Comme je te l’ai expliqué, je lis mes lettres aux membres de la Confrérie du Bouton d’Or avant de te les adresser. Jusqu’à présent, j’incorporais leurs remarques dans la version 2.0 que je t’envoyais, mais puisque tu préfères que je te note les précisions de chaque membre, je m’exécute !
Monique trouve très juste ma remarque concernant ses dons d’imitatrice. Elle a cru bon d’ajouter que ça nous faisait un point commun supplémentaire. J’ai haussé les épaules en lui répondant avec mon meilleur accent provençal « Tu déparles, Mounico, vé comme… » Alain a fait semblant de cocher une liste, genre “nombre de points communs +1”.
Christian m’a demandé d’insister sur l’état de nervosité que les mouvements incontrôlés de ses doigts trahissaient. Il voulait que je te précise les raisons de son émoi. Il était présentement devant sa grand-mère (Nathalie), en train de se faire sucer par la petite-fille (Monique) et devant elle, de la femme (Rosalie) dont il interprétait le rôle du mari (Pierrot) ! J’avoue, on serait perturbé à moins. N’empêche ses doigts… ! Quelle femme ne rêverait pas d’être la cause d’une telle agitation ?
Le Bavard nous a fait tout un numéro pour me demander d’ajouter deux commentaires.
Il n’est pas une tête de mule MÊME S’IL est monté comme un bourricot. Si ça peut lui faire plaisir… !
Pour l’autre remarque, laisse-moi te décrire la scène.
– Hé les starlettes du tapis rouge, quand vous aurez fini de vous la jouer “50 minutes inside”… Avec Madame, on se disait…
Alain : Avec Madame ?
– Hé vé, vouais, justement, môssieur l’enculeur de mouches à tête fraisée, justement ! C’est pour pas troubler vos vieilles oreilles en faisant interférence que je lui occupais la bouche à Madame ! Té… dis-leur que… ô put… non ! Leur dis rien… ta bouche me manque déjà… ! Dis donc, le Notaire, tu trouves pas qu’elle suce de mieux en mieux, ta petite femme ? Boudiou ! Plus que quelques décennies et elle sucera peut-être aussi bien que celles-là ! Descessa de rire, Madame ! Tu vas finir par me la mordre !
Reprenant son sérieux, il me fit remarquer que les rideaux semblaient souvent s’ouvrir ou se refermer comme par magie et que j’avais oublié de préciser que Jimmy et le Balafré avaient été les metteurs en scène, les techniciens de plateau et les régisseurs de cette première d’Au théâtre ce soir à notre façon.
Alain a alors eu l’idée d’en faire l’objet de cette lettre et de te préciser que c’était le titre d’une émission de théâtre, de vaudeville la plupart du temps. Une fois par mois, les téléspectateurs pouvaient suivre la retransmission d’une pièce, de qualité très inégale, malheureusement.
Ce qui était quasi immuable, c’était la formule « Les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell ». Nous avons ri en l’évoquant et Joseph nous a fait remarquer qu’étonnamment, tous les français ou presque connaissaient leur nom, alors que personne ou presque n’aurait été capable de les reconnaître en les croisant dans la rue. La célébrité anonyme ! Le summum du luxe !
Quand elle eut fini de s’occuper la bouche, Madame voulut que je corrige un passage. Elle affirme que dans son regard ne brûlait pas une flamme de désir, mais qu’elle se demandait si elle aurait assez d’ardeur pour abréger le supplice de cet homme dont le seul crime avait été d’avoir voulu partager un peu de son savoir avec des êtres chers. Dont acte, comme on dit !
Jimmy aimerait que je te parle, dans une prochaine lettre, de la relation très particulière que nous entretenons, lui et moi. Je n’y manquerai pas.
Le Notaire et Cathy étaient trop occupés pour émettre le moindre avis. Leurs gestes étaient si lents qu’on aurait pu les croire endormis au beau milieu d’une étreinte.
L’évocation de cette représentation a réveillé chez Martial et Monique ce que nous nommons, avec la plus parfaite mauvaise foi, leur perversion. Ils se sont isolés pour une lecture à deux voix et à deux corps d’une tragédie. Il n’a donc fait aucune remarque.
Le Balafré n’a émis aucune réserve. « Tout était parfait. Comme d’habitude. À ton image ! ». Il était vautré plus qu’assis dans un large fauteuil en cuir. Les fées ont offert au Balafré le don de me précipiter dans ses bras quand il me sourit d’une certaine façon. J’ai donc posé mon stylo pour le rejoindre.