pour la première fois son plaisir, m’encourageant, me guidant, me remerciant, m’encourageant encore, émerveillé de sentir ma langue, ma salive inonder son sexe…

À sa demande, je le laissai s’allonger et m’allongeai sur lui. Sexes contre bouches, nous étions seuls au monde. Je me sentais comme un bateau en papier que je ne pouvais diriger au milieu d’un océan de plaisir, à la merci de ses vagues. Quand il arracha sa bouche à mon sexe, je fus propulsée dans la réalité, dans cette clairière ensoleillée, entourée des personnes que j’aimais le plus au monde.

Je voudrais regarder tes jolis seins danser au rythme de mes coups de reins…

Dans la précipitation du départ pour cette escapade imprévue, il avait oublié de prendre sa « capote réglementaire » comme nous nous amusions à les nommer. Barjaco était en train de se servir de la sienne avec Nathalie. Les rouages de mon cerveau tournèrent à toute vitesse. Il ne souffrait d’aucune maladie vénérienne, les anglais débarqueraient le mardi suivant… Le désir prit le pas sur la raison, je m’accroupis au-dessus de son sexe dressé comme s’il voulait défier les cieux…

Et moi, je voudrais que tu n’oublies jamais cette sensation…

Le plus lentement que je pus, je me pénétrai de lui, m’émerveillant de son émerveillement, m’enivrant de l’ivresse de ses sens… Oubliant un instant ses mutilations, il tendit ses prothèses vers mes seins. Une ombre de désespoir assombrit son regard, comme un nuage masquant le soleil. Je la chassai en frottant mes petits globes doucement sur elles. Écartant ses bras, il me demanda de le caresser « encore une fois… comme l’autre fois ». Je me penchai, en profitai pour lui quémander un long baiser.

Le premier fut bref, interrompu par « Ta langue à le goût de m… »

Moi, je l’aime ce goût ! Pas toi ?

Un long baiser et il explosa au fond de moi, mais je restais maîtresse de mes mouvements, je l’empêchais de sortir de tout le poids de mon corps sur le sien. Lors de « l’amicale des anciens combattants », j’avais constaté à quelle vitesse son membre reprenait de sa vigueur. « Regarde la Nathalie ! Aimes-tu la regarder prendre du plaisir autant que j’aime la regarder ? Sens-tu comme ça me chauffe les sangs ? Et quand je vois mon Pierrot et le Toine… regarde comme ils bandent ! » L’effet fut immédiat, je sentis son sexe durcir, malgré l’éclat de rire que lui arrachèrent les commentaires de Barjaco

Boudie ! Baiser ton petit con en pleine nature… espinchouner l’autre coquine… et ton cul qui danse… Ô fatché, sens… ça me fait venir ! »

Je regardais Bouche Divine, le reflet de ses yeux, son sourire, sa poitrine qui se soulevait comme pour s’emplir de tout ce bonheur, de tout ce plaisir… J’allais me pencher pour l’embrasser encore quand Nathalie, d’une bourrade, m’en empêcha.

À mon tour de profiter de tes baisers !

Me faisant face, elle s’assit presque sur sa bouche, poussant un cri de plaisir à son contact. Le sexe de Bouche Divine sembla doubler de volume et de dureté. Nathalie appela Toine et Pierrot qui firent mine de ne pas vouloir approcher davantage. Elle minaudait, faisant pigeonner sa magnifique poitrine, relevant puis agitant sa superbe chevelure brune, fit la moue, mais rien n’y faisait, ils ne bougeaient pas d’un centimètre. Que j’aimais leurs sourires complices, taquins, amusés !

Je me penchai vers elle, lui murmurai à l’oreille « Ils ne résisteront pas à ça… » et je l’embrassai, lui caressai le corps. Ses mains glissèrent de la même façon le long du mien, elle savait me faire frémir quand sa main glissait de mon ventre au bas de mon dos. Une décharge de plaisir me foudroya quand du dos de sa main, elle effleura le creux de ma taille.

Bouche Divine semblait aux anges, masqué par le corps de Nathalie, je ne pouvais le voir, mais j’entendais ses grognements de plaisir et je sentais son sexe toujours plus dur, toujours plus puissant.

Toine et Pierrot nous accusèrent de ne point être des fées, mais de diaboliques sorcières et vinrent enfin à nos côtés. Pour être exacte, Toine derrière mon dos, agenouillé, me caressait les seins, le ventre, ses doigts rejoignant ceux de sa fiancée. Pierrot, sur le côté gauche de Nathalie, lui aussi à genoux, faisait de même avec les miens.

Barjaco, resté quelques instants muet de surprise, s’exclama « Oh, mais vous me faites rebander, sacrées coquines ! Oh malheur ! Il faut me calmer le feu ! » Il approcha son sexe épais de ma bouche, je léchai un peu son gland, mais j’avais encore envie des baisers de Nathalie, je le délaissai le temps de l’embrasser. Elle me fit un clin d’œil

Hé Barjaco, tu préfères ma bouche ?

Elle le suça un peu…

Ou celle de ma Rosalie ?

Et me laissa faire. Barjaco en bégaya de surprise. Une pichenette sur mon épaule, Nathalie regarda son Toine, comprit, lui sourit, avant de poursuivre

Ho Barjaco, ne me dis pas…

Et nous entreprîmes de le sucer en même temps, excitées par ses exclamations de plaisir.

Je sentis les doigts de Toine glisser dans ma toison « Tu veux jouir de mes doigts, Bouton d’Or ? » À sa question susurrée à mon oreille, je répondis en rejetant ma tête en arrière, comme si j’avais voulu offrir mon visage aux caresses du soleil et lui caressai le corps de mes longs cheveux, il me mordit un peu l’épaule avant de m’offrir un orgasme radieux comme un sourire complice.

Ho, petite… !

Sans laisser à Barjaco la possibilité de se plaindre, je léchai, d’une langue gourmande, la hampe de son sexe, avant de retrouver celle de Nathalie sur le bout de son gland.

Boudie ! Regardez ce que vous m’avez fait faire !

Nos joues éclaboussées de son sperme, nous riions quand Nathalie fut secouée d’un spasme violent. En s’affaissant sur le côté, elle libéra le visage de Bouche Divine, qui hurla son plaisir à en déraciner les arbres alentour.

Pierrot me prit dans ses bras « On leur montre la figure Rosalie ? ». Nous l’exécutâmes avec une grâce folle, comme un ballet dans le plus beau des opéras.

Barjaco et Bouche Divine nous dirent au revoir, ils ne pouvaient manquer le déjeuner dominical et il était déjà presque une heure de l’après-midi. Déjà repus de plaisir, nous déjeunâmes tous les quatre, les pieds barbotant dans l’eau fraîche de cette source.

Nous étions sur le chemin du retour quand je leur parlai de la malle pleine de vêtements, de tissus que m’avait offerte Marie-Louise. Taquin, Toine me demanda si parmi eux, il y avait un costume du Petit Chaperon-Rouge « avec son petit pot de beurre ». J’éclatai de rire en faisant mine de vouloir le boxer.

De retour dans sa maison, Rosalie décide de montrer à Pierrot et à Toine les trésors contenus dans la malle que lui a offerte Marie-Louise

Le cahier de Bonne-Maman – « Si nous ne goûtions pas à l’adversité, la réussite ne serait pas tant appréciée »

C’est en cherchant à savoir pourquoi on nommait ainsi la maison que Pierrot avait choisie pour abriter notre amour, que je repris mes études. Certes, je ne suis pas retournée sur les bancs de l’école, je n’ai reçu aucun diplôme pour les sanctionner, mais j’ai appris, tellement appris !

J’ai appris le plaisir d’apprendre, celui de partager mes découvertes, mes savoirs, j’ai appris la curiosité, j’ai appris la souplesse, je veux dire de ne pas rester ancrée dans mes convictions, dans mes certitudes si j’étais dans l’erreur, de ne jamais rien tenir pour acquis, et tout ceci vaut bien plus à mes yeux qu’un bout de papier paraphé par un vieux barbon académique !

Toutes ces années auprès de Toine et de ses amis et, dans une moindre mesure, après de mon Pierrot, m’ont imprégnée du mépris des médailles qu’on accroche au revers de son veston.

Le père de Toine avait retrouvé de vieux registres qui tombaient presque en poussière, les pages mangées par les souris, piquetées par les vrillettes, il m’a fallu apprendre à déchiffrer ces calligraphies, à comprendre ces tournures de phrases si différentes de celles que je connaissais, apprendre à débusquer un comportement choquant au détour d’une phrase qui m’eut paru anodine si je n’y avais pris garde, mais j’y parvins.

Je consacrais tout mon temps libre à ces recherches et c’est avec grand plaisir que j’offrais la primeur de mes découvertes à Toine et à ses parents. Cette quête fut longue, mais dès mes premières « révélations », il m’arrivait d’être interpellée dans la rue par un ancien du village qui voulait en savoir plus ou, le plus souvent, m’indiquer une nouvelle piste.

C’est en voulant reconstituer l’histoire de ma nouvelle maison que je devins, en quelque sorte, l’historienne du village… Je n’avais pas vingt ans, je venais de par-delà « le Nord » –qui pour les villageois se situait vers Lyon– quand je fus définitivement adoptée, malgré mes cheveux blonds, malgré ma drôle façon de m’exprimer, mon drôle « d’assent », malgré même mon goût pour la cuisine au beurre, goût qui ne m’a jamais quittée et que j’ai réussi à faire partager à Pierrot, Nathalie et Toine.

Comme je vous l’ai écrit plus haut, la première fois où j’entrai dans notre maison, il me fallut la voir dans le regard de Pierrot pour deviner ce qu’elle allait devenir. Il faisait ses plans à voix haute, estimant les matériaux nécessaires, le coût des travaux. Le trouvant bien optimiste, je lui demandai d’où il comptait sortir l’argent. « Ne te tracasse pas, si je te dis que c’est possible, c’est que ça l’est ! Ou que ça le deviendra ! Rien ne sera jamais trop beau pour toi, pour nous ! »

Son optimisme me fascinait tant que j’oubliais d’en être effrayée. La vie s’est chargée de me confirmer que j’avais eu bien raison de lui faire confiance. La réhabilitation de cette ruine fut sa première victoire personnelle.

Il nous fallut presque deux ans pour qu’elle soit totalement restaurée, mais dès septembre 1919, je pus y vivre, soulagée de ne plus être l’invitée des parents de Toine. Ils n’ont jamais accepté que je leur verse la moindre pension. J’aidais, comme je le pouvais, aux tâches ménagères et je mettais chaque mois, dans une enveloppe, la somme que j’aurais dû débourser pour me loger, me nourrir. Le jour de mon départ, je la glissai entre les draps rangés en pile dans la grande armoire.

Comme il m’en avait fait la promesse, Toine contribua aussi à faire de cette ruine le palais de nos amours. Vous le savez déjà, il avait passé quelques années à Nice pour apprendre son métier et avait fréquenté des anarchistes, pour la plupart italiens. Parmi eux, bon nombre étaient « de la corporation du bâtiment », je ne sais pas comment m’exprimer autrement, les qualifier de « maçons » ne serait pas très juste, car il y avait des charpentiers, des plombiers et tant d’autres corps de métiers !

J’avais souvent le tournis en réalisant la puissance de cette chaîne d’amitié, de solidarité. Certains faisaient le trajet pour ne travailler que quelques heures et ne souhaitaient pour tout paiement qu’un bon repas partagé entre « compagnons », d’autres restaient plus longtemps, revenaient si leur présence, leur savoir-faire s’avérait utile. Quand la rénovation, la restauration de notre maison fut terminée, nous les y invitâmes, mais tous ne purent pas venir, alors nous envoyâmes aux absents une photo où nous posions tous fièrement devant.

Nous avions gardé l’habitude des petits papiers tirés au sort, mais puisque la boîte aux lettres nous était désormais accessible, nous dûmes trouver une autre urne pour y déposer nos idées. Nous étions tous les quatre des athées radicaux aussi quand Pierrot arriva un jour avec un tronc, qu’il avait déniché je ne sais où, nous décidâmes de lui trouver cette utilité. Nous éprouvions un plaisir enfantin à y glisser nos papiers en prononçant cette formule « accepte cette offrande pour le plaisir de nos corps ».

Un jour que je dépliai le papier tiré au sort, écrit de la main de Toine, je sursautai, le relus plusieurs fois « dans ma tête » avant de lui demander si j’avais bien compris. Pierrot et Nathalie, déjà impatients, pensaient que nous leur jouions un tour.

Si j’ai bien compris, il faudrait que nous soyons plus que quatre ou alors, tu t’es mal expliqué, Toine !

Mal s’expliquer n’était vraiment pas dans ses habitudes, il était toujours clair et précis, c’est pourquoi j’avais été surprise. Essayant de garder une certaine contenance, par le fait, bombant un peu trop le torse et se faisant trop fanfaron, il affirma que j’avais bien compris, je lus donc son souhait et nous en parlâmes longuement. Si trouver d’autres partenaires de confiance ne semblait pas poser trop de problèmes, nous voulions être tous certains que vivre cette expérience ne détruirait pas notre relation, ne modifierait pas le regard que nous portions les uns sur les autres. Quand nous en fûmes convaincus, nous décidâmes de charger Toine de nous trouver de nouveaux complices, puisque l’idée était la sienne.

Puisque c’est partie remise, que décidons-nous pour aujourd’hui ?

La figure Rosalie !

Colin-Maillard !

Les deux ! La figure Rosalie et Colin-Maillard !

Té pitchoune, t’es devenue bien gourmande !

La faute à qui, beau Toinou ? La faute à qui ?

Pour moi, c’est d’accord, je me sens capable de relever ce défi, mais à la condition que vous nous fassiez la danse des sept voiles avant… !

Pierrot aimait cette figure, que Toine avait nommée ainsi, il aimait vraiment nous voir, Nathalie et moi, danser ensemble, nous caresser, nous embrasser, nous faire l’amour, il lui arrivait même de ne pas avoir envie de nous toucher ensuite, tant le plaisir que nous avions pris ensemble l’avait comblé. Un regard complice, Nathalie fit semblant de râler « J’étais déjà toute nue, maintenant, je dois me rhabiller… » parce que la danse des sept voiles comportait évidemment une partie effeuillage…

Ce soir-là, alors que Toine était déjà parti raccompagner Nathalie chez ses parents et avant de rentrer chez les siens, Pierrot me souhaita « la bonne nuit », je me blottis dans ses bras, pas tout à fait comme d’habitude.

Qu’est-ce qui te tracasse, ma Rosalie ?

Tu me jures que tu m’aimeras toujours, aussi fort, après la figure du Toine ?

Bon sang ! Que son visage était beau, que son sourire était rayonnant, son regard tendre quand il me répondit

Comment peux-tu en douter, ma Rosalie ? Tu es l’amour de ma vie et tu le resteras jusqu’à ma mort !

Tu ne me verras pas comme… comme une fille perdue ? Comme une catin ?

Pourquoi devrais-je te voir ainsi ? Tu n’es ni une fille perdue, ni une catin ! Ma Rosalie, tu vas offrir du bonheur, du plaisir à d’autres et tu vas en prendre, tu ne perdras rien ! Et certainement ni mon amour, ni mon respect ! Mais toi, en as-tu l’envie ?

Oui, je voudrais essayer au moins une fois, mais à l’unique condition que ça ne détruise pas l’amour que tu me portes, parce que sans ton amour, je ne suis rien…

Nous pleurions tous les deux, surpris du besoin que nous avions l’un de l’autre, de la force de l’amour qui nous unissait. Peu avant de mourir, mon Pierrot écoutait souvent « La valse à mille temps » de Jacques Brel et à chaque fois, après les mots « Au troisième temps de la valse, nous dansons enfin tous les trois, au troisième temps de la valse, il y a toi, y’a l’amour et y’a moi », il s’exclamait « Ça, il nous l’a volé, ma Rosalie ! Tu te rappelles ? » et je savais qu’il faisait allusion à cette soirée précise.

Pendant les jours qui suivirent, je me demandais souvent quel goût aurait l’amour dans les bras d’un italien. Quand je les entendais rire, parler entre eux, quand je les voyais arriver, transporter les matériaux, les outils, quand je les observais travailler, quand ils mangeaient sur la grande table improvisée, j’essayais de deviner dans les bras desquels je succomberai…

La veille de cette fameuse fois, Toine nous demanda si nous étions toujours d’accord et nous précisa qu’il serait plus prudent qu’elle ait lieu dans la maison pour des questions de discrétion. Je passai les heures suivantes dans un état d’excitation totale, je veux dire une excitation pas uniquement sexuelle, mais tous mes sens étaient en alerte, y compris mon imagination.

Ce jour-là, aucun ouvrier ne vint travailler sur le chantier, je trouvai que Toine était vraiment passé maître dans l’art du suspens. J’avais pensé deviner quels hommes me feraient chavirer en observant ceux qui viendraient, mais je me trompais lourdement.

Alors que je m’attendais à frémir sous les caresses d’un fier italien, Pierrot et Toine arrivèrent avec des hommes qui, comme eux, revenaient de la guerre, ils tinrent à leur répéter en notre présence que nous n’étions pas des putains d’un bordel de campagne, mais leur futures épouses et que nous méritions leur respect.

Nous avions préparé un petit banquet, Nathalie et moi, composé de pâtisseries, d’autres gourmandises et de boissons variées. Nous fîmes connaissance en grignotant, je notai qu’ils veillaient à ne pas trop boire. Pour exécuter la figure de Toine, il aurait fallu deux autres hommes, mais ils en avaient invité quatre ! Nous étions aussi intimidées qu’ils l’étaient, pourtant, rapidement, l’ambiance se détendit.

Toine nous expliqua qu’il était en train de faire sa proposition aux deux premiers, quand les autres étaient arrivés et avaient demandé de quoi ils parlaient. « Je n’ai pas eu le cœur à mentir, et je me suis dit « Pourquoi pas? », mais si vous ne voulez pas, on peut tout à fait passer la soirée à parler et nous exécuterons la figure une autre fois »

Nous nous sentions de plus en plus à l’aise les uns avec les autres, quand Neuneuille, nous le surnommions ainsi, non pas parce qu’il était borgne, mais parce qu’il gardait l’œil droit toujours grand ouvert, nous dit que nous n’avions pas à craindre une maladie, que les fois où il était allé au bordel, il avait toujours mis sa « capote réglementaire ».

Ni Nathalie, ni moi n’en avions vu avant, il la sortit de sa boite métallique et nous la montra, « bien lavée, bien talquée, comme au premier jour ! », nous demandâmes à Toine et à Pierrot pourquoi ils ne nous avaient jamais montré les leur, Pierrot avait perdu la sienne, mais il ne savait où et Toine l’avait échangée contre du tabac quand il était au front.

Et puis, de toute façon, la fiancée que j’avais là-bas était propre, elle ne m’aurait jamais refilé la chtouille !

Il dit ça avec un grand sourire, en tendant la main, comme pour me désigner. Nathalie eut un hoquet de surprise et se retourna vers moi, entre colère et déception.

Je te jure… ce n’était pas moi !

Comprenant la méprise, Toine éclata de rire

Hé, mais que vas-tu imaginer, Pitchoune ? Je ne te parle pas de Bouton d’Or, je te parle de ma main ! Tu crois que si on avait couché ensemble là-haut, elle aurait été surprise en découvrant mon membre à Nice et que je l’aurais été devant la blondeur de sa toison ?

Nos invités étaient muets de surprise, tant de la teneur des propos de Toine que du fait qu’ils s’adressaient à nous, deux jeunes filles. Nous leur expliquâmes que nous refusions d’être vues comme des petites choses fragiles, que si nous étions capables d’écouter les cauchemars et les souvenirs tragiques de Toine et de Pierrot, les mots crus n’allaient pas nous choquer.

Il fallut que Toine explique ce dont ils parlaient avec nous et du bien que ça leur faisait, pour qu’ils acceptent enfin l’idée et pour gagner leur respect qui ne s’est jamais démenti par la suite. Eux, n’avaient personne avec qui parler, sauf d’anciens troufions, nous leur proposâmes d’être ces oreilles attentives, ces déversoirs à mauvais souvenirs, mais un autre jour.

J’ai oublié de vous dire que l’un de ces quatre hommes faisait partie des graves mutilés rentrés au village. Il avait perdu sa main gauche et les trois-quarts du bras droit. Il ne pourrait jamais plus travailler à la ferme, ne vivait que de sa maigre pension et n’avait aucun espoir de rencontrer une femme, il ne le souhaitait d’ailleurs pas, il aurait été un fardeau pour elle. Il avait certes une prothèse, mais sa voix se brisa quand il nous dit  

— Dire que je ne saurai jamais à quoi ressemble la douceur d’un sein dans le creux de ma main…

Émue par son chagrin, je m’approchai de lui

Mais au moins, tu peux goûter à la douceur d’un baiser que tu déposerais sur le mien…

J’ouvris mon corsage, j’aurais pu entendre battre son cœur tant il cognait fort et tant le silence s’était fait quand je m’étais levée, sa respiration était saccadée, quand il murmura « Laisse-moi te regarder, contempler cette merveille, oh que c’est beau ! » Je me dévêtis totalement « Regarde, voici un corps de femme »

Je levai les yeux au ciel et soupirai, indulgente, quand les autres me demandèrent de tourner sur moi, pour admirer et s’étonner de ma blondeur. Celui qui était resté silencieux jusque là ne put s’empêcher de me demander

Mais comment t’as fait ça ? C’est de naissance ou…?

Tu crois que je suis née avec un corps de femme ? Tu as vu mes cheveux, je suis blonde… oh pis vous m’agacez avec ça ! Si vous continuez, je vais remettre ma culotte !

Puis, me retournant à nouveau, je m’approchai du mutilé et entrepris de le dévêtir. Sa bouche me disait « Non ! », mais ses yeux me hurlaient « OUI ! S’IL TE PLAÎT, OUI ! » je décidai de rester sourde à sa voix pour n’écouter que son regard.

Tu n’as pas envie de sentir un corps de femme sur le tien ? Tu pourras profiter des caresses de mes seins sur ta poitrine… Ne refuse pas le plaisir qui s’offre à toi, essaie d’oublier ceux que tu ne pourras pas connaître… Profite… profite tout simplement…

J’offris mon sein à sa bouche et quand il l’embrassa, je ne pus que m’écrier

Nathalie ! Nathalie ! Viens ! Viens !

Ils étaient tous frappés de stupeur, Nathalie s’approcha, vit mon regard et comprit… elle retira son corsage, sa chemise et offrit à son tour sa poitrine aux baisers de cet homme sans main, avec un bras en moins. Je lus dans son regard qu’elle ressentait la même chose que moi, que sa surprise avait été aussi grande que la mienne. Je la bousculai un peu « À mon tour, maintenant ! »

De toute ma vie, je peux l’affirmer désormais, je n’ai, nous n’avons jamais connu un homme capable de nous embrasser comme il le faisait. Il nous est arrivé, même bien après cette première soirée, d’aller le voir rien que pour le plaisir de nous laisser aller à ses baisers. Quelque soit la partie de notre corps qu’il embrassait, ses baisers atteignaient la perfection. Avec le temps, il prit de l’assurance et se faisait désirer, nous aimions bien entrer dans son jeu, l’aguicher, le supplier… et puis, ses baisers étaient la promesse d’autres plaisirs, parce qu’il était un amant exceptionnel. Nous l’avons dès lors appelé « Bouche divine ».

Toine et Pierrot qui avaient craint qu’il nous ait fait mal, furent soulagés quand Nathalie leur fit signe d’approcher « Ouh fan de Diou, regardez où ses baisers transportent notre Rosalie ! ». Je ne pouvais me résoudre à arracher mon sein de sa bouche, il fallut que Toine fasse une remarque amusée et coquine « Ho, Bouton d’Or, tu ne veux pas qu’il te goûte plus bas ? » pour que je consente à faire cesser ce baiser. Je m’allongeai sur le lit improvisé que nous avions installé dans la salle, écartai mes cuisses « Oublie que tu n’as plus de main, laisse faire ta bouche… ! »

Il me fit jouir encore et encore avant que je réalise que tout le monde était nu et que Nathalie avait commencé à exécuter la figure de Toine. Elle faisait semblant de se plaindre « Je ne peux pas tout faire à moi toute seule, Rosalie ! »

Nous étions tous passablement éméchés, ce qui n’est en rien une excuse, si nous ne l’avions pas été, je ne pense pas que les événements se soient déroulés autrement, mais l’ivresse générale a permis que cette première soirée se passât dans la joie et les rires.

Quand « Bouche divine » me laissa reprendre mes esprits, encore tout surpris de pouvoir donner autant de plaisir alors que j’étais la première femme qu’il embrassait, je m’aperçus que l’homme d’ordinaire silencieux ne cessait de parler, de commenter ce qu’il faisait, ce qu’il voyait, ce qu’il ressentait avec des mots aussi amusants que crus, Toine venait de le tancer, sur le ton de la plaisanterie

Ho Barjaco, tu vas parler tout le temps comme ça ?

C’est dans mon sang ! Oh boudiou, arrête de me sucer, je veux profiter de la Rosalie et… oh boudiou, mais cesse donc, tu vas me faire venir, coquine !

Il se retira de la bouche de Nathalie dans un grand bruit flasque, un peu vulgaire et terriblement excitant à la fois.

Chez nous, les hommes parlent pendant la chose… ça nous plaît, c’est comme ça, c’est dans notre sang !

Rosalie, la bouche libérée de ce sexe, un peu coquine surtout curieuse demanda

Et les femmes de ta famille, elles parlent aussi ?

« Barjaco » éclata de rire

Elles se contentent de gémir et parfois, elles approuvent « oh oui ! oh oui ! », mais je ne sais pas quoi…

En 1919, trois générations cohabitaient dans la ferme de Barjaco, d’après certains commérages, il semblerait que cette tradition ait perduré avec ses fils qui doivent avoir la cinquantaine, maintenant.

Barjaco et le quatrième complice vinrent nous rejoindre, mais je leur demandai d’attendre un peu, je voulais offrir à « Bouche divine », ce qu’il n’osait me demander. Je lui chuchotai « Veux-tu que je sois ta première fois ? », il me sourit, soulagé. Je poursuivis « Nous serons à égalité, puisque ce sera la première fois avec une capote, pour moi », ses lèvres collées à mon oreille me susurrèrent un doux « Merci ».

Je lui demandai de s’allonger, je serai ainsi plus à mon aise pour enfiler le manchon de caoutchouc et je m’empalai lentement sur lui, un peu surprise de ce contact étrange dans mon corps, qui me donnait l’impression de faire l’amour à un objet plus qu’à un homme, mais nos regards me suffisaient, ses yeux se noyaient dans les miens, je voyais ses lèvres s’entrouvrir, comme gonflées de plaisir, je me penchai sur lui, et nous nous embrassâmes.

Fut-ce notre baiser, le contact de mes seins sur sa poitrine, la vigueur de ce membre caoutchouté, le contact de mon bouton sur son pubis ? Je fus secouée par un orgasme violent qui le fit jouir à son tour, bien avant qu’il ne l’eut souhaité. Poursuivant mes caresses, mes baisers, je le rassurai « La soirée ne fait que commencer ».

Un peu avant minuit, je caressais Bouche Divine d’une main, Gentil Coquelicot de l’autre, tout en suçant Barjaco. Pendant ce temps, Nathalie profitait des corps de Neuneuille, de son Toinou et de mon Pierrot.

Nous passâmes des uns aux autres avec un plaisir croissant, au fur et à mesure que nous apprenions à nous connaître, à plaisanter de nos complexes, le quatrième invité, par exemple, était plutôt bel homme, mais ce qui le minait, c’est que sous le coup d’une forte émotion, d’une surprise, de l’excitation, de la jouissance, il devenait tout rouge, pas seulement des joues, mais de la racine des cheveux jusqu’au nombril, nous balayâmes ce complexe en le surnommant « Gentil coquelicot ». Bien sûr, au début, il crut que nous le moquions, mais nous lui prouvâmes qu’il avait tort en lui montrant comme ça nous excitait, comme ça nous faisait jouir de le voir s’empourprer ainsi.

Le jour se levait quand ils repartirent avec la promesse de nous retrouver bien vite. Nous étions à nouveau tous les quatre, plus unis que jamais, je regardai mon Pierrot se gratter le menton, comme il le faisait toujours quand sa barbe naissante commençait à le démanger, Toine avait les yeux dans le vide, mais son sourire était serein, apaisé, il était heureux tout simplement heureux, Nathalie chantonnait en se lavant dans le tub. Touchée par je ne sais quelle inspiration, je la rejoignis, lui chuchotai quelques mots à l’oreille, elle se mit à glousser, nous entendant pouffer, Pierrot nous demanda ce qu’il nous arrivait.

Pour une fois, Rosalie a trouvé le nom idéal pour la figure et avant toi, mon Toinou et tu n’en trouveras pas de mieux !

Nous ricanâmes de plus belle.

Ho, Bouton d’Or, ne nous fais pas languir ! Quel nom lui as-tu donné ?

L’amicale des anciens combattants !

Une journée déterminante dans la vie de Rosalie

Le cahier de Bonne-Maman – « Le printemps est venu. Comment ? Nul ne l’a su »

Avec le retour des beaux jours revint le temps de la légèreté. J’aimais ces petits messages secrets que nous nous adressions les uns aux autres. Comme ceux que Toine glissait dans mes poches, ceux que je déposais au fond de ses chaussures. Quand je me rendais à mon travail, je soulevais la pierre, notre pierre pour y découvrir un mot d’amour, une proposition de rendez-vous de mon Pierrot et y glisser ma réponse. Nathalie communiquait de la même façon avec nous. Il y avait aussi cette maison abandonnée, dans laquelle nous ne pouvions pas entrer, mais dont la boîte aux lettres nous servait de « boîte à pensées coquines », nous y déposions nos idées et puisque nous ne pouvions pas l’ouvrir sans prendre le risque de l’endommager, l’un d’entre nous, plus ou moins à tour de rôle, partait à la « pêche au courrier ».

Le dimanche matin, puisque aucun de nous n’allait à la messe, nous nous retrouvions dans cette petite crique où tu retrouves ton Christian, dans ma jeunesse, elle abritait déjà les ébats en plein-air… et je suis presque certaine qu’aux temps jadis, c’était aussi le cas. Idéalement située, un peu éloignée de la route, abritée du vent, mais ouverte aux regards des curieux, la mer n’y est pas très accueillante, trop de petits rochers sur le bord, trop peu de plage, les nageurs n’y sont pas attirés et puis, quand on remonte le petit sentier qui va de la crique à la route, si on tourne sur la gauche, cette petite enclave, ce nid fait de roches et de buissons…

C’est donc là que nous nous retrouvions, que nous pique-niquions, que nous dépliions le petit papier pêché… je n’oublierai jamais la voix de mon Pierrot, celle de Toine quand ils faisaient semblant de râler « ENCORE la figure Rosalie ! », Nathalie et moi feignions d’être dupes, de ne pas remarquer que la plupart du temps, c’était l’écriture de l’un ou l’autre, alors nous proposions d’aller faire une promenade, à la place. Et quand ils répondaient « Non, la figure Rosalie a été désignée par le sort, on est obligés de l’effectuer », nous leur répondions « On voit bien que ça vous pèse, que vous n’y prenez aucun plaisir, allons plutôt tremper nos petits petons dans la mer » et faisions mine de descendre vers la crique, alors, ils nous rattrapaient, nous serraient dans leurs bras en nous traitant de bougresses, de diablesses, Nathalie et moi piaillons et, tout en faisant semblant de vouloir nous échapper de leur étreinte, nous arrangions pour que leurs mains touchent nos seins, nos fesses, avec la même maladresse, nous leur effleurions le pantalon « Oh, pardon ! Je t’ai fait mal ? Tu as comme une bosse, là… Laisse-moi regarder… » et nous comparions l’étendue des dégâts. Dans le panier que nous prenions avec nous, il y avait toujours un flacon d’huile d’olive…

Le jeudi 1er mai 1919, je trouvai sous la pierre ce petit mot « Je viendrai te chercher samedi matin, mets ta jolie robe et ton joli chapeau, nous irons en ville ». Pierrot arriva avec sa carriole, je m’assis à ses côtés et nous attendîmes d’être sortis du village pour nous embrasser enfin.

Avec tous ces événements, le retour au village, Toine, Nathalie, je n’ai pas eu le temps d’en parler avec toi, je ne sais pas si tu en as toujours envie, mais de mon côté, j’aimerais bien tenir ma parole…

Tenir ta parole ?

Il arrêta la carriole, prit mes mains dans les siennes, me regarda droit dans les yeux, comme s’il voulait sonder mon âme

Rosalie, veux-tu devenir ma femme ?

Comment avait-il pu croire une seconde que ce n’était plus mon souhait le plus cher ? Je couvris ses mains, ses joues, sa bouche de baisers et à chaque baiser déposé, je répétais « Oh oui ! Je le veux ! Je le veux ! Ô mon amour, si tu savais comme je le veux ! ». Nous étions là, comme deux benêts, à rire et à pleurer en même temps, à regarder au loin, vers l’avenir et d’un même mouvement de la tête nous regarder l’un l’autre. Enfin, il prit une grande inspiration et me dit « Il est temps d’aller en ville, nous avons un achat à faire ! ». Je savais qu’il faisait allusion à la bague de fiançailles, mais je me trompais. Je me trompais lourdement !

Arrivés à la ville, Pierrot me fit descendre de la carriole et nous marchâmes bras dessus bras dessous, faisant plusieurs fois le tour de la place principale. Je me demandai bien pourquoi, mais il m’en donna l’explication avant que j’aie pu lui poser la question.

Si tu savais comme je suis fier de me pavaner avec toi à mon bras !

Il souriait, l’éclat de son regard… j’avais l’impression d’être une princesse de conte de fées ! L’émotion me fit perdre toute retenue, je l’embrassai à pleine bouche. Avant qu’il n’ait eu l’idée de me le reprocher, j’assénai

C’est pour que les jeunes filles de la région sachent que le plus bel homme de Provence, de France, le plus bel homme du monde est mon promis et gare à celle qui cherchera à se faire épouser par lui !

Oh, ma Rosalie…

Sans crainte du qu’en dira-t-on, nous nous enlaçâmes et nous embrassâmes longuement. Il sortit sa montre de sa poche, l’ouvrit, regarda l’heure et me dit « Ma Rosalie, il est temps… » avant de pousser la porte de l’étude notariale. Je pensai « Il veut régler les termes du contrat de mariage », je me trompais en partie. Quand le notaire nous reçut, Pierrot lui fit part de notre futur mariage, mais surtout de sa volonté d’acquérir la maison abandonnée qui nous servait de boîte aux lettres et que cette maison soit autant ma propriété que la sienne, que ce soit stipulé en toutes lettres dans « les papiers officiels », ce point ne posait aucun problème, en revanche, le notaire me dévisagea d’un regard expert et me demanda mon âge.

J’aurai bientôt dix-huit ans.

Vous êtes donc mineure, pour pouvoir vous marier, il vous faudra avant tout l’accord de vos parents.

Je lui expliquai que ça risquerait de ne pas être possible et lui racontai comment j’avais été chassée de la ferme familiale, comment j’avais été reniée pour avoir rendu visite à Pierrot en 1917. Mon cas n’était pas si exceptionnel que ça, il y avait des démarches à effectuer, des courriers, mais il me rassura sur ce point, mon mariage avec Pierrot était tout à fait envisageable. Il me tendit plusieurs lettres-type que je n’aurais qu’à recopier en remplissant les blancs et à qui les envoyer.

Nous achetâmes la maison pour une bouchée de pain. Elle avait perdu sa valeur quand les héritiers avaient divisé le bien en plusieurs lots et que celui à qui elle était revenue avait cédé les terres qui lui étaient rattachées. À sa mort, personne n’avait voulu la racheter. Une maison au cœur d’un petit village, avec un jardin d’à peine deux ares, ne présentait aucun intérêt pour des paysans. Année après année, elle s’était dégradée et menaçait de tomber en ruine.

La première fois où j’y entrai, il me fallut la regarder dans les yeux de Pierrot pour imaginer ce qu’elle allait devenir, un petit temple dédié à l’amour. J’espère que tu as ressenti tout ceci quand ton Christian venait t’y retrouver en cachette.

Quand nous sortîmes de l’étude notariale, nous étions à la fois fous de bonheur et un peu intimidés. Dans quelques mois, nous serions jeunes mariés et les heureux propriétaire d’une bicoque à retaper. Nous ignorions encore que quinze longs mois devraient s’écouler entre la remise de notre acte de propriété et la date de notre mariage.

Ma Rosalie, allons fêter ça dignement !

Pierrot me prit le bras et m’indiqua le meilleur restaurant de la ville, celui où se retrouvaient les notables du canton. Je ne le trouvai pas raisonnable d’engager une telle dépense, il me taquina, me reprochant de vouloir garder les pieds sur terre, quand il voulait s’envoler vers la félicité « surtout, rien n’est trop beau pour toi, ma Rosalie ! »

Je souris, baissant le visage, me demandant ce que j’avais fait pour mériter tant de bonheur.

Oh, ma Rosalie, si tu teintes ainsi tes joues de rose, nous allons faire des envieux, les femmes te jalouseront ta beauté, les hommes m’envieront la chance de t’avoir à mon bras !

Émue, je l’embrassai. Taquin, il ajouta « Et tu m’embrasses devant eux ! »

Nous déjeunâmes, les yeux brillants de tous les projets que nous faisions, quand nous riions un peu trop fort, nous sentions les regards désapprobateurs des autres clients, mais ça faisait déjà belle lurette que j’avais appris à ne plus m’en sentir gênée.

Le soleil était bien haut dans le ciel quand nous remontâmes dans la carriole et que nous reprîmes le chemin du retour. À mi-chemin, Pierrot se plaignit du soleil et du vin qui lui donnaient le tournis et envie de somnoler, il me tendit les rênes avant de me reprocher ma façon de diriger la carriole « à la mode normande, assurément ! ». Je m’apprêtai à répliquer quand il me sourit et m’embrassa. Le cheval, soudain libre d’aller où bon lui semblait, s’engagea sur un sentier qui débouchait sur les terres du père de Pierrot, avant de s’arrêter devant une grange. « Oh, mais comment cette bête a-t-elle pu deviner que c’était l’heure de la sieste ? » Qu’il était beau quand il rayonnait ainsi de bonheur, ravi de ce tendre piège qu’il m’avait tendu et dans lequel je m’étais précipitée !

Viens, ma Rosalie ! Suis-moi et allons batifoler dans les foins !

Je voulus ôter mes belles chaussures pour monter à l’échelle, mais il me demanda de ne rien en faire. « Garde aussi ton beau chapeau, ma Rosalie ! » Arrivés là-haut, nous nous embrassâmes, nous caressâmes, sa main glissa sous mes jupes

Mais tu as oublié de mettre tes dessous, coquine !

Je me demandais quand tu allais t’en apercevoir, coquin !

Tu permets ?

Pierrot souleva ma robe, dévoilant ma toison, prit une poignée de paille et me souriant comme un enfant

Fatché, ma Rosalie ! Tu es encore plus blonde que les blés !

Que la paille, mon Pierrot, que la paille !

Si tu veux… quand je dirai ça au Toine…

Vous vous moquerez encore de moi !

Mais on ne se moque pas, ma Rosalie ! Loin de là !

Il s’allongea au milieu du tas de foin « Dévorons-nous un peu avant la sieste » Je dégustai sa verge en me disant que c’était la meilleure gourmandise de l’univers, même en l’absence d’huile d’olive. Ses doigts écartaient mes lèvres, sa bouche me goûtait comme si mon sexe était un fruit mûr à souhait. Il ne s’interrompait que pour le contempler, tout comme je contemplais le sien, avec ravissement.

Arrête Pierrot… arrête ! Je vais… arrête ! Je vais… si tu… conti… nues… arrê… NON ! N’arrête pas ! N’arrête pas !

Je criai à m’en décoller les poumons. J’entendis un « CRAC ! », mais le temps de m’en inquiéter, je compris qu’il s’agissait de l’échelle qui avait brisé un branchage en tombant.

J’ai eu peur de t’avoir brisé le cou !

Essaie donc, ma Rosalie !

Il reprit les caresses de sa langue, tandis que ma bouche allait et venait, coulissait le long de son membre de plus en plus vigoureux « Ô, Pierrot ! Ô mon… oohh… ooohhh… ! »

Il se dégagea de l’étreinte de mes cuisses et me demanda de le chevaucher, son sexe dur s’enfonçant dans mon puits d’amour raviva mon plaisir… « Tu ne sais pas bien mener un attelage, mais montre-moi comment tu montes à cheval, belle Normande ! »

Je crus mourir de plaisir à maintes reprises ce samedi après-midi. Je voulais aussi le voir défaillir, j’étais attentive à la montée de sa jouissance, tous les sens en alerte pour ne pas manquer un souffle annonciateur, un frémissement des ailes de son nez, un tressautement de ses lèvres si joliment ourlées, une palpitation des veines de son cou, un plissement de ses paupières, une crispation de ses mains, sa langue qui appelait la mienne, je voyais son cœur battre sous sa chemise ouverte et bien sûr, mon sexe était attentif aux emballements du sien.

Sa voix dérailla quand il me demanda de poser la main sur le dessus de mon chapeau, comme si je voulais l’empêcher de s’envoler pendant une cavalcade au grand galop.

Ma Rosalie, tu es la plus belle chose qui me soit arrivée ! Demande-moi ce que tu veux !

Fais jaillir mes seins de mon corsage et caresse-les comme toi seul sais le faire !

En les caressant, son plaisir explosa, j’aimais son cri animal quand il jouissait comme ça. Je poursuivis mes va-et-vient au rythme de ses caresses sur mon bouton et j’explosai une fois de plus, inondant sa main et son bas-ventre, avant de m’écrouler sur lui, rompue de plaisir, comblée.

Nous nous assoupîmes un peu et il nous fallut nous résoudre à descendre de la grange pour retourner au village. Pierrot le fit tel un gymnaste, d’un saut léger comme une pirouette et remit l’échelle en place pour que je puisse descendre à mon tour.

Nous ôtâmes les brins de paille dont nous étions recouverts, je constatai, soulagée, que je n’avais pas filé mes bas du dimanche, montai à ses côté dans la carriole, et attrapai les rênes pour lui montrer comment une Normande s’y prenait pour diriger un attelage.

Où Nathalie propose la version adulte d’un célèbre jeu enfantin