Chroniques matrimoniales – La vie n’est rien sans l’amitié

Quand nous entrâmes, nous fûmes accueillis par Pierrot, Toine et Nathalie. Valentino semblait mal à l’aise, gêné comme s’il avait revêtu un costume qui n’était pas à sa taille, coupé à ses mesures. Il répondait à nos question parfois de façon très détaillée, mais le plus souvent très laconique. Il semblait avoir perdu de son assurance, tout en ayant gagné des certitudes. C’était très étrange. Petit à petit, un malaise s’installait, nous étions loin des retrouvailles joyeuses que nous nous étions imaginées. Pierrot parut plonger dans les yeux de Valentino, il hocha la tête, ils se levèrent et sortirent dans le jardin. Je racontai nos retrouvailles à Toine et à Nathalie puis la discussion s’éteignit comme une chandelle totalement consumée.

Il fallut leur retour à l’intérieur de la maison pour que je m’aperçoive de la faim qui me tenaillait. Je réalisai par là même que Valentino n’avait pas mangé non plus. J’étais à mes fourneaux quand Pierrot me prit par la taille, son souffle chaud dans ma nuque me réchauffait le cœur, il me murmura

– Ne t’en fais pas, ma Rosalie… Valentino a besoin de tuer ses démons, il a besoin de moi comme j’ai eu besoin de Nathalie, comme Toine a eu besoin de toi.

Comme si ses mots m’avaient ôté un poids sur les épaules, je respirai à plein poumons. La lumière parut refaire son apparition dans la maison en même temps que la légèreté. Valentino, Toine et Nathalie entrèrent dans la cuisine comme si notre éclat de rire avait été le signal convenu. Tout en disposant deux assiettes sur la table, Pierrot répondit à la question muette que tous nous posaient.

Cette créature est une diablesse ! Non ! Pire ! C’est une…

Toine entra immédiatement dans son jeu.

Une… une Normande, tu veux dire ?

Exactement ! Tu ne crois pas si bien dire !

Comme intimidé par l’assiette posée devant lui, Valentino nous regardait, Toine frotta une gousse d’ail sur une tranche de pain rassis, y versa un filet d’huile, la lui tendit et d’une voix très douce, que je ne lui avais pas entendue depuis des années, l’invita à manger. Valentino croqua dedans, ferma les yeux pour mieux goûter ce moment, avant de manger la soupe que je venais de réchauffer. Après quelques minutes d’un silence interrompu par le bruit de nos cuillères, il leva ses yeux emplis de larmes.

Merci !

Nathalie, toujours aussi curieuse, nous demanda la raison de notre éclat de rire et pourquoi Pierrot me traitait de diablesse.

Je venais de lui dire que Valentino a besoin de chasser ses cauchemars, qu’il a besoin de moi comme j’ai eu besoin de toi, comme Toine a eu besoin de Rosalie à notre retour…

Ouh, fan de Diou ! Tu veux dire tout… tout pareil ? !

Prenant l’assistance à témoin, je désignai Nathalie

Ah… tu vois !

Toine se bidonnait, Valentino sourit enfin. D’un sourire où l’indulgence s’unissait à une tendresse incroyable, au soulagement aussi. Avant que le jour se lève, Toine partit avec lui pour lui indiquer une cachette sûre en attendant des jours meilleurs. Nathalie rentra dans ses foyers, je restai seule avec Pierrot.

Que signifient ce regard et ce sourire ?

Je suis tellement heureuse…

Que Valentino soit de retour parmi nous ?

Oui, mais…

Mais ?

Mais surtout que tu sois l’homme que tu es, mon Pierrot ! Et tous… la Nathalie, le Toine… Barjaco aussi… vous êtes tous si… si… je ne trouve pas le mot !

Pierrot caressait ma joue, m’embrassait dans le cou, me répétant son amour. Nous sortîmes de la maison. J’avais laissé un mot sur la table de la cuisine pour qu’Antonella et Léonie ne s’inquiètent pas. Ce n’était pas la première fois qu’elles trouveraient la maison vide à leur réveil et savaient parfaitement se débrouiller toutes seules.

Imitant Pierrot, j’enfourchai ma bicyclette. Depuis toutes ces années, la région n’avait plus aucun secret pour moi, je connaissais chaque lieu où l’on pouvait s’ébattre à l’abri des regards indiscrets et à la vue des regards complices. Je calculai mentalement et à toute vitesse, le temps dont nous disposions, la distance qui nous séparait des différents endroits susceptibles de nous convenir, quand Pierrot fit allusion à ma façon de diriger un attelage « à la mode normande ». Je compris où il voulait que nous allions. C’était notre cachette, notre endroit rien qu’à nous, aucun autre homme ne m’y avait jamais culbutée et Pierrot n’y avait jamais culbuté aucune autre femme. Cette grange au milieu de nulle part, où nous avions fait une halte après sa demande en mariage et notre passage chez le notaire.

Il n’aurait pas pu choisir meilleur endroit. Vingt ans après, j’étais dans le même état d’esprit que ce premier samedi du mois de mai 1919. Je montai à l’échelle quand il me complimenta, dès qu’il me rejoignit, je lui dis « Question beauté et fraîcheur, tu n’es pas en reste, mon Pierrot ! » Il fit semblant de ne pas avoir compris, « avé ton assent… »

Je lui répétai au moins dix fois, modulant ma voix, variant ses inflexions, tournant autour de lui comme un maquignon le ferait dans une foire aux bestiaux. Je faisais mine de tâter ses muscles, tout en le déshabillant. Quand il fut totalement nu, je caressai ses gonades du dos de la main, remontai le long de son membre et, le regardant droit dans les yeux, lui répétai une fois encore

– Question beauté et fraîcheur, tu n’es pas en reste, mon Pierrot !

Vingt années s’étaient écoulées, mon corps s’était épanoui, mais comme je l’aimais mon corps qui me le rendait si bien ! J’aimais l’aisance avec laquelle il s’emboîtait à celui de Pierrot. Mon Pierrot qui me scrutait, semblant chercher à découvrir des trésors qu’il connaissait pourtant par cœur.

Laisse-toi faire, ma Rosalie…

Il écarta mes cuisses d’une caresse délicate. J’étais debout face à lui. Avant de s’agenouiller devant moi, il caressa mon « joli petit ventre », me sourit en faisant semblant de découvrir la blondeur de ma toison, « blonde comme les blés », embrassa mon cou, mes épaules, mes seins.

Je n’en pouvais plus de désir, mes jambes tremblaient tant mon impatience était grande. Je manquai de défaillir quand ses doigts écartèrent mes lèvres. Il me demanda d’une voix craintive, comme on quémande une faveur, s’il pouvait encore « se régaler les yeux de tant de beauté ».

Dès sa requête « laisse-toi faire », je savais qu’il me voulait passive. Je veux dire, je savais que je ne devais prendre aucune initiative, je ne devais ni le caresser, ni l’embrasser, pourtant, j’en crevais d’envie, je ne devais anticiper aucune de ses caresses, aucun de ses baisers, pourtant je me sentais brûler de désir.

Quand sa langue me lécha, je laissai échapper un grognement animal, mes mains s’agrippèrent à ses cheveux, j’aurais dû me taire, mais je psalmodiai « Ô Pierrot ! Ô mon Pierrot ! Oh, c’est si bon ! » entre deux cris bien plus sauvages, entre deux plaintes de plaisir animal.

Sa voix était rauque lorsque, ses mains sur mes hanches, il me demanda de danser sur sa langue. Mes yeux étaient clos, ma tête rejetée en arrière, pourtant, j’aurais pu décrire l’étincelle de son regard rien qu’en sentant son souffle sur ma peau…

Je me demandais combien de temps allait durer ce supplice qu’il s’infligeait ainsi quand une onde de plaisir me traversa de part en part avec la puissance d’une lame de fond. S’il ne m’avait pas tenue aussi fermement, je serais tombée à la renverse… Il poussa un cri, une sorte de juron amusé, j’ouvris enfin les yeux, desserrai mes doigts et regardai dans ma paume, les cheveux que je venais de lui arracher.

Comment me faire pardonner, mon Pierrot ?

Il s’allongea sur le sol où ne subsistaient, ici et là, que quelques brins de paille séchée et me demanda de le chevaucher. Je m’accroupis au-dessus de son membre. Bon sang ! Son gland était d’un pourpre presque noir ! J’avais appris à estimer la puissance de son désir, le degré de son excitation à la couleur de son gland. Au plus il était sombre, au plus il était proche de l’explosion. Je ne voulais pas qu’il jouisse trop vite, je voulais qu’il profite lui aussi, lui offrir autant de plaisir qu’il m’en offrait.

Ma Rosalie, nous n’avons plus trop de temps devant nous !

En disant ces mots, il m’empala brutalement. Mon plaisir explosa une nouvelle fois et le cri qu’il poussa en jouissant remonta le long de ma colonne vertébrale. Nous préférions ne pas nous arracher l’un à l’autre tout de suite après son orgasme. J’aimais, nous aimions profiter de ces longues minutes où mon puits d’amour palpitait autour de son sexe qui perdait peu à peu de sa raideur. Nous aimions nous dire de jolies phrases, les yeux dans les yeux, son sourire répondant à mes mots, le mien répondant aux siens. Il caressa ma joue.

Ma Rosalie, si je te demandais ce que tu veux, que me répondrais-tu ?

Que les vingt prochaines années soient aussi belles que les vingt dernières…

Pierrot fit la moue. Ce n’était pas la réponse qu’il avait espérée, je le savais parfaitement. L’air contrit, je haussai les épaules et me plaignis

Mais c’est ta faute, Pierrot ! Si tu ne m’avais pas ôté le corsage…

avant de lui tirer la langue et de lui faire un clin d’œil malicieux. Il me traita de bougresse et nous roulâmes enlacés dans la poussière de paille, comme deux gamins heureux de profiter d’une récréation inattendue.

ba9d5ab3a97d228cfe9c6b0d929f6bbaIl était temps de nous rhabiller, d’enfourcher nos bicyclettes et d’aller travailler. Quand nos chemins se séparèrent, il allait aux champs et moi dans les bureaux du père de Toine, Pierrot me houspilla « C’était bien la peine de te couper les cheveux… ! » et ôta les brins de paille qui s’y étaient logés avant de m’embrasser et de me souhaiter « la bonne journée ».

Le récit de Rosalie se poursuit ici…

 

Mais entre temps, Monique nous raconte d’autres jolis souvenirs, si vous souhaitez les découvrir, cliquez donc là !