Le carnet retrouvé – Vendredi 22 décembre 1944

Hier soir, quand je suis arrivée devant la porte de la chambre de Jean-Baptiste, elle était entrouverte (elle ne l’est jamais). J’ai toqué discrètement et je suis entrée. Jean-Baptiste était assis, il lisait une lettre. Il m’a regardée en souriant comme j’aime tant le voir sourire. Il a soigneusement replié la lettre, l’a remise dans son enveloppe et l’a rangée dans un des livres de sa bibliothèque. Un paquet ficelé trônait au milieu de la table.

Le temps d’ôter mon manteau, mon écharpe, mon chapeau, Jean-Baptiste a repris sa place sur sa chaise. Je n’avais pas fini de retirer mes gants qu’il me reprochait de ne pas donner de mes nouvelles à mes parents. J’ai levé les yeux au ciel.

– Ils nous remercient pour les photos, trois des quatre clichés ont trouvé place dans l’album de famille, le quatrième est désormais encadré et posé sur le buffet. J’ignore lequel, pour le savoir, il nous faudra leur rendre une nouvelle visite. Ta maman ne savait pas quand le colis me parviendrait, mais dans sa lettre, elle me recommande de l’ouvrir au plus vite. Dois-je attendre Noël ou crois-tu que je peux le faire dès maintenant ?

Je lui ai répondu que si maman lui conseillait de l’ouvrir au plus vite, c’est qu’il doit contenir des denrées périssables. Jean-Baptiste a souri. « Je crois surtout que tu es aussi curieuse que moi de savoir ce qu’il contient. Aussi curieuse sinon plus ! » Je n’ai même pas cherché à le nier.

Comment fait-il pour être plus beau chaque jour ? Plus irrésistible ? Je n’aurais jamais imaginé que l’amour puisse être aussi rassurant. En plus du reste, je découvre le bonheur qu’apporte la confiance que nous avons l’un dans l’autre. Il sait lire dans mon regard quand sa ruse fonctionne, quand je tombe dans le panneau, mais il sait aussi s’arrêter à temps. C’est pareil de mon côté.

Jean-Baptiste m’agaçait à prendre tout son temps, à soupeser le colis, à le secouer, à le porter à son oreille et à le renifler comme si ça pouvait l’aider à en deviner le contenu. Il ne le cherchait pas vraiment, ce qui comptait c’était de me faire enrager. Et le pire, c’est que ça fonctionnait à merveille ! Je pouvais le lire dans son regard, dans son sourire.

Je voudrais ne jamais oublier les pensées qui me traversaient l’esprit tandis qu’il dénouait la ficelle de ses longs doigts. La délicatesse, la précision de ses gestes, la beauté de ses ongles clairs qui contrastaient avec le magnifique brun de sa peau. Comme s’il avait entendu mes pensées, Jean-Baptiste a levé les yeux vers moi, il m’a souri, mais son regard et son sourire étaient différents. Ils me traitaient de crapule et ils avaient raison parce qu’à cet instant, mes pensées étaient très très très crapuleuses.

Il s’est arrangé pour découvrir le contenu du colis avant moi, mais j’ai su qu’à ce moment, une flèche décochée par maman l’avait atteint en plein cœur, au profond de son âme. Une flèche d’amour. Il caressait le contenu du paquet comme s’il en avait besoin pour croire à ce qu’il voyait. Sans un mot, des larmes d’émotion plein les yeux, il m’a tendu le papier qu’il venait de détacher. La lumière a fait étinceler l’épingle qu’il tenait dans son autre main.

« Maman » était raturé et corrigé en « Clémentine ». Je n’ai pas eu besoin de lui expliquer qu’elle l’avait fait exprès pour qu’il sache la place qu’il occupe dans son cœur. Il l’avait compris et je l’ai lu dans son regard. Par contre, je ne sais toujours pas s’il a pris tout son temps avant de le sortir du paquet pour me faire enrager ou pour graver ce moment dans sa mémoire.

Je n’ai pas entendu le pas du fou chantant dans le couloir, mais quand Jean-Baptiste s’est enfin décidé, nous l’avons entendu entonner « Il pleut dans ma chambre » et nous avons ri. Ce rire était presque comme un soulagement tant l’émotion qui nous étreignait était vive.

En dépliant le pull, une petite flasque a failli tomber par terre. Jean-Baptiste l’a rattrapée au vol. Je l’ai reconnue, c’est celle que papa avait dans les tranchées. Il y tient plus qu’à la prunelle de ses yeux. Il y avait aussi un petit mot.

Là encore, j’ai lu dans ses yeux, il a lu dans les miens tout le bonheur que nous ressentions, que nous partagions.

Qu’il est beau avec ce pull ! Après l’avoir enfilé, il tournait sur lui-même autant pour se voir dans le miroir de l’armoire que pour se faire admirer. « Qu’en penses-tu ? » Pour de vrai, je pensais qu’il fait un beau marin-pêcheur normand. J’allais le lui dire quand un diablotin malicieux m’a soufflé une toute autre réponse au creux de l’oreille. « J’en pense que pour pas faire de jaloux, je vais devoir tricoter un chandail à Albert ». Le rire de Jean-Baptiste a retenti. « Crapule ! »

Nous avons rejoint le lit en prétextant les mensurations d’Albert que je devais prendre. Jean-Baptiste a tenu à garder son pull. Je n’ai jamais mon mètre de couturière avec moi quand je vais voir Jean-Baptiste. Il a haussé les épaules, résigné et indulgent. « Ce sera pour une autre fois », mais c’était compter sans mon opiniâtreté. J’ai pris la ficelle qui entourait le colis de maman, j’ai emprunté à Jean-Baptiste sa boite de cirage pour marquer les repères sur la ficelle et j’ai pris les mesures.

Jean-Baptiste me trouve opiniâtre, moi je trouve qu’Albert est têtu comme une mule. J’avais beau froncer les sourcils, le menacer d’un index sévère, il refusait de m’obéir quand je lui ordonnais de se mettre au repos. J’ai bien été obligée de céder, d’autant qu’Albertine s’était rangée de son côté.

J’ai posé la ficelle, j’ai essuyé le bout de mon index et j’ai offert à Jean-Baptiste son « plaisir apéritif », comme il le nomme, me dévêtir. Il aime prendre tout son temps, mais il me suffit de regarder son visage, son sourire et l’éclat dans ses yeux pour dompter mon impatience.

J’ai emprisonné sa figure entre mes mains et je l’ai couverte de baisers. « T’es beau ! T’es beau ! C’est toi le plus beau ! » Il a voulu me taquiner. « Si tu me le dis trop souvent, je vais finir par y croire ! », mais je ne suis pas tombée dans son piège. « Tu n’as pas à y croire, tu dois l’admettre puisque c’est un fait. Tu es beau, tu es le plus beau aussi vrai que la Terre tourne autour du Soleil. » Il a poussé un « Ooh ! » en soupirant comme quand on est ravi d’admettre sa défaite.

Jean-Baptiste m’a accusée de le chatouiller, mais je voulais sentir les battements de son cœur sous mes mains et tant qu’il gardait son chandail, j’étais bien obligée de les glisser dessous. Il a alors consenti à l’ôter et pour ce faire, Jean-Baptiste a dû se redresser (il était allongé sur le dos). Albert en a profité pour plonger dans Albertine. Je précise ce point, parce qu’à écouter Jean-Baptiste, ce serait Albertine qui en aurait profité pour s’empaler sur Albert. Mon cher journal, je compte sur toi pour croire à ma version plutôt qu’à la sienne.

J’aime bien chevaucher Jean-Baptiste puis me pencher vers lui jusqu’à nous trouver peau à peau, poitrine contre poitrine. Les mains de Jean-Baptiste courent le long de mon dos, nos mouvements sont lents, parfois nous bougeons à peine. Nous nous embrassons. J’aime sentir ses cheveux crépus et presque ras sous mes doigts. Il ne se lasse pas de passer ses longs doigts dans les miens, comme s’il voulait les lisser davantage. Ses caresses sont si douces que je pourrais ronronner de plaisir, si j’étais une chatte au lieu d’être une femme.

Quand nous avons bien profité de cette langueur, toujours de façon soudaine, Jean-Baptiste m’assène une claque sèche sur le derrière. Je lui ai appris à ordonner correctement « Hue dia ! » Alors, je me redresse et dans un mouvement dont j’ignore le nom, avec la force de mes cuisses et les ondulations de ma croupe, Albertine va et vient le long d’Albert. Quand je suis trop échauffée, que les muscles de mes cuisses commencent à me brûler, je crie « Centaure ! » et nous changeons de position et c’est parti pour une levrette.

Nous ne nous expliquons toujours pas comment il fait pour deviner à quel moment mes fesses réclament ses claques. Il les assène toujours à la bonne force, au bon endroit, au bon rythme et à la bonne dose. Pourtant, ce n’est jamais les mêmes envies que mon corps cherche à assouvir.

Quand ses doigts fouillent la toison d’Albertine et caressent mon « bouton de rose », le plaisir que je ressens est si vif qu’il me vient une envie pressante. Il m’est arrivé d’enfiler mon manteau à la hâte et de me précipiter aux toilettes au bout du couloir, mais je n’arrive pas à uriner plus que quelques gouttes. Alors, désormais quand je ressens cette envie, je l’ignore. Parfois Albert en est un peu inondé, mais Jean-Baptiste ne s’en offusque pas. Je pourrais même ajouter « bien au contraire ».

Je deviens folle de plaisir quand Jean-Baptiste offre son poignet à ma bouche, qu’il me chuchote à l’oreille « Laisse échapper tes cris, ma Louise, mon amour lumineux ! » Comme je les sais étouffés par son poignet, je ne crains pas qu’on nous entende. Je sens alors mes reins se creuser, mes fesses se dresser vers le ciel, son autre main se crisper sur mon sein et la semence d’Albert emplir Albertine.

Puisque je ne travaille pas aujourd’hui, que je suis censée avoir passé la nuit chez Henriette et y rester jusqu’à ce soir, nous l’avons fait trois fois (plus un festin royal) (et plus un petit-déjeuner coquin sous la table). Je ne sais pas ce qui me prend, mais j’y pense tout le temps. J’ai passé la matinée à préparer notre « réveillon anticipé » (Jean-Baptiste trouve toujours les plus belles des formules). En essuyant la cuillère de Jean-Baptiste, je l’ai vu la portant à sa bouche et le désir m’a enflammée aussi sûrement qu’une allumette frottée sur un grattoir.

Je viens de tout relire depuis que j’ai commencé à écrire ce journal, je suis sidérée de l’avoir rempli si vite (il ne reste que quelques pages blanches). J’écris pour que le temps passe plus vite. Dans moins d’une heure, il sera là. J’espère que mes cadeaux lui feront plaisir. Pour la chemise, j’en suis presque sûre, mais j’ai des doutes pour ma surprise de dernière minute, qui m’a occupée une bonne partie de la journée. Je préfère attendre qu’il l’ait découverte avant de t’en dire davantage.

Et pour finir, voici ce qu’il advint lors de ce « réveillon anticipé »