Demandez le programme !

Voici la liste des chansons que le voisin « fou chantant » de Jean-Baptiste a interprétées ce soir-là. Pour les écouter, il vous suffira de cliquer sur le lien, elles sont au format MP3, ce qui signifie que vous n’aurez pas à passer par YouTube, Deezer ou autre pour en profiter.

Comme vous le savez déjà, tout bon récital du fou chantant de l’immeuble, commence par un petit (ou gros, c’est selon) pipi en chanson ! « Il pleut dans ma chambre » de Charles Trenet (1939)

La chanson qu’il interprète pour « Louise, si taquine » date de 1941 il s’agit de « Papa pique et maman coud » de Charles Trenet.

En revanche, celle qui met Albert au garde-à-vous était interprétée par Tino Rossi, toujours en 1941 « Ma ritournelle ».

Les chansons suivantes sont toutes de Charles Trenet.

J’ai connu de vous (1938)

Quand j’étais p’tit (1939)

L’héritage infernal (1942)

La polka du roi (1938)

Le soleil a des rayons de pluie (1942)

Pic pic pic (1940)

Un rien me fait chanter (1941)

Tout ça c’est pour nous (1941)

J’ai ta main (1938)

Mam’zelle Clio (1939)

Tout me sourit (1938)

La romance de Paris (1942)

Le carnet retrouvé – Samedi 23 décembre 1944

Quelle histoire, quelle aventure ! Mais je dois d’abord te raconter notre « réveillon anticipé ». Jean-Baptiste est arrivé, mes cadeaux étaient posés sur son lit. J’avais préparé un repas de fête avec ce que j’avais pu trouver. Finalement, le plus gros problème n’a pas été les ingrédients, mais un détail auquel je n’avais pas songé : avec son petit réchaud de rien du tout, j’étais très limitée pour la cuisson.

Le fou chantant est rentré chez lui. Après son pipi du soir, j’ai failli avoir une crise cardiaque en l’entendant annoncer tout fort « La chanson que je vais interpréter est pour Louise si taquine ». Dès les premières notes de la chanson, j’ai voulu faire les gros yeux à Jean-Baptiste (hilare) parce qu’il a parlé de la blague que je lui avais racontée (c’est Marcelle qui me l’avait apprise quand on s’est connues dans l’abri) « Soirée à Vichy : le Maréchal lit le journal et madame Pétain coud ».

Il faudra qu’on m’explique comment être en colère quand Jean-Baptiste sourit comme il le fait. J’ai voulu le punir en lui faisant croire que puisque c’était comme ça, je ne lui offrirai pas ses cadeaux. J’allais presque y parvenir quand son voisin a claironné « Il est temps de vérifier si Albert est prêt à passer à table pour offrir un festin royal à son Albertine ». J’en suis restée muette de surprise (et j’étais cramoisie aussi) ! Jean-Baptiste m’a rassurée, son voisin ignore qui sont Albert et Albertine et ce que la formule « festin royal » signifie pour eux.

Jean-Baptiste n’a pas eu le temps de m’embrasser, de me caresser, l’appétit d’Albertine pour Albert était si grand qu’il a fallu l’assouvir de toute urgence. C’était vraiment plaisant de faire l’amour au rythme des chansons, surtout quand mon cœur battait si fort, quand nos souffles étaient si puissants que je n’entendais pas la musique jouée par le gramophone et ne découvrais la chanson qu’au moment où le voisin l’entonnait.

Par moments, nous le faisions en rythme, par d’autres, nous nous arrêtions pour danser. Je dois admettre que je n’aurais jamais songé à cette méthode pour apprendre à Jean-Baptiste à danser moins guindé ! Je dois aussi admettre que j’étais troublée de voir, de sentir Albert dressé, dur, luisant de plaisir et de désir tandis que je dansais dans les bras de mon prince charmant.

Nous avons été surpris quand la semence d’Albert a inondé Albertine au beau milieu de « Tout ça c’est pour nous ». Nous étions en sueur, Jean-Baptiste m’a proposé de nous allonger sous les draps pour ne pas attraper froid.

Il a fait semblant de découvrir mes deux cadeaux et m’a tendu les siens. On peut dire qu’il m’a gâtée ! Un beau cahier, épais, relié et tout avec un petit fermoir pour « que mes secrets soient bien gardés » et surtout un magnifique stylo dont la plume toute neuve brillait de mille feux. C’est avec lui que j’écris ces mots, c’est bien plus pratique qu’un porte-plume. Je remplis le réservoir et hop ! Je peux écrire sans avoir à m’interrompre pour tremper ma plume dans l’encrier. C’est magique !

Jean-Baptiste était épaté de la chemise que je lui ai confectionnée. La soie blanche fait ressortir toute la délicate beauté de sa peau noire et la douceur de l’étoffe, si agréable sous mes mains, augmente le plaisir qu’il ressent à mes caresses. Il a ri, incrédule, en découvrant la surprise dont je te parlais hier.

– Mais qu’est-ce donc ?! Ne me dis pas que…

– C’est un chandail pour Albert.

Il m’a dit que c’était pure folie de gâcher de la laine pour cette futilité en période de restrictions. Je lui ai répondu que s’il est une période durant laquelle il est vital d’être futile, c’est bien pendant les restrictions. Vaincu, il m’a encore regardée comme si j’étais la plus savante des savantes.

J’ai insisté pour qu’Albert enfile son chandail. Jean-Baptiste riait et se tortillait comme un asticot quand j’ai passé la ceinture autour de sa taille. Il m’accusait de le chatouiller. Comme lorsque j’avais pris les mesures, Albert refusait de se tenir tranquille, il se dressait, vibrait de telle façon que j’ai bien été obligée de le déshabiller pour répondre aux supplications d’Albertine.

Tu sais à quel point j’ai faim depuis les restrictions, hé bien cette faim n’est rien en comparaison avec celle que ressent Albertine pour Albert ! Ça en deviendrait presque embarrassant si Albert n’en était pas aussi heureux. Cette faim me rend imaginative, parce que j’ai appris à ne plus avoir honte des envies d’Albertine. Jean-Baptiste m’a parlé d’un livre, « la came à sous-draps » (ou un truc comme ça), où on décrit plein de positions, mais il est sûr que nous en inventons de nouvelles à chaque fois que nous faisons l’amour.

Albert coulissait tendrement dans Albertine apaisée quand le voisin de Jean-Baptiste a annoncé « Je ne peux achever ce récital sans vous interpréter cette chanson qui fait battre nos cœurs ! » Dès que les premières notes se sont envolées de son gramophone, Albertine a exigé que j’ordonne à Jean-Baptiste « Centaure ! »

Je n’oublierai jamais le plaisir que je ressentais à chaque claque sur les fesses que Jean-Baptiste m’assenait en rythme. Je ne sais pas si je pourrai un jour ne pas rougir en pensant au plaisir qui m’a cinglée, transpercée pendant cette chanson. Il le faudra bien, pourtant puisque depuis la Libération, il n’y a pas un bal, une fête sans que « Fleur de Paris » ne soit jouée plusieurs fois !

Un autre souvenir sera lié à cette chanson. Tandis que nous étions centaure et alors que le voisin avait à peine chanté les premiers mots, les portes se sont ouvertes dans l’immeuble et des locataires ont chanté les paroles à tue-tête. À y repenser, c’était très émouvant, mais pour être honnête, sur le moment, le plaisir que nous prenions nous rendait très égoïstes, imperméables à cette communion. À la demande générale, le voisin a bissé « Fleur de Paris », puis l’a chantée une troisième fois.

Quand son tour de chant s’est achevé, Jean-Baptiste et moi sommes passés à table. J’ai eu du mal à m’asseoir parce que l’ambiance aidant, il est devenu très enthousiaste dans sa façon de me claquer le derrière. Pour se faire pardonner, il a consenti à céder à mon caprice. Du coup, Albert était bien sage et s’est laissé faire, trop fatigué pour se mettre au garde-à-vous. Jean-Baptiste semblait désappointé parce que le chandail d’Albert était trop grand et trop large. Un petit diablotin m’a suggéré de titiller les bourses d’Albert du bout des doigts.

– Comment ça, « trop grand » ?

– Crapule !

Je n’ai pas cherché à nier. Avec tout ça, mon dîner était à peine tiède, mais on s’en fichait royalement ! Nous avons passé deux heures à parler de l’avenir, de tout ce bonheur qu’il nous reste à vivre, à ce chemin que nous parcourrons ensemble et il a fallu que je rentre.

Pour ne pas prendre le risque d’être démasqués, Jean-Baptiste descend toujours avant moi et m’attend devant la grille du square. Après son départ, je compte jusqu’à cent avant de descendre les escaliers. Quand Jean-Baptiste est sorti, j’ai compté à toute vitesse, contrairement à d’habitude. À chaque étage, je jetais un coup d’œil sur le couloir et la même question me trottait dans la tête « Laquelle, lesquelles de ces portes se sont ouvertes tout à l’heure ? » J’avais le sourire aux lèvres en passant en douce devant la loge de la bignole.

En ouvrant la porte de l’immeuble, j’ai vu Jean-Baptiste s’enfuir en courant. Il s’est retourné, m’a remarquée, j’ai deviné qu’il me désignait quelque chose à terre.

Ce n’était pas une chose, mais un vieil homme salement amoché. Par chance, j’avais ma sacoche avec moi. Je me suis agenouillée à ses côtés. Je l’ai rassuré en lui expliquant que j’allais examiner ses plaies. Son visage était en sang, mais l’arcade sourcilière saigne toujours beaucoup. Par contre, son nez était cassé et je ne savais pas comment faire pour le soulager. Dans ma sacoche, je n’ai que des comprimés d’aspirine pour calmer la douleur et je sais que ça aggrave les saignements.

Je lui expliquais tout ça quand Jean-Baptiste est revenu, une sacoche à la main. « Je n’ai pas pu les rattraper, mais dans leur fuite, ils l’ont abandonnée ».

Le vieil homme est médecin, il s’est fait attaquer par deux voyous, qui lui ont dérobé sa sacoche et son portefeuille alors qu’il sortait de chez un patient. Nous lui avons demandé s’il voulait qu’on l’accompagne à l’hôpital, mais il a préféré se rendre au poste de police pour déclarer l’agression et le vol de son portefeuille. Il était venu en auto, mais il n’était plus en état de la conduire. Jean-Baptiste s’est proposé.

Si madame Mougin avait caché la clé, je savais où elle serait, mais j’avais peur qu’elle croie que je passais une deuxième nuit chez Henriette et de me retrouver à la porte. Nous étions convenus que Jean-Baptiste m’accompagnerait jusque devant la maison et que je dormirais chez lui si la clé n’était pas à sa place. Avec tout ça, notre plan tombait à l’eau. Une chance, il s’en est souvenu et il a demandé au docteur l’autorisation de faire un détour. Ce qu’il a accepté de bon gré.

Dans l’auto, il m’a demandé où j’exerçais. Toute fière qu’il m’ait prise pour une infirmière, je lui ai expliqué ma condition et son changement à venir dès le mois de février. Incrédule, il m’a regardée. « Une école de la Croix-Rouge ? Vraiment ? Dans… » Il n’a pas fini sa phrase. Avant que je descende, il a ouvert sa boîte à gants et m’a tendu sa carte. « Si jamais vous cherchiez une place, sachez que je vous emploierais volontiers en qualité d’assistante ».

La clé était bien là où je le pensais. Je me suis retournée et j’ai fait de grands signes de la main à Jean-Baptiste et son passager.

Le carnet retrouvé – Vendredi 22 décembre 1944

Hier soir, quand je suis arrivée devant la porte de la chambre de Jean-Baptiste, elle était entrouverte (elle ne l’est jamais). J’ai toqué discrètement et je suis entrée. Jean-Baptiste était assis, il lisait une lettre. Il m’a regardée en souriant comme j’aime tant le voir sourire. Il a soigneusement replié la lettre, l’a remise dans son enveloppe et l’a rangée dans un des livres de sa bibliothèque. Un paquet ficelé trônait au milieu de la table.

Le temps d’ôter mon manteau, mon écharpe, mon chapeau, Jean-Baptiste a repris sa place sur sa chaise. Je n’avais pas fini de retirer mes gants qu’il me reprochait de ne pas donner de mes nouvelles à mes parents. J’ai levé les yeux au ciel.

– Ils nous remercient pour les photos, trois des quatre clichés ont trouvé place dans l’album de famille, le quatrième est désormais encadré et posé sur le buffet. J’ignore lequel, pour le savoir, il nous faudra leur rendre une nouvelle visite. Ta maman ne savait pas quand le colis me parviendrait, mais dans sa lettre, elle me recommande de l’ouvrir au plus vite. Dois-je attendre Noël ou crois-tu que je peux le faire dès maintenant ?

Je lui ai répondu que si maman lui conseillait de l’ouvrir au plus vite, c’est qu’il doit contenir des denrées périssables. Jean-Baptiste a souri. « Je crois surtout que tu es aussi curieuse que moi de savoir ce qu’il contient. Aussi curieuse sinon plus ! » Je n’ai même pas cherché à le nier.

Comment fait-il pour être plus beau chaque jour ? Plus irrésistible ? Je n’aurais jamais imaginé que l’amour puisse être aussi rassurant. En plus du reste, je découvre le bonheur qu’apporte la confiance que nous avons l’un dans l’autre. Il sait lire dans mon regard quand sa ruse fonctionne, quand je tombe dans le panneau, mais il sait aussi s’arrêter à temps. C’est pareil de mon côté.

Jean-Baptiste m’agaçait à prendre tout son temps, à soupeser le colis, à le secouer, à le porter à son oreille et à le renifler comme si ça pouvait l’aider à en deviner le contenu. Il ne le cherchait pas vraiment, ce qui comptait c’était de me faire enrager. Et le pire, c’est que ça fonctionnait à merveille ! Je pouvais le lire dans son regard, dans son sourire.

Je voudrais ne jamais oublier les pensées qui me traversaient l’esprit tandis qu’il dénouait la ficelle de ses longs doigts. La délicatesse, la précision de ses gestes, la beauté de ses ongles clairs qui contrastaient avec le magnifique brun de sa peau. Comme s’il avait entendu mes pensées, Jean-Baptiste a levé les yeux vers moi, il m’a souri, mais son regard et son sourire étaient différents. Ils me traitaient de crapule et ils avaient raison parce qu’à cet instant, mes pensées étaient très très très crapuleuses.

Il s’est arrangé pour découvrir le contenu du colis avant moi, mais j’ai su qu’à ce moment, une flèche décochée par maman l’avait atteint en plein cœur, au profond de son âme. Une flèche d’amour. Il caressait le contenu du paquet comme s’il en avait besoin pour croire à ce qu’il voyait. Sans un mot, des larmes d’émotion plein les yeux, il m’a tendu le papier qu’il venait de détacher. La lumière a fait étinceler l’épingle qu’il tenait dans son autre main.

« Maman » était raturé et corrigé en « Clémentine ». Je n’ai pas eu besoin de lui expliquer qu’elle l’avait fait exprès pour qu’il sache la place qu’il occupe dans son cœur. Il l’avait compris et je l’ai lu dans son regard. Par contre, je ne sais toujours pas s’il a pris tout son temps avant de le sortir du paquet pour me faire enrager ou pour graver ce moment dans sa mémoire.

Je n’ai pas entendu le pas du fou chantant dans le couloir, mais quand Jean-Baptiste s’est enfin décidé, nous l’avons entendu entonner « Il pleut dans ma chambre » et nous avons ri. Ce rire était presque comme un soulagement tant l’émotion qui nous étreignait était vive.

En dépliant le pull, une petite flasque a failli tomber par terre. Jean-Baptiste l’a rattrapée au vol. Je l’ai reconnue, c’est celle que papa avait dans les tranchées. Il y tient plus qu’à la prunelle de ses yeux. Il y avait aussi un petit mot.

Là encore, j’ai lu dans ses yeux, il a lu dans les miens tout le bonheur que nous ressentions, que nous partagions.

Qu’il est beau avec ce pull ! Après l’avoir enfilé, il tournait sur lui-même autant pour se voir dans le miroir de l’armoire que pour se faire admirer. « Qu’en penses-tu ? » Pour de vrai, je pensais qu’il fait un beau marin-pêcheur normand. J’allais le lui dire quand un diablotin malicieux m’a soufflé une toute autre réponse au creux de l’oreille. « J’en pense que pour pas faire de jaloux, je vais devoir tricoter un chandail à Albert ». Le rire de Jean-Baptiste a retenti. « Crapule ! »

Nous avons rejoint le lit en prétextant les mensurations d’Albert que je devais prendre. Jean-Baptiste a tenu à garder son pull. Je n’ai jamais mon mètre de couturière avec moi quand je vais voir Jean-Baptiste. Il a haussé les épaules, résigné et indulgent. « Ce sera pour une autre fois », mais c’était compter sans mon opiniâtreté. J’ai pris la ficelle qui entourait le colis de maman, j’ai emprunté à Jean-Baptiste sa boite de cirage pour marquer les repères sur la ficelle et j’ai pris les mesures.

Jean-Baptiste me trouve opiniâtre, moi je trouve qu’Albert est têtu comme une mule. J’avais beau froncer les sourcils, le menacer d’un index sévère, il refusait de m’obéir quand je lui ordonnais de se mettre au repos. J’ai bien été obligée de céder, d’autant qu’Albertine s’était rangée de son côté.

J’ai posé la ficelle, j’ai essuyé le bout de mon index et j’ai offert à Jean-Baptiste son « plaisir apéritif », comme il le nomme, me dévêtir. Il aime prendre tout son temps, mais il me suffit de regarder son visage, son sourire et l’éclat dans ses yeux pour dompter mon impatience.

J’ai emprisonné sa figure entre mes mains et je l’ai couverte de baisers. « T’es beau ! T’es beau ! C’est toi le plus beau ! » Il a voulu me taquiner. « Si tu me le dis trop souvent, je vais finir par y croire ! », mais je ne suis pas tombée dans son piège. « Tu n’as pas à y croire, tu dois l’admettre puisque c’est un fait. Tu es beau, tu es le plus beau aussi vrai que la Terre tourne autour du Soleil. » Il a poussé un « Ooh ! » en soupirant comme quand on est ravi d’admettre sa défaite.

Jean-Baptiste m’a accusée de le chatouiller, mais je voulais sentir les battements de son cœur sous mes mains et tant qu’il gardait son chandail, j’étais bien obligée de les glisser dessous. Il a alors consenti à l’ôter et pour ce faire, Jean-Baptiste a dû se redresser (il était allongé sur le dos). Albert en a profité pour plonger dans Albertine. Je précise ce point, parce qu’à écouter Jean-Baptiste, ce serait Albertine qui en aurait profité pour s’empaler sur Albert. Mon cher journal, je compte sur toi pour croire à ma version plutôt qu’à la sienne.

J’aime bien chevaucher Jean-Baptiste puis me pencher vers lui jusqu’à nous trouver peau à peau, poitrine contre poitrine. Les mains de Jean-Baptiste courent le long de mon dos, nos mouvements sont lents, parfois nous bougeons à peine. Nous nous embrassons. J’aime sentir ses cheveux crépus et presque ras sous mes doigts. Il ne se lasse pas de passer ses longs doigts dans les miens, comme s’il voulait les lisser davantage. Ses caresses sont si douces que je pourrais ronronner de plaisir, si j’étais une chatte au lieu d’être une femme.

Quand nous avons bien profité de cette langueur, toujours de façon soudaine, Jean-Baptiste m’assène une claque sèche sur le derrière. Je lui ai appris à ordonner correctement « Hue dia ! » Alors, je me redresse et dans un mouvement dont j’ignore le nom, avec la force de mes cuisses et les ondulations de ma croupe, Albertine va et vient le long d’Albert. Quand je suis trop échauffée, que les muscles de mes cuisses commencent à me brûler, je crie « Centaure ! » et nous changeons de position et c’est parti pour une levrette.

Nous ne nous expliquons toujours pas comment il fait pour deviner à quel moment mes fesses réclament ses claques. Il les assène toujours à la bonne force, au bon endroit, au bon rythme et à la bonne dose. Pourtant, ce n’est jamais les mêmes envies que mon corps cherche à assouvir.

Quand ses doigts fouillent la toison d’Albertine et caressent mon « bouton de rose », le plaisir que je ressens est si vif qu’il me vient une envie pressante. Il m’est arrivé d’enfiler mon manteau à la hâte et de me précipiter aux toilettes au bout du couloir, mais je n’arrive pas à uriner plus que quelques gouttes. Alors, désormais quand je ressens cette envie, je l’ignore. Parfois Albert en est un peu inondé, mais Jean-Baptiste ne s’en offusque pas. Je pourrais même ajouter « bien au contraire ».

Je deviens folle de plaisir quand Jean-Baptiste offre son poignet à ma bouche, qu’il me chuchote à l’oreille « Laisse échapper tes cris, ma Louise, mon amour lumineux ! » Comme je les sais étouffés par son poignet, je ne crains pas qu’on nous entende. Je sens alors mes reins se creuser, mes fesses se dresser vers le ciel, son autre main se crisper sur mon sein et la semence d’Albert emplir Albertine.

Puisque je ne travaille pas aujourd’hui, que je suis censée avoir passé la nuit chez Henriette et y rester jusqu’à ce soir, nous l’avons fait trois fois (plus un festin royal) (et plus un petit-déjeuner coquin sous la table). Je ne sais pas ce qui me prend, mais j’y pense tout le temps. J’ai passé la matinée à préparer notre « réveillon anticipé » (Jean-Baptiste trouve toujours les plus belles des formules). En essuyant la cuillère de Jean-Baptiste, je l’ai vu la portant à sa bouche et le désir m’a enflammée aussi sûrement qu’une allumette frottée sur un grattoir.

Je viens de tout relire depuis que j’ai commencé à écrire ce journal, je suis sidérée de l’avoir rempli si vite (il ne reste que quelques pages blanches). J’écris pour que le temps passe plus vite. Dans moins d’une heure, il sera là. J’espère que mes cadeaux lui feront plaisir. Pour la chemise, j’en suis presque sûre, mais j’ai des doutes pour ma surprise de dernière minute, qui m’a occupée une bonne partie de la journée. Je préfère attendre qu’il l’ait découverte avant de t’en dire davantage.

Et pour finir, voici ce qu’il advint lors de ce « réveillon anticipé »