Chroniques Matrimoniales – Canto, canto, cigaloun !

Comme je le pressentais, le Balafré vint m’enlever pendant les vacances de la Toussaint. Je pensais qu’il avait organisé un séjour tout en surprises, je ne me trompais pas non plus sur ce point. Il arriva dans la soirée et avait hâte que je monte à ses côtés. Je fis semblant d’être prise au dépourvu, de n’avoir pas eu le temps de préparer ma valise. J’aurais voulu qu’il me réponde que ça n’avait aucune importance, que de toute façon, je passerai ces quelques jours totalement nue ou un truc comme ça. Hélas ! Christian me dit de ne pas m’en faire et tendit une valise, ma valise au Balafré « je crois que tout y est ».

De quoi parlait-il ? Qu’avaient-ils donc manigancé, ces deux-là ? Cette question tournait encore dans ma tête quand Christian m’embrassa avec une fougue inhabituelle et sa boutade « Je t’ai noté l’adresse pour que tu retrouves le chemin de la maison » sonna désagréablement à mes oreilles. J’avais refermé ma portière quand je compris enfin. Je sortis de l’auto et entrai précipitamment dans notre maison.

Tu te rends compte que ce sera la première fois qu’on va être séparés pendant plusieurs jours ?

Ça va te faire des vacances !

Même s’il souriait, je me sentis blessée. Il le lut dans mes yeux.

Tant que tu seras heureuse de me retrouver…

Tu en doutes ? Mais Christian, tu sais bien que tu es l’homme de la vie !

Il me serra fort contre lui, son visage dans mes cheveux, il me dit :

C’était ça que je voulais entendre ! Profite, Monique ! Profite ! Et reviens-moi avec pleins de détails croustillants à me raconter !

Je remontai dans la voiture et expliquai au Balafré la raison de cet aller-retour en concluant sur ces mots :

L’idéal serait qu’il puisse nous voir et qu’on puisse connaître ses réactions en direct…

Big Brother is watching you !

Un picotement désagréable remonta d’entre mes omoplates vers ma nuque. Je connaissais cette sensation, je l’éprouvais depuis mon enfance. J’avais été une élève médiocre, mais appliquée. Je n’avais pas été au collège à cause de ça. J’avais, par réflexe de survie, pris l’habitude de ne pas relever les allusions que je ne comprenais pas et, surtout, de sourire d’un air convenu. J’adoptai cette attitude, me réfugiant dans ce confort factice. Je réalisai soudain mon erreur et, sans oser regarder le Balafré, je lui dis :

Tout le monde dit ça tout le temps… Ça veut dire quoi, au juste ?

Le Balafré me raconta le début de 1984, je l’écoutais, captivée, fascinée. Il stoppa brutalement son récit. Je lui demandai de l’achever.

Pour savoir la suite, il te suffit de la lire ! Je suis prêt à parier que ce roman figurait en bonne place dans la bibliothèque de Rosalie et certainement dans celle de Toine !

Pendant le trajet, nous parlâmes de nous, il me parla de lui et je lui parlai de moi. Ça faisait des mois qu’on couchait ensemble, mais nous en savions si peu l’un de l’autre ! Évoquer ce paradoxe apporta de la légèreté et une bonne dose d’optimisme. Je pensai enfin à la raison de ce séjour… je relevai outrageusement ma robe et m’apprêtai à débraguetter le Balafré quand il stoppa mon geste « encore quelques instants, ma chérie… » en prononçant ces mots, il s’engagea dans un sentier chaotique qui faisait bringuebaler sa voiture.

Au bout de ce sentier, je découvris la maison où nous allions passer les jours à venir. Il venait de me prévenir que des amis à lui arriveraient dans la soirée, qu’ils logeraient dans une ancienne dépendance du mas et qu’il serait heureux de me les présenter. Je devinai qu’il ne tiendrait qu’à moi que ces présentations se fissent plus poussées. Quand nous pénétrâmes dans la cour, il y avait déjà une voiture de location. Je fis la moue, le Balafré m’en demanda la raison.

J’aurais préféré passer la soirée avec toi… rien que nous deux…

Tu… tu n’aurais pas pu me faire plus jolie réponse ! Attends ! Ferme les yeux et ne les ouvre pas avant mon retour !

Je l’entendis marcher à grands pas, puis courir sur le gravier. Le bruit d’une porte ouverte à la volée. À nouveau des pas rapides, ma portière s’est ouverte, le Balafré m’aida à sortir de la voiture, me souleva dans les airs et c’est dans ses bras que je franchis le seuil de la maison.

Ouvre tes yeux ! Quelle est ta première pensée ?

Oh ! C’est comme dans les films américains, mais en mieux ! Parce que c’est… pour de vrai ! Oh !

Ô, ma Monique… !

Nous restâmes un bon moment ainsi, sans bouger, moi dans ses bras, ses yeux dans les miens, nous ne songions même pas à nous embrasser. Nos yeux se faisaient l’amour pour nous, à notre place… Le crissement des pneus de l’autre voiture nous fit revenir à la réalité. Le Balafré me déposa délicatement sur une large banquette.

Je vais chercher nos affaires, ne bouge pas !

Quand il revint, presque aussitôt, il me désigna la valise.

Tu veux savoir ce qu’elle contient ?

Sans attendre ma réponse, il l’ouvrit et en sortit quelques vieux costumes, son regard m’interrogeait « Voudrais-tu te prêter au jeu des petites saynètes ? ». Je les regardais, cherchant à deviner les facéties qu’ils avaient suscitées. J’essayais de me replonger deux générations plus tôt, tout en prenant un air mystérieux.

Pour le savoir, il faudrait que tu me dises qui tu as reconnu dans le cahier de Rosalie…

Un large sourire s’épanouit sur son visage.

Barjaco !

Comprenant que je n’obtiendrai aucune réponse sérieuse dans l’immédiat, je fis mine de boxer le Balafré, qui fit mine de reculer avant de m’attraper par la taille et de me soulever dans une prise de catch. Nous nous menacions « Gare à toi ! », nous nous provoquions « Même pas peur ! », d’autres menaces « Si je t’attrape… », d’autres provocations « Oh, je tremble presque de peur ! » tout en nous poursuivant dans les pièces de la maison.

La nuit était tombée en même temps que moi. Je me relevai, allumai le plafonnier et ouvris les rideaux. Je cherchais comment décrocher les voilages quand le Balafré me demanda.

Que cherches-tu à faire ?

Une essepérience scientifique…

Une quoi ?

Une essepérience scientifique…

Je rêve ou tu oses te moquer de mon accent ?

Un assent ? Qué assent ? Je croyais que c’était ceusses du Nord qui avaient un assent… !

Ça, ma vieille, tu vas me le payer !

Ô peuchère, j’en tremble de peur !

Et je m’enfuis en courant… dans ses bras !

Quel était le but de ton expérience ?

Je me demandais si tes amis sont du genre curieux… alors, je me suis dit…

Tu t’es dit ?

Si je me déshabillais devant la fenêtre, toutes lumières allumées… si j’offrais mon corps à leur vue… tu penses qu’ils nous regarderaient faire l’amour ?

La question se pose, en effet ! Tentons donc l’expérience…

Oui… tentons l’essepérience !

Milo Manara
Milo Manara – KamaSutra

Le Balafré me mit une tape sur la main, autant pour me punir de mon insolence que pour interrompre mon geste. Je m’apprêtais à déboutonner ma robe, il se mit dans mon dos « Laisse-moi faire, alors… », son souffle chaud dans mon cou, sa voix profonde, vibrante… je me sentis devenir poupée de chiffon. Il me dévêtit lentement, savamment, je fermai les yeux et sentis mon excitation croître, inéluctablement, comme l’eau se met à bouillir… Une de ses mains se décolla de ma peau, je n’eus pas à ouvrir les yeux pour comprendre qu’il avait, d’un geste, intimé à ses amis l’ordre de ne pas s’avancer davantage, de rester à la place que nous leur réservions, celle du public.

La situation te plaît bien, on dirait…

Qu’est-ce qui te fait croire ça ?

Ta voix qui déraille, l’emballement de ton cœur sous mes doigts…

Lesquels ?

Lesquels ???

Tes doigts de la main gauche ou ceux de la droite ?

Mais…

Le Balafré sourit et je le sus malgré mes yeux clos et le fait qu’il se tint dans mon dos. Il fit aller et venir ses doigts le long de ma fente, mais sans me pénétrer.

Monique, as-tu du cœur ?

J’aimais quand il me parlait sur ce ton, en chuchotant dans un éclat de rire contenu, expirant par le nez… Il se souvint soudain de notre discussion dans la voiture.

Une des répliques les plus fameuses du Cid, de Pierre Corneille est « Rodrigue, as-tu du cœur ? »… mais bon, l’histoire n’est pas des plus joyeuses… !

J’aimerais que la nôtre…

Que la nôtre quoi ?

Durât toute la vie… euh… dure toute la vie…

Et c’est pour t’attacher mon amour que tu emploies l’imparfait du subjonctif ?

Je… ça m’est venu comme ça… oooh… n’arrête pas… oooh… oui… à ce rythme-là… ! Tes amis sont-ils curieux ? Je… oui… je préfère garder les yeux… fermés…

Oui ! Ils nous regardent… oui… écarte tes cuisses… oui… bascule ton bassin vers l’avant… offre-leur ton magnifique corps à la vue… pourquoi souris-tu ainsi ?

Parce qu’ils sont à mille lieues de s’ima… giner… oooh… qu’on parle… oooh… conj… conju… ooooh… conj… oooh… conjugaison… rhâââ… !

Monique ! Arrête! Tu ne peux pas !

Je ne peux pas quoi ?

Jouir sous mes doigts en prononçant le mot « conjugaison » ! Merde ! Pense un peu à moi ! À mon boulot !

Je n’y avais pas pensé… c’est vrai que t’es maître d’école…

Ensemble, nous ponctuâmes ma phrase d’un « mazette ! » complice. Le Balafré m’embrassa encore dans le cou, en faisant aller et venir ses lèvres de mon épaule jusqu’au lobe de mon oreille… Il n’avait pas cessé ses caresses, elles étaient à la fois plus légères et plus audacieuses…

Pour la première fois de ma vie, je ne me sentais pas inférieure de mon manque de culture. Je venais de comprendre que le savoir peut se glaner n’importe où, pourvu qu’on en ait l’envie. Cette certitude m’offrit une sérénité incroyable, je décidai d’en faire profiter le Balafré.

Tu pourrais me faire jouir en me racontant « Le Cid » ?

QUOI ?

C’est pas par vice… c’est… pour ma… culture générale… quelle serait la meill… oooh… tu crois qu’une… levrette ? … oooh…

Sacré défi que tu me lances, là !

Si jamais tu faiblissais…

J’aurais un zéro pointé ?

Non ! Tu aurais le droit d’appeler à l’aide !

Je croyais que pour ce soir… oh ! Tu es bouillante !

Il venait de me pénétrer et, en effet, son sexe m’avait semblé frais…

… je croyais que tu voulais qu’on reste seuls, toi et moi… tu as changé d’avis ?

Peut-être… mais peut-être aussi… ooh… je te sais capable d’y parvenir tout seul…

J’entendis le sourire dans le ton de sa voix quand il annonça « Le Cid, tragi-comédie en cinq actes de Pierre Corneille ! » Il allait et venait en moi à un rythme régulier, mais assez lent. Il nomma les différents protagonistes en les présentant. Je me sentais vibrer, bouillir, j’avais toujours les yeux fermés et un « NON ! » de déception s’échappa de ma bouche quand il sortit de moi. Une suite cadencée de petites claques sur mes fesses, précédèrent les trois plus appuyées et plus lentes « Que le spectacle commence ! »

Je ne me souviens pas l’avoir écouté attentivement, je me laissais envahir par toutes ces sensations qui arrivaient par vagues… j’y plongeais, m’en laissais submerger. J’essayais de ne pas crier trop fort parce que je voulais entendre sa voix… Ses mains couraient sur mon corps, me pétrissaient. Il me semblait que ses va-et-vient suivaient le rythme de son récit.

Je me cambrais davantage quand ses mouvements se faisaient plus amples. Parfois, je me redressais presque totalement, alors ses mains passaient de mes hanches à ma poitrine… de ma poitrine à mon ventre… de mon ventre à mon pubis… de mon pubis à mon clitoris… de mon clitoris à mon pubis… de mon pubis à mon ventre… de mon ventre à mon clitoris… de mon clitoris à ma poitrine… Je prenais un tel plaisir que j’en oubliai nos spectateurs. Je m’en aperçus quand, après avoir joui, il sortit de moi à la fin du troisième acte.

ENTRACTE !

Il me prit dans ses bras, m’embrassa. J’avais hâte qu’il reprenne de la vigueur et son récit. Je ne compris pas immédiatement pourquoi cette remarque le fit éclater de rire.

Pendant qu’il préparait de quoi nous sustenter et nous désaltérer « Laisse-moi te montrer ce talent dont je suis tellement fier », un petit éclat lumineux et verdâtre se refléta sur la vitre.

Je crois qu’un de tes amis est en train de se branler…

Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

… ou alors, c’est un insecte phosphorescent qui volette de bas en haut et de haut en bas…

Il éclata de rire et ensemble, sans nous être concertés, nous leur fîmes signe d’approcher et d’entrer. C’est ainsi que je fis la connaissance de Martial et de Jimmy.

Nous rencontrons enfin la fameuse Monique dont tu nous rebats les oreilles depuis des mois !

Je sursautai, surprise, furieusement excitée. Martial poursuivit en demandant à son ami si désormais, il le faisait toujours à la parlante et voulu savoir ce qu’il me disait et qui semblait me captiver autant.

Tu ne devineras jamais ! Mon amour veut parfaire sa culture littéraire…

Des vers de Pierre Louÿs ?

Non !

De Baudelaire ?

Non !

De Verlaine ?

Non plus !

Je regardais Martial, de plus en plus troublée, de plus en plus excitée…

Tu es surprise, n’est-ce pas ?

Oh oui ! Et flattée que tu me présentes à tes amis de fac…

Quelle est donc cette lueur dans ton regard ? À quoi penses-tu ?

Tu laisserais Martial terminer le récit ? Je n’ai jamais couché avec un…

Avec un noir ?

Avec un « païs » !

Quoi ?

En t’écoutant parler, j’ai réalisé que je n’ai couché qu’avec des provençaux… j’aimerais entendre l’accent parisien… pour la première fois… pendant… tu voudrais bien me parler pendant que tu me baiserais ?

N’y vois aucun vice, Monique a décidé de se lancer dans les expériences scientifiques…

ESSEPÉRIENCE, on dit !

Je comprends mieux pourquoi tu nous as dit « Monique est souvent surprenante » !

Il se dévêtit. Je regardai son corps un peu grassouillet, terriblement attachant. J’avais envie de me blottir dans ses bras comme on se love dans un canapé confortable.

Martial m’ouvrit ses bras, je m’y blottis, j’aimai immédiatement le contact de sa peau, son odeur, le goût de ses baisers, ses cheveux sous mes doigts… Je pris sa main pour l’inciter à découvrir mon corps comme je découvrais le sien. Sans savoir pourquoi, je pris une petite voix implorante, presque timide pour lui demander, comme une faveur, s’il m’autorisait à le sucer. Son éclat de rire tordit mes tripes d’un désir violent. J’aurais aimé le taquiner un peu, beaucoup, avant de le sucer, mais j’étais trop impatiente pour y parvenir. Je le suçai goulûment, avidement… Il me tira un peu les cheveux.

Doucement… si je dois te dire de la poésie… il faut… doucement ! Tu vas me faire jouir !

Son accent m’électrisait autant que ses mots, que ses caresses, que sa peau, que sa délicieuse odeur… Surprise que ses poils fussent crépus comme ses cheveux, je me traitais intérieurement d’idiote, pourquoi aurait-il eu une pilosité différente ? J’étais moi-même blonde de la tête aux pieds ! Martial me dit qu’il avait besoin de faire baisser la pression… nous en profitâmes pour dîner. Je passais des bras de l’un à ceux d’un autre. Jimmy riait un peu trop fort pour que je ne devinât point son embarras. Des trois, il avait toujours été le séducteur, le beau gosse, et perdre cette position avait fait naître un doute profond  dans son esprit. Allait-il se montrer à la hauteur de sa réputation ? Mais ça, je ne l’appris que bien plus tard. Le Balafré sonna la fin de l’entracte en tapant dans ses mains. Martial, surpris, lui demanda :

Quel entracte ? Tu ne lui disais pas des poèmes ?

Non ! Je lui racontai un classique du théâtre français… lequel, à votre avis ?

Je trépignais d’impatience, le Balafré le savait et s’amusait de me mettre ainsi à la torture… J’aurais pu  donner à Martial le titre de la pièce, mais le sourire amusé, l’éclat dans les yeux du Balafré me récompensaient amplement de cette attente. Quand Martial n’y tint plus, que Jimmy eut énoncé le titre d’une bonne dizaines d’œuvres, le Balafré annonça d’un ton victorieux.

Bon courage, Martial ! Va garder ta concentration, ton excitation… tente de la faire jouir… quand je vous dis que ma Monique chérie est surprenante… daï ! « Mais le temps est trop cher pour le perdre en paroles : je t’arrête en discours, et je veux que tu voles. Viens, suis-moi, va combattre et montrer à ton roi que ce qu’il perd au comte, il le recouvre en toi. »

LE CID ? !? !

Étonnant, non ?

La remise à niveau se poursuivit ainsi…

Chroniques matrimoniales – Rien ne vaut pour s’aimer les grands palétuviers

Après avoir parlementé avec Christian, le Balafré était rentré chez lui, mais je savais qu’ils me préparaient une surprise. Dans quelques jours débuteraient les vacances de la Toussaint, la météo s’annonçait clémente, tous les éléments seraient donc réunis et propices à quelques leçons de botanique…

Alain et Christian s’interrogeaient sur l’utilité de démonter et de ranger l’installation de la veille. Cathy se rallia presque immédiatement à leur avis, que je partageais aussi. Soudain, Christian releva brusquement la tête, ouvrit des yeux comme des soucoupes et s’exclama « Fatché ! Comme tu es belle, mamé ! »

Nathalie entra en souriant, sortit un mouchoir de sa manche « Tu me fais pleurer ! » avant de nous faire une révé­rence timide. Rosalie la suivait de près, mais je n’avais d’yeux que pour Barjaco qui discutait avec Valentino. Je me l’étais imaginé comme le Bavard, mais en plus vieux et je me trom­pais lourdement !

Là où la calvitie, chaque jour plus prononcée, du Bavard le vieillissait d’une bonne quinzaine d’années, Barjaco arborait une chevelure blanche, ondulée à la « Ouh ! Il est grand temps de ressortir la tondeuse ! » ; au lieu de la moustache « balai-brosse » de son petit-fils, son visage était orné d’une moustache en guidon de vélo qu’il triturait de ses doigts courts et massifs. Il était plus petit que son descendant, mais je ne parvenais pas à distinguer les traits de son visage et encore moins son regard, dans la pénombre du pallier où il s’était arrêté pour parler avec Valentino. Il semblait vouloir prendre congé de ses amis sans avoir à nous saluer. Valentino cherchait à le convaincre. En vain.

Barjaco salua Nathalie d’une voix de stentor. Je devinai que cet « Adessias, pastourello ! » cachait un rendez-vous secret. Rosalie s’approcha de lui, l’enlaça de façon un peu mutine. Je sursautai quand il posa ses grosses et vieilles mains calleuses sur mes joues. Le temps d’un éclair, nos regards se croisèrent. Il com­prit en même temps que moi. Parce que, tu l’as déjà deviné, ce sont les joues de Rosalie qu’il venait de prendre entre ses mains. Je me l’étais imaginé toujours tonitruant et exubérant, comme les personnages de Pagnol, aussi le calme et le ton posé de sa voix me surprirent lorsqu’il dit « Il va falloir qu’on cause un peu, nous autres et nos petits ».

Puis, comme à regret, il s’avança vers moi, à grands pas de chasseur, me prit dans ses bras, m’empoigna par les épaules et recula d’un pas pour me regarder comme un expert.

– Adieu, Mounico !

Barjaco déposa ensuite un baiser baveux de papé sur mon front, serra la main de Christian, d’Alain, embrassa Catherine « comme du bon pain » et fit un clin d’œil appuyé en apportant cette précision.

Quand il fut parti, que nous fûmes attablés autour des restes du buffet de la veille, je demandai à Valentino s’il ne nous en vou­lait pas trop de ce changement de dernière minute qui les avait obligés à partager le poste d’observation avec Nathalie et Barjaco.

– Ma… pourquoi veux-tu ? C’est pas pareil ! Barjaco… ma… c’est la famille !

Nous riions, je me demandais s’il n’abusait pas à dessein de ces « Ma ! » qui ponctuaient son propos. Taquine, je demandai à Nathalie si Valentino… Je n’eus pas le loisir de finir ma ques­tion, Rosalie s’exclama « Ah, mais non ! Valenti… » avant de me mettre une petite tape sèche du bout des doigts sur le som­met de mon crâne pour me punir de mon insolence.

Nous papotions, picorant dans les divers plats depuis quelque temps déjà quand je réalisai que nous évoquions exactement sur le même ton dégagé, la météo, la politique et nos ébats de la veille. Je mesurai ma chance, notre chance à tous. J’allais le dire à Christian quand je remarquai son regard béat, plongé dans les yeux de Nathalie. Son visage reposait entre les paumes de ses mains, il souriait. Je m’imaginai leur dialogue muet. « Ah… quel dommage… ! On aurait dû être jeunes à la même époque… » « Té Christian ! Tu aurais couché avec ta mamé ! » « C’est vrai ! Tu as raison… c’est mieux comme ça, mais… fat­ché ! Comme tu es belle ! » « Ho, mon titou… tu me regardes comme me regardait ton grand-père ! » Plus tard, quand je lui en parlai, Christian me confirma la justesse de cette intuition.

Rosalie fit glisser vers moi un petit carnet. Je savais qu’il conte­nait d’autres bribes de son histoire. Elle me dit de prendre mon temps, qu’elle avait toute une réserve de petits carnets.

Tu ne peux pas savoir comme écrire sur ses petits carnets la comble !

Valentino me regardait avec toute la reconnaissance du monde, mais quand ses yeux se posaient sur sa Rosalinetta, ils débor­daient d’un amour infini.

– Et puis… quand nous nous souvenons du passé… de ces an­nées… tu sais, elle n’en a gardé que le meilleur !

Rosalie voulut l’interrompre, mais Valentino poursuivit.

– Elle n’a gardé que le meilleur des gens… C’est vrai ou c’est pas vrai ?

– Mais qu’est-ce qui compte ? Qu’est-ce qu’il reste à la fin ? Ce sont bien les sentiments qui nous unissaient les uns aux autres, non ?

Comme s’il était sorti d’un rêve, Christian jeta un regard en biais vers le petit carnet, tendit sa main pour le prendre et le feuilleter, mais Valentino stoppa son geste et sortit de sa poche une vieille enveloppe en papier kraft.

– Ma… regarde plutôt ça… c’est pareil, ma… pour les hommes !

Dans un même élan, Rosalie et moi sursautâmes et tapâmes du poing sur la table. Valentino avait réussi son coup ! Hilare, il s’en réjouissait. Je cherchais une répartie cinglante pour leur clouer le bec à ces trois là, puisqu’Alain s’était joint au concert des moqueries. Rosalie, plus sage, la trouva

Notez cette date, mes chéries ! C’est en ce jour que ces mes­sieurs ont enfin reconnu qu’ils en sont restés aux images, quand nous, les femmes, maîtrisons la lecture !

Voilà mon drame… elle a toujours le dernier mot ! Allez, vaï ! Laissons les femmes savantes entre elles et contentons-nous de nos petits plaisirs masculins…

Valentino avait une fois de plus atteint son but, Rosalie prit Nathalie à témoin « Non, mais t’as vu la mauvaise foi ? ! » satisfait, il sortit de la pièce en sifflotant, Alain et Christian sur ses talons.

Je voulais simplement jeter un coup d’œil rapide sur les pre­miers mots du carnet, mais je fus happée par le récit et ne rele­vai les yeux qu’après le point final. Rosalie, Nathalie et Catherine me regardaient, dans les bras les unes des autres, elles me souriaient. Il me fallut revenir tout à fait en 1975 pour réaliser que « les hommes » ne nous avaient toujours pas rejointes.

Dessin de Mihály Zichy

 

Le 31 juillet 1939, ce fut Pierrot qui accueillit nos premiers invités. J’avais tenu à accompagner Barjaco chez le maire, le père de Toine. Je voulais être celle qui enregistrerait l’acte de décès de Valentino. Si tu savais combien de fois j’ai voulu y laisser un petit symbole discret, un minuscule indice signalant que c’était « pour de faux » !

Quand ce fut fait, je laissai Barjaco sur la place du village, il voulait « s’arranger un peu » avant de nous rejoindre. J’arrivai devant chez moi en même temps que Bouche Divine qui s’en étonna. Tout en ouvrant la porte, je lui expliquai

J’ai dû aller à la mairie avec Barjaco. Il a trouvé un cadavre sur un sentier…

Un assassinat ? !

Non ! Un vagabond ou quoi… on dirait une bonne cuite qu’aurait mal tourné…

Ho, fatché ! Du coup, il vient pas… du coup ?

Si ! Si ! Mais il voulait se faire tout beau…Viens par ici et embrasse-moi où tu le souhaites, mais embrasse-moi !

Le visage de Bouche Divine s’éclaira aussitôt.

Mais on n’a même pas trinqué !

J’avais été la première femme à découvrir la perfection de ses baisers, j’avais été la première avec laquelle il avait fait l’amour, la première à lui faire oublier ses mutilations. Nous étions si jeunes quand nous nous sommes connus ! Si je l’avais rencontré quelques années plus tard, je n’aurais sans doute jamais osé lui parler de ses prothèses comme je le fis. Je l’en­viai parfois et j’étais sincère ! Stupide, mais sincère ! Mais le plus souvent, je me contentais de le taquiner. Comme, par exemple, quand je dégrafais les sangles qui maintenaient ses deux prothèses. Je l’embrassais délicatement sur l’épaule, à la naissance du cou, un cran, un baiser… J’aurais, bien entendu, pu les lui retirer d’un coup, mais j’avais dès la première fois, décidé d’en faire un moment féerique, magique, comme un effeuillage… un cran, un baiser… puis un reproche « Tout ça pour que je t’embrasse ici ! » J’aimais observer le lobe de son oreille remonter, presque imperceptiblement, mais je savais ain­si qu’il souriait. Je lui avais appris à maîtriser ses mains artifi­cielles en lui imposant de délacer les vieux corsets sortis de la malle aux costumes. Il souriait en évoquant sa « rééducation ».

Voici ce que je lui ai apporté, mais lui… la perfection de ses baisers était… inconcevable ! Jamais ni Nathalie, ni moi n’avons connu quelqu’un capable d’embrasser comme il em­brassait. Il le savait et en 1939, ça faisait déjà des lustres qu’il aimait qu’on le suppliât un peu avant de nous offrir les délices de sa bouche.

Alors, en attendant de trinquer, si tu me faisais réviser vos chants traditionnels ?

En signe de désapprobation, Pierrot, Toine et Joli Coquelicot hochèrent la tête, mais Nathalie me fit un clin d’oeil complice.

Cette figure était née dans les premières années, nous avions cousu des tenues d’écolières et nous jouions aux oies blanches échappées à la surveillance des nonnes pendant une promenade et qui faisaient la rencontre de quelques garnements portés sur la chose…

Que nous aimions ces jeux costumés ! Ces rôles que nous inter­prétions et dont les personnages pouvaient réapparaître à l’occa­sion d’une autre saynète ! Nous aimions jouer les oies blanches tout autant que les demi-mondaines quand eux jouaient les séminaristes égarés en Provence.

L’histoire était la suivante, j’étais une écolière retenue en otage par des forcenés, pour hâter ma libération, je devais réciter un poème de Frédéric Mistral ou chanter… en provençal, bien sûr ! Et en y mettant l’intonation ! Et du coeur ! Pour ce faire, Bouche Divine se tenait assis devant moi qui étais debout, tenant d’une main le texte devant mes yeux, de l’autre je devais soulever le devant de ma jupe. Bouche Divine me guidait du bout de sa langue, des mouvements de ses lèvres, mais à la moindre erreur, il écartait les lèvres de mon sexe d’une de ses mains artificielles, tandis que de l’autre, il m’assénait une petite tape au plus près de mon bouton. Alors, je faisais semblant de pleurer pour qu’il me console de ses doux baisers.

Je n’avais pas vingt ans à la création de ce rôle, même si je ne portais désormais plus cette tenue, je recevais tout de même régulièrement des leçons de chant ou de diction. Bouche Divine aimait endosser le rôle du professeur attentif aux progrès de son élève.

Ce 31 juillet 1939, je décidai de revêtir une fois encore, ce long déshabillé soyeux, vaporeux, transparent. Je serai donc une « de la haute » désireuse d’apprendre les traditions locales. Je m’installai devant Bouche Divine et commençai à chanter. Bon sang, comme il savait s’y prendre ! Je me laissais guider par sa langue tant et si bien que j’en oubliais de me tromper ! Je per­cevais l’agacement de Nathalie, ou plutôt son impatience, mais mon cerveau refusait de chercher à en comprendre la raison. Neuneuille était arrivé pendant que je changeais de tenue. J’entendis un « C’est pas trop tôt ! » quand Barjaco fit son entrée, accompagné d’un certain Maurice.

La surprise me valut une tape, puisque ma voix dérailla totale­ment. Maurice rasé de près, avait la moustache préten­tieuse du parisien, les cheveux courts trop gominés, la nuque rasée de haut dénotaient un esprit rigide, que le col empesé de sa chemise accentuait.

Hé bé, les amis, je vous présente Maurice, mon cousin qui est venu de Paris pour passer ses vacances avec nous autres !

Maurice cherchait à croiser mon regard, mais à chaque fois qu’il y parvenait, il serrait ses mâchoires et détournait les yeux. L’ambiance devenait pesante alors qu’elle aurait dû être légère. Barjaco sauva la journée en demandant à son cousin à mi-voix, mais assez fort pour que tous puissent l’entendre, avec laquelle de nous deux il souhaitait s’isoler pour se déniaiser.

– Je ne veux pas t’influencer, mais la petite Normande est plus caressante que la fougueuse Provençale…

Maurice semblait hésiter. Neuneuille lui tendit son verre pour trinquer. Il était homme de principes et d’habitudes. Le rituel exigeait que l’on trinquât avant de débuter les festivités, pour rien au monde il y aurait dérogé !

Bienvenue parmi nous, euh… comment t’as dit qu’on l’appe­lait ?

Té, mais c’est mon cousin Maurice ! Le Parisien !

Maurice… faut pas que j’oublie… Maurice… alors, à ta san­té, Mau… Maurice !

On a qu’à dire « le cousin »… ou… oh oui ! « le Parisien » !

Maurice fusilla Toine du regard, pourtant c’est ainsi que Maurice devint le Parisien au sein de notre amicale. Puis, n’ayant dès lors plus jamais quitté la région, ce surnom fut celui employé par les villageois. Nous trinquâmes donc tous « les yeux dans les yeux… en attendant mieux ! » selon la formule chère à mon Pierrot.

Tout encarminé de désir, Gentil Coquelicot vint houspiller le Parisien, s’il voulait rester puceau, grand bien lui fasse, mais sinon qu’il se décide… et vite ! Je me fis toute douce, câline, pris la main de Maurice, lui demandai de me suivre, lui jetai un regard en dessous, il me sourit enfin et consentit à s’isoler avec moi. Quand il referma la porte de la chambre sur nous, je me précipitai dans ses bras.

Tes beaux cheveux… ! Et ta barbe… ! Et ta mous­tache… ! Et… même comme ça, tu restes le plus beau !

Oh, Rosalinetta ! Barjaco… il m’a tout dit de son cousin… il m’a fait lire ses lettres… m’a raconté leur guerre… il a pensé à tout ! Si ça marche, je lui devrais la vie !

Pourquoi « si ça marche » ? Bien sûr que ça va marcher ! Je n’en doute pas une seconde !

Enfin, il souriait ! Enfin, il espérait !

– Laisse-moi te montrer comment s’y prendre avec une femme…

– Une femme ? ! Ah ! Ah ! Mais tu n’es qu’une enfant !

– Tu me fais rougir, flatteur ! Viens par ici que j’ôte ces affreux vêtements qui emprisonnent ton corps… ton corps que je devine… hummm… fort excitant !

Les yeux de Valentino étincelaient. Ce n’était pas la première fois que nous jouions ensemble, mais c’était la première fois que je jouais, pour lui, ce rôle auquel je ne l’avais pas habitué, mais qui lui plaisait beaucoup.

– Montre-moi comme tu t’y prends sans me cisailler davantage le cou que ne le fait ce maudit col amidonné !

Je me fis la plus délicate possible, mais en détachant le col, rigide comme s’il avait été en carton, je remarquai une estafi­lade rosée le long du cou de Valentino. Je couvris cette marque de baisers légers, décidée à ne cesser qu’après sa dispa­rition. Valentino ne m’en laissa pas le temps. Il me prit dans ses bras, me déposa en travers du lit, écarta les pans de mon désha­billé et observa, intrigué, mon pubis…

– Où caches-tu ton vit, méchante coquine ?

– Mon… vit ? ! Mais les femmes n’en sont point doté !

– Balivernes ! Où le caches-tu ?

– Mais je n’en ai point ! Regarde donc et tu verras !

– Mais… mais… mais… c’est pourtant vrai ! Oh, pauvres de vous, les femmes ! Vous n’avez rien qu’un trou sans fond… !

– Tu te trompes encore ! Il ne s’agit point d’un trou sans fond, mais au contraire d’un fourreau soyeux et accueillant pour ce sabre d’amour qui se tient déjà au garde-à-vous !

Tenant son membre tel un sabre, Valentino recula d’un pas et mima l’assaut d’un cavalier. Nous nous connaissions si bien… ! Dans un geste-réflexe, j’empoignai son sexe au vol et le fis entrer en moi. Il fit semblant de découvrir ce plaisir. Pour l’éprouver encore, il sortit de mon fourreau et y replongea d’un coup… encore… et encore… et…

Des éclats de voix interrompirent nos ébats. Je déplaçai le petit cadre et en observant par l’ouverture, compris ce qu’il venait d’arriver. Le banc de prières et de contrition menaçait de s’écrouler, sans doute quelque assaut trop fougueux avait eu rai­son de sa stabilité. Je vis Barjaco sortir du salon. Il toqua à la porte de ma chambre. Quand Valentino lui ouvrit, il prit un air désolé, fit mine de retirer son béret et de le triturer entre ses mains. Presque tous avaient ce réflexe et le gardaient même tête nue.

Escusez du dérangement, mais… cousin, puisqu’il paraît que t’es menuisier… on aurait besoin de tes services… Non, non ! Pas la peine de te rhabiller, on est entre nous ! Comme le bon dieu nous a faits ! Et puis… comme ça, la Nathalie pourra t’examiner sous toutes les coutures avant de s’encanailler avec toi…

En disant ces mots, Barjaco me glissa un clin d’oeil moqueur par-dessus l’épaule de son « cousin ». Valentino redevint Maurice en franchissant le seuil, il examina attentivement le banc, en caressa la gravure « Oh, la belle ouvrage ! C’est un véritable travail d’artiste ! » et comprit ce qui s’était passé. Il fit une réparation provisoire et nous proposa d’effectuer la défi­nitive dès la fin de notre « sauterie ». Barjaco me demanda si « le cousin » était désormais déniaisé.

Presque, mais tu nous as interrompus…

Vous en étiez où ?

Je m’installai sur le banc, inquiète à l’idée que Valentino ne joue pas le jeu, mais confiante en son envie de réussir cet exa­men de passage. S’il parvenait à rester Maurice pendant cette journée, Valentino cesserait d’avoir peur d’être démasqué et de se faire expulser en Italie où une mort certaine l’attendait.

– Sois pas timide ! Vé ! Je vais te montrer…

Il fit signe à Nathalie de s’approcher, elle s’installa à ma droite. Barjaco, campé sur ses cuisses puissantes, s’installa entre celles écartées de Nathalie. Il invita son cousin à l’imiter. Valentino avait l’air tendu et agacé d’un homme dont un obscur parent claironnait la virginité et lui imposait un dépucelage en public. Il avait donc réussi à garder le « costume » de Maurice !

Barjaco allait et venait, expliquait au Parisien comment agacer les épaules, le ventre des femmes pour qu’elles vous supplient de leur caresser les seins. Il comparait mon corps avec celui de Nathalie dont la poitrine était « un véritable nid d’amour », pour apporter du crédit à cette affirmation, il sortit de Nathalie qui s’assit comme il le souhaitait « Une des entrées du Paradis de Nathalie »

Il allait et venait lentement entre les seins de mon amie, ma sœur, dont j’était pourtant, à cet instant précis, terriblement jalouse. Je savais qu’il me fallait aussi verser mon écot pour accéder à la tranquillité, mais imaginer Valentino désirant lui aussi une caresse entre les seins de Nathalie était une véritable torture. Barjaco sut ne pas faire durer mon supplice. Il revint à nos côtés, demanda à Nathalie de « se remettre en position », tandis qu’il la pénétrait, il s’adressa à son cousin.

Tu es bien en elle ?

Oh oui !

Alors, ne change pas d’allure et regarde… ce sera mon cadeau de bienvenue… quand elle respire comme ça… regarde… fais comme moi, mais avec elle… Entre nous, on se donne des surnoms, t’as entendu, non ? Tss ! Tout doux ! N’accélère pas ! Pas encore… Et le sien, à la Normande, c’est « Bouton d’Or » et tu sais pourquoi ?

Valentino s’était presque arrêté pour connaître la raison de mon surnom… il semblait presque avoir oublié ma présence… il regardait, il écoutait Barjaco, comme s’il ne me connaissait pas, comme s’il ne connaissait pas la géographie de mon corps et la cartographie de mes plaisirs…

On l’appelle ainsi parce que… té… écarte-lui dé-li-ca-te-ment s’il te plaît ! Écarte-lui les lèvres… tu vois ? Sous sa toison dorée… au milieu des replis rose nacré… si tu le titilles bien… té ! Le voilà ! Regarde-le comme il se dresse ! Le Bouton d’Or ! Et ça, c’est une des clés de Rosalie pour vous envoyer au Paradis ! Il suffit de le manipuler avec… Boudiou ! Mais tu as trouvé la manière, on dirait ! Regarde ! Regarde comme elle se pâme ! Et vé, comme ça excite ma pouliche ! Vaï Nathalie, où que tu veux que je me vide ?

Partout !

Ah ça, par exemple, ça va pas être possible ! Té, fais comme moi, cousin !

Barjaco sortit une nouvelle fois du corps bouillonnant de Nathalie, ficha son gland devant sa bouche gourmande. Comme toujours, elle le suça avec un plaisir non dissimulé.

Tu verras… quand tu connaîtras les baisers de Bouton d’Or… oui… oui… comme ça… Hé ! Ne sois pas trop pressé ! T’es plus à Paris ! Tu as le temps… Vé comme elle aime ça, la petite ! Vé ! Et n’oublie pas son Bouton d’Or !

Nu allongé, dessin de Mihály Zichy

Je faillis m’évanouir de plaisir… peut-être même me suis-je réellement évanouie… J’essayais de tenir mon rôle, mais je ne parvenais pas à désirer les membres de l’Amicale avec la même intensité qu’à l’acoutumée.

Toine s’approcha du canapé où nous étions assis, il me prit le verre que je tenais à la main et m’invita à danser en chantonnant une mélodie à la mode. Le seul phonographe que nous possédions appartenait au père de Toine, quand nous ne pouvions ou ne voulions l’emprunter, nous chantions pour accompagner nos pas de danse.

Quinze ans plus tôt, Joli Coquelicot avait dégoté, on ne sait où, un instrument de musique qui aurait pu être une mandoline, mais personne n’en était vraiment certain. Il n’y avait que trois cordes qui n’étaient pas cassées… les autres pendaient le long du petit manche… avec le temps, il avait appris à le dompter… il ne jouait pas vraiment la mélodie, mais ces cling-cling-clang accompagnaient nos voix d’une façon qui nous convenait bien…

Joli Coquelicot prit donc son instrument et je commençai à valser dans les bras de Toine qui se mit à bander très dur contre mon ventre. Il demanda au Parisien s’il voulait danser avec moi, mais le Parisien déclina l’offre, préférant tourbillonner avec Nathalie. Je guettais avec appréhension l’érection de Valentino, me demandant quelle serait ma réaction. Mais quand il banda dur et fort, je ne vis que Maurice et Maurice, je pouvais le partager sans problème !

Maurice ne coucha pas avec Nathalie, il la caressa à peine, mais il avait une bonne raison pour cela. S’il avait succombé à mes charmes, c’est que je lui rappelais son amour de jeunesse, une fille d’Alsaciens qu’il avait connue à Paris, quand il était enfant…

La journée s’acheva entre rires, pas de danses, chansons plus ou moins romantiques, très souvent grivoises, considérations sur la météo, le temps qui passe et notre jeunesse envolée. Barjaco avait prévenu son cousin « Ne t’avise pas de discuter politique ! On a eu assez d’une guerre pour ne pas nous étriper entre nous avec la politique ! »

Maurice, curieux, me demanda ce qui m’avait conduite en Provence. J’allais lui répondre quand Pierrot lui raconta le début de notre histoire, comment sa jolie petite marraine de guerre avait quitté sa Normandie pour venir le voir à l’arrière, comment de retour dans la ferme familiale, j’en avais été chassée, comment il m’avait proposé de venir l’attendre dans son village. Nathalie prit le relais et raconta notre amitié qui nous permit de supporter l’absence, la crainte d’apprendre la mort de nos promis… comment mes habitudes, ma tenue, mon langage, mon accent l’avaient déroutée. Elle raconta ma découverte du mistral, du garbin, de tous ces vents qui m’étaient jusqu’alors inconnus. Elle raconta aussi comment, elle m’avait fait apprécier la cuisine provençale.

Et surtout l’huile d’olive…

Toine avait sauté sur l’occasion pour lui raconter notre séjour à Nice, qu’il promit de faire visiter au Parisien. Je les écoutais, les uns après les autres, parler de moi, raconter mes découvertes, nos ébats, nos éclats de rire, aucun n’évoquait de souvenirs déplaisants ou peu flatteurs. Quand ils me moquaient, c’était de la taquinerie bienveillante. Bouche Divine ne put s’empêcher d’évoquer les longs entretiens qui leur permirent de supporter les cauchemars en attendant de les oublier.

C’est sur une invitation lancée à Maurice de faire partie de l’Amicale que nos compagnons rentrèrent chez eux. Quand nous ne fûmes plus que six, Pierrot, Toine, Nathalie, Barjaco, son « cousin » et moi, nous nous laissâmes enfin aller. Barjaco ajustait sa tenue devant le miroir, il était convenu qu’il rentrerait seul à la ferme, puisque Maurice, son cousin, le Parisien, avait promis de réparer le banc.

Quand même… j’te retiens… ! « Le Parisien » !

Toine éclata de rire.

Plains-toi ! J’aurais pu dire « le Puceau » !

Si vous vous demandez qu’elle aurait été la playlist de Rosalie et sa bande, vous pouvez cliquer sur cette phrase et vous tomberez sur une première sélection de chansons.

Le Balafré enlève Monique et la conduit vers de nouvelles aventures…

En ouvrant une boîte

Présentation baladeImaginez une boîte, un peu vintage, un peu désuette, une boîte qui sent les souvenirs enfouis, amassés au long des années, au gré des héritages… des vieilles photos, de vieilles gravures, une illustration arrachée d’un journal, d’une revue… toutes ces petites choses dont la signification s’est perdue avec le temps, avec le souffle de ceux qui se sont tus à tout jamais… cette boîte qu’on se décide à ouvrir, une promesse est une promesse ! « Je ferai un tri avant l’été de tout ce bordel accumulé au cours des années »

Balade dans les instantanés« Qui m’a refourgué cette boîte ? Que contient-elle au juste ? »

En l’ouvrant, l’odeur se fait plus intense… une première photo… je la retourne et découvre la raison de sa présence… je suis happée par les mots… à qui s’adressaient-ils ?

Je vous propose de me suivre dans ce parcours initiatique… à la fin de chaque texte, le lien vous renverra non pas vers l’instantané qui le suit chronologiquement, mais vers celui indiqué par mon humeur du jour…

Et si nous débutions par un petit tour à vélo ?