
Mon cher monsieur Dumont,
Ces derniers temps, je fais régulièrement des rêves érotiques. En y repensant, je réalise deux choses qui pourraient t’inciter à rire, si tu n’étais pas mon ami.
La première, c’est que jusqu’à présent, je n’en faisais pas beaucoup. Si l’euphémisation, la fausse modestie de l’exagération, était dans ma nature (or, tu sais, il n’en est rien… ah, ah !), j’affirmerais pouvoir les compter sur les doigts d’une seule main… de lépreux.
La seconde, c’est que l’érotisme de mes rêves érotiques est pour le moins atypique. Aucun corps dénudé, même partiellement, aucune étreinte, aucun cri, soupir ou gémissement et pour tout te dire, rien d’autre qu’une pâquerette ondulant sous le vent.
Pourtant, je me réveille excitée comme un moustique qui trouverait la clé universelle ouvrant toutes les banques du sang. Mon cœur bat à tout rompre, mon corps frémit d’un désir violent et une seule pensée m’obsède au point de résonner dans ma tête « Du sexe, du sexe, du sexe ! Je veux du sexe ! »
C’est dans cet état, la tête pleine de ces mots et le corps plein de désirs qui ne demandaient qu’à être assouvis, que je me suis réveillée ce matin.
J’étais sur le point de prendre mon RER pour aller au boulot, le quai grouillait de monde quand la rame déjà bondée a fait son entrée dans la station. Ça se bousculait dans tous les sens pour monter dedans. J’ai poussé un soupir de découragement avant de faire demi-tour.
J’ai téléphoné à ma collègue pour lui dire que j’avais complètement oublié de poser un RTT alors qu’un rendez-vous avait été pris avec mon avocat pour les papiers du divorce. Pleine de compassion, elle m’a promis d’expliquer tout ça à notre chef de service et qu’il serait bien temps de régulariser lundi. À toutes fins utiles, je te précise que je n’ai conçu aucune honte à mentir de la sorte.
Puisque j’étais d’humeur téléphoniste, j’ai appelé Titi, sait-on jamais, il pourrait être disponible.
– Allô ?
– C’est moi.
– J’avais vu, c’est pour quoi ?
– Ben… un coup de tube, un coup de teub !
Il a failli s’étouffer en éclatant de rire. Je lui ai expliqué qu’il y a des années, en chinant dans les encombrants de mon quartier, j’avais trouvé toute un lot de cassettes audio sans titre, d’artistes aussi divers qu’inconnus, du moins de moi, et que dans l’une d’elles, il y avait une chanson où il était question d’un mec amoureux d’une sexophoniste, qui se vidait la carte bleue à coup de téléphone rose. Le refrain de cette chanson était « Un coup de tube, un coup de teub », que je venais de m’en souvenir et que ça résumait bien la raison de mon appel.
On se retrouve Porte de Bercy, je mets le bandeau sur mes yeux et on roule en silence pendant un certain temps, que je serais incapable d’estimer.
– Tiens, puisque tu sembles aimer les belles chansons d’amour, je me suis dit que ça pourrait te plaire.
Il a mis son autoradio en marche. Elmer foodbeat. Je réponds à sa question, non, ce n’était pas ce groupe qui chantait la chanson dont je lui ai parlé au téléphone. L’humeur est à la rigolade un brin paillarde quand résonne l’intro de Daniela. C’est fou comme après toutes ces années les paroles me sont revenues en tête. Soudain, un drôle de doute m’assaille
– C’est pour me signaler qu’il y aura des copains qui vont passer ?
– Ah ça non ! Je ne suis pas partageur !
– Jaloux ?
– Du tout, mais pas partageur pendant la chose… les partouzes, c’est pas mon truc, c’est tout.
– Pourquoi ?
– Ça finit toujours en concours de quéquette pour les hommes et en concours de salopes pour les femmes… Si je fais reluire une femme, je veux être sûr d’y être pour quelque chose, pas parce qu’elle est excitée par ce qui se passe à côté, tu vois ce que je veux dire ?
– Tout à fait et, quitte à te choquer, je partage ton point de vue.
– Pourquoi ça me choquerait ?
– On n’est pas vraiment sur la même longueur d’onde, en règle générale.
– Sauf question cul et là, on parle de cul, non ?
– Ta main…
– On arrive, ma belle, on arrive !
– Je note que je passe de salope à belle…
– Salope, c’est dans l’intimité ou quand j’ai la main à la place de ta culotte.
Nous entrons dans la caravane. Il fait une chaleur à crever. Je retire le bandeau qui recouvrait mes yeux. Titi se dirige vers un minuscule frigo, il en sort une bière et se dit désolé de ne pas avoir un thé gourmand à me proposer.
– T’es pas obligé de le dire avec la bouche en cul de poule !
– C’est pas comme ça qu’on fait dans ton monde ? Chez les artistes intellos ?
– Pff, le cliché ! D’où t’as vu que je fréquente ce monde ?
– Ça me plaît de t’imaginer dans ce milieu de culs serrés par les bonnes manières, entourée de tous ces mecs sapés à ton goût, parlant avec des mots choisis de sujets tellement profonds, tellement… intelligents, tellement… et pis tu te dis qu’en fin de compte, tu préférerais passer la soirée avec Titi… ouais, avec Titi et sa baguette magique…
– Je préfère ne pas répondre… Bon, avant que je meure de soif, t’as quoi d’autre de frais à me proposer ?
– De la Badoit… je peux te faire un mojito, si tu veux…
– Un mojito sans feuille de menthe ?! C’est osé !
– Mais j’en ai ! Tiens, regarde !
Il sort un bac à glaçon avec des feuilles de menthe prises dans la glace. « Jamais pris au dépourvu, toujours prêt à surmonter l’imprévu, telle est la devise du play-boy prévoyant ! » J’éclate de rire, mais je me reprends aussitôt.
Je décide, sans en avertir Titi, d’endosser le costume de Geneviève Duval, snobinarde évoluant dans le milieu de l’art, avec plein de « â », qui découvre le plaisir pulsionnel dans les bras d’un rustre banlieusard.
Les yeux dans le vague, un poing serré sous le menton je lui indique à quel point je suis plongée dans mes pensées, à quel point j’ai plongé dans leur profondeur. Du coin de l’œil, j’observe Titi amusé.
– Quelle chaleur ! « Goûtez pendant quelques heures aux joies du caravaning et découvrez ce plaisir simple qui réjouit les classes populaires ! » Tu parles ! De toute façon, seule dans cette… caravane…
Je déboutonne mon chemisier et m’évente en agitant les pans de soie. Hélas, ce n’est pas suffisant pour me rafraîchir. Je prends alors le verre embué, ruisselant posé sur la table et je le fais rouler contre ma peau, entre mes seins. Soudain, je sursaute.
– Tiens, ils ont même pensé à mettre un mannequin par souci de réalisme ! C’est vrai, la promiscuité… c’est populaire… Oh, comme il est réussi ! On pourrait le croire vivant ! Voyons voir si vous bandez, monsieur l’ouvrier en congés payés !
Je pose ma main sur son bas-ventre, sursaute une nouvelle fois avant de me confondre en excuses.
– Oh ! Pardon, monsieur… je vous avais pris pour… un…
– Je sais, je suis pas sourd !
– Comment pourrais-je me faire pardonner ?
– Pour commencer en reposant vot’ main là d’où vous venez de l’ôter ! Oui… comme ça… oui… continuez comme ça !
– Mon cœur s’emballe… voulez-vous y poser les mains… à toutes fins… utiles… au cas où…
– Ça vous dirait un p’tit surclassement, qui vous serait pas facturé ? Un p’tit surclassement juste entre vous et moi ? Genre « découvrez comment les prolos prennent leur pied au milieu de toute cette misère » ?
– Oh ! Vous me feriez ce cadeau ?! Ce merveilleux cadeau ?
– Bah ça, pour sûr, quitte à œuvrer pour la promotion du prolétariat, autant y aller à fond !
Il m’invite à m’asseoir, ouvre sa braguette, se ravise et décide de retirer carrément son jean.
– Voyons voir si cette bouche est capable d’autre chose que de dire de jolies phrases…
– Vous… vous voulez dire… ma bouche… votre… Votre… dans ma bouche ? Comme dans les romans ?!
– Je sais pas quels romans tu… Oh, putain ! Oui… comme ça ! Oh… oui ! Ouvre les yeux… regarde-moi comme la femme respectable que tu es et qui a envie de libérer la salope qui sommeille en elle entre mes bras !
Il se tait. Je le suce, guidée par ses grognements, ses soupirs qui déchirent le silence comme autant de coups de fouet lacérant un paravent de soie. Titi m’entraîne vers le lit. Il sort une capote du tiroir de la table de chevet, me montre l’emballage.

– Ça, c’est de la capote de prolétaire ! Vous en avez pas des comme ça, chez les aristos !
Je ne peux réprimer un éclat de rire, cependant, je rendosse aussitôt le rôle de Geneviève Duval.
– Comme on dit par chez nous, les nantis, les intellos, les bourgeois, les bobos, bref ceusses de la haute, ils ont le cœur sec comme un coup de trique, voyons voir si c’est le cas des chattes de leurs dames… Ah ben, non ! Mais c’est qu’elle mouille comme une gentille prolo, mâââdâme l’intello ! Oh la la, voyez-moi ça, ça glisse tellement, c’est tellement ouvert qu’on pourrait y mettre le poing !
– Je vous assure que c’est la première fois que ça m’arrive ! Dois-je m’en excuser ?
– Pas le moins du monde ! C’est juste que sans le savoir, vous aimez le sexe inter… euh… inter classes sociales !
Il décide d’opter pour ce que nous appelons « la formule entrée, plat, dessert et café gourmand ». La formule nous devient habituelle, mais puisqu’elle nous convient à tous les deux, pourquoi nous en priverions-nous ?
Dans le but de réellement promouvoir la baise prolétaire, après une première levrette, une première cravate de notaire (ou branlette espagnole, Titi m’a expliqué la différence, mais je ne m’en souviens pas au moment d’écrire ce rapport post-coïtal), au lieu de jouir dans ma bouche, il décide de m’offrir une seconde levrette. Pendant qu’il enfile une nouvelle capote, je me mets à quatre pattes sans me coucher sur le flanc. Titi sait ce que ça signifie, toutefois, je veux lui en expliquer la raison.
– À chaque fois que j’ai tenté l’expérience, j’en ai retiré plus de douleur que de plaisir. En fait, que de la douleur et aucun plaisir. Mais quelque chose au fond de moi me dit qu’avec toi, il pourrait en être autrement… alors, si ça te tente…
– Si ça me tente ?! Si ça me tente ?! Et comment que ça me tente ! Seulement, tu vois…
Sa main glisse le long de ma raie, s’arrête sur mon anus.
– Seulement, tu vois… si tu te sens prête dans ta tête, ton corps n’est pas vraiment convaincu… Remarque comme son premier réflexe est d’éviter mon doigt… tout de suite, ton cerveau corrige le truc, mais moi, ça me prouve que ton corps n’est pas encore prêt… Alors, non, malgré que ça me coûte, je ne t’enculerai pas aujourd’hui.
Cette seconde levrette, à demi sur le flanc, me fait davantage jouir que d’ordinaire, alors que tu sais à quel point l’ordinaire avec Titi est jouissif. Quand il retire la capote qu’il met sa queue entre mes seins, je le supplie de ne pas jouir dans ma bouche, mais sur eux.
L’image de mon corps et de mon visage couverts de sperme s’impose à moi. Elle m’excite au plus haut point alors qu’elle m’avait jusque-là toujours révulsée. Titi, gentleman de la classe ouvrière, s’exécute. Je lui en suis reconnaissante et le lui dis.
Nous avons davantage de temps cette fois-ci, nous avons rejoint la caravane avant midi et il me redéposera devant l’hôtel en début de soirée. Nous en profitons pour nous papouiller, nous tripoter, nous embrasser. Partout.
– Tiens, mets-toi en position… comme je vais être absent tout le mois et pour te donner matière à réflexion…
Tremblante d’un mélange subtil d’excitation, de curiosité teintée de crainte, je lui obéis. Ses mains écartent mes fesses. Oh, putain ! Sa langue… oh, putain ! C’ que c’est bon ! Oh, pu…
– Non ! N’arrête pas !
– Tu vois… t’aimes ça, hein ?
– Et toi ?
– Si tu ouvrais les yeux et que tu voyais ma bite, tu poserais pas la question !
– Continue, alors… s’il te plaît !
Je ne sais pas comment il s’y prend, mais il me fait jouir rien qu’en léchant mon… Titi m’apprend qu’on appelle ça « une feuille de rose ». C’est plus élégant que les mots qui me venaient à l’esprit pour décrire cet instant précis.
La bite à Titi ayant retrouvé sa forme, nous baisons (« Baiser, c’est faire l’amour sans se croire obligé de se faire des promesses » dixit Titi). À nouveau, nous optons pour une « formule complète », il rigole quand je précise « avec supplément levrette ». Comme un reproche, il me dit « Tu vas finir par me faire craquer pour toi, ma jolie salope ! »
Épuisés, accablés par l’atmosphère étouffante de la caravane, nous nous allongeons sur le lit. Il fait tellement chaud, nous sommes si fatigués que nous ne trouvons pas la force de faire les trois ou quatre pas nécessaires pour atteindre le frigo garni de boissons fraîches. Je souris béatement en regardant le plafond de la caravane. Je tourne mon regard vers le visage de Titi et constate qu’il en est de même pour lui. Il me regarde presque aussitôt. On se sourit.
– Un mois, dis-tu ? Un mois à attendre ton retour ? Dans un mois, mon corps aura tout oublié… déjà, il me semble que…
– Pourrais-je vous offrir une autre feuille de rose, charmante Geneviève ? Histoire de…
– C’est proposé si gentiment… oui… Offre-moi une feuille de rose, prévenant Titi… et fais-moi encore jouir en me bouffant le cul !
Je ne sais pas combien de fois la scène s’est répétée, mais je ne sentais plus mon corps quand nous avons rejoint la voiture. Mon bandeau sur les yeux, j’ai poussé un petit cri de plaisir quand mes fesses ont touché le tissu du siège auto, chauffé par le soleil. Il me semblait sentir encore le contact de la bouche, de la langue, des doigts de Titi.
Voici, cher monsieur Dumont, le compte-rendu post-coïtal de mon dernier rendez-vous avec Titi 7-7 avec l’annonce du programme de nos frasques post congé estival à venir !
Geneviève Duval