
À toi de jouer, Geneviève ! Geneviève est le personnage que je me suis créé, une provinciale qui se rend régulièrement à Paris pour assister à des événements culturels. Depuis mon enfance, j’ai toujours aimé ce prénom, je ne sais pas pourquoi, il représentait tout à la fois, une certaine noblesse empreinte de respectabilité, d’élégance ; en devenant jeune fille, puis femme, j’y trouvais un soupçon de sensualité, voire d’érotisme, de feu sous la glace.
J’ai endossé le costume de Geneviève Duval, une jupe assez stricte pour faire sérieuse, mais qui laisse deviner que ce sérieux n’est peut-être qu’une façade, un chemisier très souple qui contraste avec la jupe, j’adore le contact de son tissu sur ma peau. Les talons de mes escarpins ne sont pas très hauts, mais ce sont des talons aiguille.
Je peaufine l’aspect extérieur de mon personnage par un maquillage léger. Une bague héritée de ma grand-mère a remplacé l’alliance à mon annulaire. Elle date des années 1920, ce qui ajoute un soupçon intemporel à son chic. Quelques gouttes de parfum judicieusement déposées sur ma peau et voilà Geneviève Duval prête à faire son entrée dans le monde !
Geneviève n’existerait pas sans cet hôtel que j’ai décidé de renommer « aux plaisirs discrets ». Peu après la séparation, j’ai décidé de me promener dans Paris, sans but précis, d’emprunter une rue parce que son nom me plaisait, ou parfois quand un immeuble attirait mon regard, ou bien la silhouette d’un passant. D’une rue à l’autre, je finissais par me perdre sans toutefois m’égarer tout à fait.
Un matin, la porte de cet hôtel s’est ouverte. Curieuse, je tentais de deviner à quoi pouvait ressembler son intérieur en jetant un coup d’œil par-dessus les épaules d’un couple qui en sortait. L’homme, avenant, m’a invitée à entrer. J’ai poliment décliné la proposition.
– Je voulais juste savoir à quoi ressemble le hall d’accueil…
L’homme a insisté.
– Hé bien, entrez donc, c’est la meilleure façon de vous en rendre compte !
Ils sont sortis. Après quelques secondes d’hésitation, je suis entrée et j’ai tout de suite succombé à son charme. Sans réfléchir, je me suis dirigée vers le comptoir de l’accueil, je me suis informée du prix des chambres et j’en ai réservée une pour le soir même. J’ai patienté quelques heures dans le petit salon où se prennent les petits-déjeuners, car il n’y a ni room service, ni mini-bar dans les chambres.
Un petit ascenseur très « début de siècle » dessert les six étages. Les chambres sont meublées dans le style des pensions de famille d’antan, un lit confortable, une commode ou une petite armoire, un petit bureau qui peut tenir lieu de coiffeuse, un fauteuil crapaud, un téléphone sur l’une des deux minuscules tables de chevet.
Sur les murs tapissés d’un papier peint désuet, aucun téléviseur, ni tableau ne sont accrochés, ces deux détails m’ont beaucoup plu, je n’aime pas cette décoration standard que l’on retrouve dans tous les hôtels de la planète. En outre, je sais que chaque chambre a une décoration qui lui est propre. Attenante à la chambre une petite salle d’eau, avec lavabo, douche et WC.
Pendant ces heures d’attente, j’ai noté mes premières impressions sur un carnet qui traînait au fond de mon sac et c’est en ouvrant porte de la chambre que Geneviève Duval a vu le jour. Moins d’une semaine après cette première nuit, dans le hall de la tour où je travaille, j’ai ramassé un flyer qui traînait par terre. Il annonçait l’inauguration d’un « bistrot galerie d’art » dans un de ces quartiers désormais branchés de la capitale. Si je n’aime pas les pince-fesses, il m’a semblé que Geneviève Duval devait les apprécier, c’est pour cette raison que je lui ai cédé ma place.
Un verre à la main, je regarde, agréablement surprise, les tableaux exposés. Le brouhaha des conversations forme une bulle dans laquelle je commence à m’isoler. Les petits groupes de quatre à six personnes déambulent, en commentant, me semble-t-il, ce qu’ils voient. Je remarque un homme seul, qui me regarde en souriant. Serait-ce une invitation muette ?
À toi de jouer, Geneviève ! Je m’approche de lui et nous entamons une conversation des plus banales. L’inauguration tire à sa fin, cet homme, Fabrice, m’invite à dîner. Invitation que j’accepte volontiers. Il me raccompagne ensuite à mon hôtel, je lui propose de terminer cette soirée dans ma chambre. Il n’osait l’espérer, mais s’excuse par avance de ne pas pouvoir passer la nuit entière à mes côtés.
Dans l’ascenseur, nous nous sommes embrassés pour la première fois, mon cœur battait la chamade à cause de cette impression bizarre de tromper mon mari. J’ai réalisé que je n’avais embrassé aucun autre homme depuis des dizaines d’années. Quand nous sommes entrés dans la chambre, je me suis laissée aller aux caresses de Fabrice. Il a été très délicat. Pendant le dîner, je lui ai un peu parlé de moi, enfin, je veux dire, j’ai fait un mix de mon histoire et de celle de Geneviève. Quoi qu’il en soit, il sait que mon divorce est récent et qu’il est le premier homme que je rencontre depuis.
Il déboutonne sa chemise, je lui demande de me déshabiller. J’ai le trac comme si je passais un examen. Quand il découvre ma poitrine, je devine son érection à travers le tissu de son pantalon. La bosse me paraît énorme. Il a dû me dire quelque chose, mais je n’ai rien entendu, je regarde cette bosse et je me demande à quoi ressemble sa bite. Cette pensée m’envahit et avec elle croît le désir. J’en ai le souffle coupé.
Fabrice soulève mon menton, pour m’obliger à détacher mon regard de son entrejambe. Il fronce les sourcils, mais son sourire est joyeux.
– Tu as de très jolis seins, Geneviève ! Ta poitrine est… superbe !
En d’autres circonstances, j’aurais demandé « pour mon âge ? », mais Geneviève accepte le compliment pour ce qu’il est.
– Tu veux bien retirer ton pantalon ?
– Tu ne préfères pas le faire toi-même ?
J’hésite. Et si je m’y prenais mal ? Si je lui faisais mal ? Je manque de me sectionner l’index avec la boucle de sa ceinture. Il sourit. Fabrice est poli, parce que je sens qu’il a contenu un éclat de rire. Il dégrafe son pantalon, mais me laisse le soin de le baisser. À peine ai-je eu le temps de le faire, d’apercevoir son gland dépasser de son caleçon qu’il s’agenouille devant moi et fait coulisser la fermeture éclair de ma jupe. Il prend tout son temps pour la retirer, je sens son souffle sur la dentelle de ma culotte, minime rempart préservant ma pudeur.
Le désir me fait tourner la tête, mes jambes vacillent. Il le remarque. Nous nous allongeons sur le lit. Il porte toujours son caleçon, mais j’ignore à quel moment il a retiré ses chaussettes. Cette pensée saugrenue me déclenche un fou-rire. J’accuse la nervosité. Il la comprend tout à fait.
Nous nous embrassons, ma main part à la rencontre de son corps et plus particulièrement d’une partie précise de son corps. Sentir ce sexe dur dans ma main m’électrise au moins tout autant que les caresses de Fabrice sur mes seins, sur mon ventre. Je ferme les yeux pour en profiter davantage.
Nous faisons l’amour avec fougue. Une pensée m’excite tout particulièrement, je voudrais que mon ex-mari nous voie, qu’il m’entende gémir, qu’il constate que malgré mes quarante-huit ans, je suis encore désirable, que je peux donner du plaisir à un inconnu sans aucune inhibition, que je peux donner du plaisir, mais surtout en prendre. Cette pensée me hante et fait naître en moi, un soupçon de frustration.
J’ai eu le temps de voir Fabrice retirer son préservatif, en faire un nœud avant de le mettre dans la poche de sa veste, un dernier baiser langoureux et je me suis endormie. À mon réveil, je trouve sa carte de visite sur le petit bureau « Au plaisir de te revoir… en toute discrétion. Fabrice ». Je la glisse dans mon petit carnet
Je m’allonge sur le lit en cherchant sur mon corps l’odeur de cette soirée. Je finis par la trouver. Je me relève, prends la carte de visite et me masturbe en relisant les mots « Au plaisir de te revoir… en toute discrétion », alors enfin, je jouis comme j’aurais voulu jouir hier, sans penser à mon ex-mari, jouir pour moi-même.
Je somnole quelques dizaines de minutes avant de me résoudre à descendre dans le petit salon. Il n’y a pas de buffet, le petit-déjeuner se commande à la réservation de la chambre. Le café est étonnamment bon, le croissant croustillant à souhait, les tartines délicieusement grillées, sans parler de la confiture qui a le goût de mes vacances chez mes grands-parents.
Assise à ma table, j’observe les rares convives, trois hommes seuls et deux couples. Je me sens enfin chez moi. Dès lors, je décide d’offrir régulièrement à Geneviève Duval des petits séjours à l’hôtel des plaisirs discrets.