
Je ferme les yeux pour savourer ce premier baiser. Je me demande de quand date la dernière pelle que j’ai roulée à mon époux. Avec les années, nous en avons perdu l’habitude. Nous nous satisfaisons de simples baisers sur la bouche, plus ou moins humides, mais des vraies galoches, celles dignes des premières boums adolescentes… je ne saurais dire.
Nos trois estomacs se sont bruyamment manifestés en même temps. Nous nous sommes rhabillés, un reliquat de pudeur qui pourrait paraître incongru, avant de rejoindre le salon. Seuls nos pieds sont restés nus. Je bénis intérieurement le chauffage par le sol, que j’ai tant maudit quand nous avons emménagé. Je sens que mes cheveux sont en désordre, je tente de les recoiffer du bout des doigts ce qui amuse mon mari.
– Vous noterez, cher ami, que mon épouse tient plus à se présenter coiffée devant vous qu’à reboutonner son chemisier.
– Je ne m’en plaindrai pas !
Nous grignotons, chacun d’entre nous devine chez les autres le désir de partager notre sentiment sur cette expérience, mais aucun n’ose prononcer les premiers mots. Les heures passent, on parle de choses et d’autres, de souvenirs communs et différents, un peu comme des anciens combattants qui n’auraient pas combattu dans les mêmes tranchées. Nous parlons de nos espoirs, de nos déceptions, de nos joies et de nos victoires.
Les yeux dans le vide, je remarque toutefois, dans le reflet de la porte-fenêtre, ma coiffure restée en désordre malgré mon recoiffage express en sortant de la chambre. En me servant de ce reflet comme d’un miroir, je m’applique à me recoiffer avec mes doigts en guise de peigne.
– Sentir vos cheveux caresser mon bras, tout à l’heure… quelle expérience ! J’ai été obligé de me branler de l’autre main pour ne pas jouir trop vite… Et je ne parle pas de votre souffle… N’y voyez aucun reproche, c’était… indescriptible !
Mon mari s’apprête à parler quand nous entendons des cris. De part et d’autre, des voix hurlent le compte à rebours. Il me semble entendre le bruit amplifié de milliers de bouchons de Champagne arrachés de leur bouteille en une douce explosion. Il me semble entendre aussi des milliers de voix hurler « Bonne année ! »
Comme tous les ans, nous avons accroché un petit bouquet de gui au lustre de notre salon. Nous nous levons, j’embrasse mon époux et je tends la main vers notre voisin pour l’inviter à me rejoindre. Je voulais l’embrasser sur la bouche « en toute amitié », mais mes lèvres se sont ouvertes, les siennes aussi et à nouveau je tombe sous le charme de nos langues, de nos salives. Je ne sais pas combien de temps dure ce baiser, mais je voudrais qu’il ne s’arrête jamais. Ses lèvres se décollent des miennes, je regarde mon époux qui semble heureux comme je ne l’avais pas vu heureux depuis longtemps.
– Bonne année, cher ami ! Embrassons-nous une fois encore sous le gui !
Notre baiser est tout aussi magique et, pour ajouter une dose supplémentaire de plaisir, notre voisin me serre si fort contre son corps que je sens son érection contre mon ventre. Je regarde mon mari et constate qu’il bande aussi. Quant à moi, je ne suis que désir.
Tous trois assis sur le canapé un peu trop étroit pour garder nos distances, nous arrivons à la conclusion que si un plan à deux et demi était idéal pour terminer l’année 2021 en beauté, un plan à trois serait de bon augure pour débuter 2022.
Je me lève, invite notre voisin à me suivre, mais demande à mon époux d’attendre quelques minutes avant de nous rejoindre. Il accepte à condition, toutefois, que j’embrasse encore une fois notre nouvel ami parce que ce spectacle l’excite à un point qu’il n’aurait jamais soupçonné.