Back to the city again – Onzième épisode

Nous voici, mon mari et moi, tous seuls dans la maisonnette. Notre conjoint est retourné à Paris pour signer le bail de location. Il en profitera également pour transbahuter ses quelques affaires restantes dans notre propre appartement. En l’accompagnant à la gare, nous lui avons demandé de rentrer au plus vite. Il a souri « Mais vous êtes ici chez vous, désormais ! » En fait, je n’avais aucun doute à ce propos, mais un petit diablotin m’a taquiné l’oreille en me suggérant de le prendre au mot.

Notre conjoint est parti dimanche, nous en avons profité pour rayonner dans la région, parce que nous ne connaissons guère que les deux bourgs entre lesquels se trouve la maison et un peu plus loin, la ville où se trouve la gare. Nous nous faisons la remarque que, malgré quelques différences, nous retrouvons partout en France une même forme de villages, de traditions. Ce que j’appelle, avec une pointe de tendre ironie, les foires au boudin et leur inévitable vide-grenier.

Lundi, nous recevons un nouvel appel de notre conjoint, il nous prévient qu’il sera accompagné de sa fille. « Je n’ai pas pu lui refuser… en fait, je n’en avais pas envie parce que je veux qu’elle sache pourquoi je suis enfin heureux. Du coup, pas besoin de venir me chercher à la gare, on prend sa voiture. »

Mon époux adoré et moi préparons une collation dans la cuisine quand notre conjoint arrive avec sa fille. Une belle femme souriante qui semble intimidée sans l’être tout à fait. Après avoir salué sa fille, mon mari étreint notre compagnon qui m’embrasse aussitôt, ne laissant place à aucun doute quant à notre relation. Sa fille écarquille les yeux, balbutie quelques mots incompréhensibles. Son père tient à la rassurer

– L’avantage, c’est que tu resteras ma fille unique…

– Mais… tu veux dire que… tu… avec… ?

– Oui, quand je te dis que je partage ma vie avec eux, ça inclut aussi le sexe !

– Papa !

– Quoi, papa ? Que croyais-tu ?

– Pas ça en tout cas… je pensais que tu avais ta chambre et que vous aviez la vôtre…

– Eh bien, tu te trompais !

– Dire que pendant toutes ces années, je vous ai menti, à toi et à maman… je me sens idiote…

– Comment ça, tu nous as menti ? Aurais-tu un enfant caché ?

– Ah non ! Ça ne risque pas !

– Alors ?

– Je crois qu’elle veut t’avouer… te dire qu’elle préfère les femmes… n’est-ce pas ?

– Co… comment l’avez-vous deviné ?

– Je préfère que tu me dises tu… Je ne sais pas… ça m’est apparu comme une évidence…

Notre conjoint encaisse cette révélation comme un boxeur acculé dans les cordes se prend un direct à l’estomac. L’homosexualité de sa fille ne lui pose pas de problème, mais apprendre qu’elle craignait sa réaction l’attriste au plus haut point. Il le lui dit avec un naturel qui la surprend, avec la même aisance, il lui explique que notre relation, notre histoire d’amour y est pour beaucoup.

Serait-elle prête à lui, à nous présenter sa petite amie ? À nouveau, son embarras est palpable, quel autre secret hésite-t-elle à révéler ?

– Je n’ai pas de petite amie à vous présenter…

– Tu es célibataire en ce moment, c’est ça ?

– Non…

Elle s’accroche à mon regard comme un presque noyé s’accroche à la première branche venue, avec l’espoir de ne pas sombrer. Elle prend une profonde inspiration.

– Je n’ai pas de petite amie à vous présenter parce que je n’ai pas de relation suivie… Je n’ai pas envie de m’installer avec quelqu’une. Je ne veux pas d’une vie de couple, je ne veux pas avoir de compte à rendre… Je ne veux pas m’allonger aux côtés d’une femme que je ne désire pas… que je ne désire plus… Je ne veux pas… (ses yeux se mouillent, sa voix tremble un peu) je ne veux pas m’ennuyer au lit… J’aime séduire et être séduite, j’aime cette excitation particulière, mais une relation apaisée… le quotidien… non… ce n’est pas pour moi. Ne me juge pas, papa…

– Et pourquoi voudrais-tu que je te juge ?

– Je ne savais pas pour vous trois… je t’imaginais… vieux garçon… un peu coincé… qui fait semblant de parler de cul comme d’une plaisanterie graveleuse…

– Mais… même avant, je ne t’aurais pas jugée ! Tu es ma fille, même si je ne suis pas très démonstratif, ce que je souhaite, c’est de te savoir heureuse ! Quels que soient tes choix !

– Toi non plus, tu n’assumais pas tes tiens… il a fallu que tu sois à la retraite, que tu décides de t’installer ici pour me parler de ta vie intime… pendant toutes ces années, tu ne m’en as rien dit.

– Toutes ces années… toutes ces années… si seulement… Tu te rappelles du réveillon du Nouvel-An ? Celui que nous aurions dû passer tous les deux et que tu as été obligée d’annuler à cause du COVID, tu t’en souviens ? Ce soir-là, j’ai couru pour prendre l’ascenseur, ils ont retenu la porte, nous avons fait connaissance seulement dans l’ascenseur…

– Je t’en prie, non, mon chéri ! Non, ne dis pas n’importe quoi ! Dans l’ascenseur, nous n’avons fait que parler… pour qui allons-nous passer ?!

Presque sans nous en rendre compte, nous grignotons la collation tout en parlant de choses qui nous semblent essentielles. Mon époux propose que l’on s’installe sur la terrasse, mais le ciel est menaçant. Nous jugeons plus raisonnable de nous poser dans la pièce principale qui tient lieu de salle à manger et de salon. Je fais un clin d’œil à mon mari quand nous entendons le cri de surprise de notre conjoint.

– C’est quoi ces horreurs, papa ? Tu récupères les boîtes de chocolat pour ta déco, maintenant ?!

– Euh… je t’assure que je n’y suis pour rien, c’est… pourquoi vous avez fait ça ?

– Tu nous as bien précisé qu’on était chez nous, non ?

– Et d’une ! Et de deux, estime-toi heureux qu’on n’ait pas trouvé la belle tapisserie du cerf bramant dans un sous-bois ! Sinon… tu penses bien…

– Vous ne m’épargnerez rien, vous deux ! Et si j’avais fait une crise cardiaque ?

– Je t’aurais fait du bouche-à-bouche, mon fringuant ! Et toi, jeune fille, apprends que je ne mangerais pour rien au monde des chocolats qui sortiraient de boîtes aussi tartignoles !

– Mon cher, admets que tu n’es pas très reconnaissant, quand même, parce qu’on s’est donné un mal de chien à trouver des cadres aussi kitsch que ces… ces œuvres picturales !

– Sans parler du boulot pour les dépoussiérer ces putains de cadres… ! On les avait déjà installés quand tu nous as prévenu que tu venais avec ta fille… sinon, tu penses bien que…

– Je comprends mieux pourquoi tu es si heureux, papa, tu as trouvé des gens avec ton sens de l’humour… ton humour de merde… !

– Tu y vas fort ! Je le qualifierais plutôt d’humour… euh… d’humour… euh…

– De merde… d’humour de merde, c’est bien ce que je disais !

Nous éclatons de rire tous les quatre, pour la première fois. Personne ne remarque qu’elle regarde son père comme si elle le découvrait, comme si elle prenait conscience de l’homme tapi sous le papa. Je suis touchée des sourires qu’elle m’adresse quand elle croit que je ne la vois pas. Mon mari et notre conjoint sont dans la cuisine « pour déboucher une bonne bouteille ».

– Je n’avais jamais remarqué à quel point il est beau… Je crois que je ne l’ai jamais vu aussi heureux… Comment vous remercier ?

– Nous remercier de quoi ? Tu ne crois pas qu’on lui est aussi redevable ? Tu ne crois pas qu’il nous rend au moins autant heureux que nous le rendons heureux ?

– Tout à l’heure, tu as éludé la question… suis-je indiscrète si je te demande comment tout a commencé ?

– Si je te dis que c’est parce que notre congélateur était plein et que ton père n’en avait pas, tu me crois ?

– Euh… c’est trop bizarre pour que ce soit de l’humour… alors, je serais tentée de dire oui, mais… Ce n’est qu’une partie de la vérité, n’est-ce pas ?

– On avait fait les achats pour un repas de fête, on attendait nos enfants, leurs épouses et nos petits-enfants, on devait être onze à table, mais en sortant de la boucherie, ils ont annulé, les uns après les autres… à cause du COVID… On était dans l’ascenseur quand ton père est arrivé en courant… Non ! Ne souris pas, il courait. Pour de vrai ! Tu venais d’annuler votre soirée, parce que tu étais toi aussi positive au COVID… alors, de fil en aiguille, on a passé quelques jours ensemble. Histoire de ne pas jeter cette bonne nourriture… Vu ton air gêné, je pense qu’il est préférable que je m’en tienne là, n’est-ce pas ?

– Non, c’est pas ça… (un large sourire éclaire son visage) Tu peux garder un secret ? Je n’avais pas le COVID, mais on m’a invitée à une fête… Je n’ai pas trouvé de meilleure excuse… Tu sais, je m’en voulais d’avoir laissé tomber papa pour une… pour une soirée… mais finalement…

– Finalement, tu nous as offert la possibilité de vivre une magnifique histoire d’amour… parce que ce n’est pas qu’un plan cul, tu sais, c’est vraiment l’amour qui nous unit, tous les trois… En tout cas, merci pour ce merveilleux cadeau !

– De quel merveilleux cadeau vous parlez, toutes les deux ?

– J’ai donné ma parole, alors motus et bouche clapet ! Ta fille te le dira si tu es sage.

La discussion se poursuit, mais j’ai l’esprit ailleurs. Je me demande si les gamins ne nous ont pas menti, eux aussi. Une flèche désagréable me transperce le cœur et c’est mon orgueil qui saigne. Pourtant… d’un autre côté… même si leur excuse était mensongère… sans elle, nous n’aurions jamais passé ces premiers jours avec lui… C’est vrai qu’il est beau ! Mon mari adoré embellit de jour en jour… et moi… moi… je me sens belle et quand je croise mon reflet dans un miroir, je me vois belle… Je n’ai plus peur d’être la femme que je suis. Alors, est-ce si important de savoir si nos gamins nous ont menti ?

– À quoi tu penses, mon ange ?

J’ai l’impression de réintégrer la conversation, comme si j’atterrissais… comme si, assise sur le nuage de mes pensées, notre conjoint me faisait revenir à la réalité en m’interpellant.

– À rien, j’étais perdue dans mes pensées…

Mon époux et moi pensions que la fille de notre conjoint dormirait dans la maison, à cet effet nous avions préparé sa chambre, mais puisqu’elle imaginait notre relation purement amicale, elle a pris ses dispositions. J’aime son sourire énigmatique sans l’être qui nous laisse supposer la nature de ces dispositions. Son père souhaiterait qu’elle reste au moins dîner avec nous.

– Ne crois pas que je critique ta façon de voir les choses, ta façon de faire, mais je me vois mal arriver en disant « Salut, je viens pour la nuit de baise ! »… J’apprécie y mettre les formes, tu vois… je ne suis pas un bouc en rut !

– Ton père ne l’est en rien ! Je crois que tu nous juges un peu trop sévèrement !

– Tu prends la défense de mon père en oubliant son héritage qui coule dans mes veines !

– L’humour de merde, c’est ça ?

Elle rit en me faisant oui de la tête. Avant de s’en aller, elle me serre fort dans ses bras, m’embrasse et répète ce qu’elle vient de dire à son père et à mon époux, elle reviendra au plus vite pour faire plus ample connaissance avec « ma belle-mère et son époux ». Dans le creux de l’oreille, dans un souffle, elle me remercie encore d’avoir rendu son père à la vie. Ma gorge se noue.

– Il va quand même falloir décrocher ces trois horreurs au plus vite… vous comptiez garder les cadres ?

– Je n’y ai pas réfléchi, qu’en penses-tu mon chéri ?

– Je me demande comment on peut prendre du plaisir à regarder ces… Où les avez-vous trouvés ?

– Au vide-grenier que tu m’avais signalé, j’ai cru que c’était une façon de nous inciter à acheter de l’art local… quant au plaisir qu’on peut y prendre, j’ai bien une petite idée…

– Laquelle, mon ange, laquelle ?

– Je brûle aussi de l’apprendre, ma chérie !

Je leur demande d’installer la grande table face aux tableaux, à un mètre du bord de la table, nous disposons trois chaises côte à côte. Je les invite à s’asseoir, mon mari à ma gauche, notre conjoint à ma droite et à regarder les tableaux attentivement, dans leurs moindres détails.

Après une ou deux minutes, tournant le dos au mur, je me mets à califourchon sur les cuisses de notre conjoint. Je me tortille, en lui demandant de me décrire une des trois images. Je lui interdis, bien évidemment, de regarder par-dessus mon épaule. Il se plaint d’être à l’étroit dans son pantalon. Je l’autorise à le retirer à condition qu’il réponde à une question précise. Il n’a pas observé « ces charmantes œuvres d’art » avec assez d’attention, il est donc incapable d’y répondre.

Je lui offre une seconde chance, en me relevant pour faire de même avec mon époux, qui, plus malin, a anticipé l’inconfort et a déjà retiré son pantalon. Malgré tout, il est incapable de répondre à ma question. Il affirme que sa mémoire lui joue des tours à cause de l’érection provoquée par le contact de mon corps sur le sien. Je fais semblant d’y croire et lui accorde un baiser langoureux.

Je retourne sur les cuisses de notre conjoint. Je lui fais les gros yeux, parce qu’il ne m’a pas obéi. Il argue qu’il ne m’a pas désobéi non plus… l’argument est tendancieux, mais je me montre magnanime en concédant qu’ouvrir sa braguette et en sortir « sa grosse pine aussi dure que le granit le plus dur » n’est pas retirer son pantalon. Il réclame un baiser que je lui refuse. Il approche son visage du mien, je sens le rythme de son souffle sur mes lèvres qu’il caresse du bout de l’index. « Tu ne les aimes plus, mes baisers, maintenant ? » On pourra dire ce que l’on voudra, mais les hommes sont vraiment fourbes !

Notre baiser manque de me faire oublier la finalité de l’exercice. Une chance que mon mari, en se raclant la gorge, me fasse revenir à la réalité. Je pose une question à notre conjoint, qui y répond sans se tromper. Je lui offre un nouveau baiser avant de me mettre debout et d’inviter mon époux à en faire autant.

Je retire ma robe que je n’avais que relevée durant cette interrogation surprise, me penche au-dessus la table. Mon mari n’a pas besoin d’explication pour comprendre ce que j’attends de lui ! Quand je sens son gland taquiner ma vulve, comme s’il cherchait l’entrée de mon vagin, ma voix devient rauque et la chair de poule remplace le tissu qui recouvrait ma peau.

Je lui demande enfin de décrire précisément le plaisir qu’il prend à me faire l’amour en présence de son cher ami, à verbaliser la moindre de ses sensations physiques sans cesser de regarder les images accrochées au mur. De cette façon, quand son regard tombera par hasard sur l’une d’entre elles, le souvenir de cette admirable levrette et des sensations qu’elle nous aura offertes, lui viendra immédiatement à l’esprit.

J’aime ses mots, crus et délicats qui répondent à mes grognements de plaisir. J’aime l’entendre demander à notre conjoint l’autorisation de jouir dans ma chatte « à moins que vous ne préféreriez que je le fasse dans la bouche de notre petite femme ». Et ce cri libérateur quand il s’enfonce au plus profond de mon vagin pour y déverser le nectar de son plaisir ! En y repensant, j’en ai encore les jambes qui tremblent.

– À ton tour, mon sémillant, à ton tour !

Notre conjoint ne se fait pas prier. J’attends qu’il ait prononcé les mots pour décrire le plaisir de me pénétrer « encore bouillante et vibrante du plaisir que vous avez pris ensemble et encore pleine de votre foutre » pour lui annoncer qu’il devra répondre à une dernière question avant de passer à la description de ses sensations.

– Quelle est la question, mon ange ?

– Mon chéri, est-ce que notre conjoint regarde bien attentivement les images ?

– Oui

– Au lieu de n’être que notre conjoint, accepterais-tu d’être notre coépoux ?

Je n’entends pas sa réponse, parce que le fait d’avoir osé poser cette question, et ce qu’elle revêt à mes yeux me plonge dans un état second. Je ne mémorise que le lilas en fleurs sur le grand tableau. Et aussi, je me dis que je dois faire un rêve érotique parce que le plaisir que je suis en train de prendre ne peut être qu’irréel. Il ne l’est pas, surtout cet incroyable plaisir est partagé.

Avant de passer à table, nous nous embrassons avec tout notre amour, je partage ma bouche et ma langue avec mes deux époux. Mon cœur bat la chamade et mon cerveau flotte dans un océan joyeusement déchaîné.

Généralement, nos repas sont animés, mais ce soir, nous sommes silencieux, unis par les mêmes pensées, mais silencieux. Nous chipotons du bout de nos fourchettes dans nos assiettes, mais nous ne mangeons pas vraiment. Ça peut paraître idiot, parce que le fait de dire « coépoux » au lieu de « conjoint » ne change rien à notre relation, pourtant… je suis encore toute chamboulée de mon audace (bien relative) et mes deux hommes sont encore sous le coup de ce nouveau statut (si tant est qu’il le soit).

– C’est malin, avec vos conneries, maintenant on va hésiter à décrocher ces horreurs !

L’ambiance se détend aussitôt que je leur adresse ce reproche. Nous finissons de dîner dans le brouhaha habituel et de bon appétit. Quand je le leur fais remarquer, ils sourient.

– C’est qu’on a intérêt à prendre des forces, mon ange, avec la nuit de noces qui nous attend !