Deux garçonnets, appelons-les F&C, F comme Filou, car celui-ci l’était, C comme… Comme parce que ça m’amuse de le nommer ainsi, passaient tout leur temps libre à enchaîner les bêtises, comme d’autres enfilent les perles.
Ils n’étaient pas bien âgés, F&C, mais déjà très intéressés par tout ce qui évoquait l’ivresse des sens. Ils avaient expérimenté les orgies de sucreries, de chips, de charcuteries diverses et variées, en y repensant, leurs tripes se tordaient de douleur. Quelles indigestions ! Parce qu’ils n’avaient pas tiré les leçons de leur première soirée « vomi et mal au bide ».
Ils avaient expérimenté l’ivresse, avec le même résultat auquel s’était ajouté une gueule de bois mémorable. Le tabac leur avait également donné mal au crâne et rendu leur bouche pâteuse, sans compter ces quintes de toux, la crainte que leurs parents repèrent l’odeur de tabac froid qui leur collait aux cheveux, aux vêtements… ! S’ils avaient su où s’en procurer, F&C auraient à coup sûr, cherché l’ivresse dans d’autres substances prohibées, encore heureux qu’ils étaient moins futés qu’ils ne le pensaient !
Mais l’ivresse qui les attirait plus que toutes les autres, était l’ivresse sensuelle. Leur corps se transformait, ils ne se sentaient plus garçonnets bien qu’ayant conscience qu’ils n’étaient pas encore des adolescents et encore moins des hommes. Ils avaient voulu se connecter sur un site réservé aux adultes, mais n’avaient pas osé cliquer sur « ENTRER » parce qu’ils n’étaient pas majeurs. Une autre fois, ils avaient menti, mais leur ordinateur avait émis un « Hum hum ! » avec la voix sévère de la maman de C. quand elle remarquait une bêtise en cours de réalisation. Ne sachant pas trop comment l’ordinateur avait pu savoir, ils décidèrent de ne pas tenter le diable et de s’en tenir là.
F. arriva un jour avec une idée et tout un bric-à-brac. Il avait fait un rêve prémonitoire où la solution lui était apparue. Il avait tout bien noté la procédure et réussit à convaincre C. de sauter le pas, d’agir pendant tout ce mercredi comme deux adultes. Ils pourraient boire et fumer sans être ni malades, ni incommodés, mais surtout, l’énorme avantage était de pouvoir enfin naviguer sur ces sites réservés aux adultes, de voir des femmes à poil, enfin… sans poil, mais toutes nues, de voir des couples « faire des trucs cochons ». Bref ce mercredi s’annonçait sous les meilleurs auspices… Comme râla quand Filou lui expliqua qu’ils devaient porter des lunettes de glacier, un nœud papillon, une chemise. Il détesta immédiatement ce pull à losanges que son ami avait apporté pour lui.

– Il ne faut pas sourire, parce que les grands ne savent plus sourire. C’est ça que l’ordinateur repère quand il demande ton âge.
– Mais pourquoi les lunettes noires ?
– Pour qu’on ne puisse pas voir nos yeux, ainsi l’ordinateur ne nous reconnaîtra pas ! Et puis… il y aura peut-être des éclairs, des flashs de lumière quand j’actionnerai la machine à devenir grand…
Le premier essai ne fut pas concluant. Pas concluant du tout !
– T’as juste réussi à colorer en rose le mur derrière nous ! Mes parents vont me tuer…
– Mais fais-moi confiance ! Je te dis que j’ai rêvé et que je SAIS comment faire ! Continue à ne pas sourire, je passe à l’étape suivante…
– T’es sûr de toi ? De ce que tu fais ? T’es sûr, hein ?
– Euh… arrête de m’embrouiller ! Je sais qu’il y a une formule à dire en tournant le bitoniau, mais… oh ! Tu m’as embrouillé ! Je ne sais plus si c’est l’alphabet à l’envers ou compter de 12 à 63 en rotant !
– QUOI ?! Tu veux dire que je vais avoir une chambre toute rose tout le temps? Une chambre de FILLE?! Je préfère encore que mes parents me tuent direct !
F. actionna le potentiomètre, le boîtier émit d’étranges onomatopées de robots… un éclair… F&C demeurèrent impassibles. Tendus vers ce rêve qui leur tendait les bras. Pouvoir être grands pendant une après-midi, faire tout ce qu’être adulte permet, mais sans les problèmes afférents.
– Regarde ! Tu vois, ça marche !
– Quoi « ça marche » ?
– Le mur n’est plus rose et… dans mon rêve il y avait aussi ce truc vert autour de nous…
En effet, un halo vert phosphorescent les entourait et ils se sentaient… Ils étaient incapables de trouver les mots pour décrire ce qu’ils ressentaient… comme si les cellules de leur corps se séparaient, s’éloignaient les unes des autres, comme s’ils devenaient transparents et que personne ne le remarquait.
F. sortit une petite carte de sa poche. Elle y était depuis presque une semaine. L’instituteur du CM2 était en retard, il courait dans les escaliers quand son cartable s’était ouvert, déversant son contenu sur les marches, il avait ramassé ses affaires à la hâte, mais Filou avait « malencontreusement » dissimulé la carte de visite en posant le pied dessus. Il s’était ensuite enfermé dans les toilettes pour la regarder et y avait vu un signe. La nuit suivante, il l’avait déposée sous son oreiller et c’est précisément cette nuit-là qu’il avait fait son rêve prémonitoire. Si ça c’était pas une preuve… !
Il demanda à C. d’allumer son ordinateur, de se connecter sur internet et le cœur battant tapa d’un index fébrile le nom du site tout en récitant l’alphabet à l’envers. Par précaution, il avait réussi à convaincre C. de compter de 12 à 63 en rotant « à voix haute ».
– Regarde… ! Tu vois ? Ça marche !
– Je vois juste que t’as transformé les murs de ma chambre en écrans, c’est cool, mais… c’est tout ! Il y a toujours le truc…
– Fais-moi confiance ! Parle avec une grosse voix, qu’on ne se fasse pas prendre bêtement ! Et on clique… en tournant le bitoniau… t’es prêt ?
– Oui !
Leurs cellules se séparèrent davantage, s’éloignant tant les unes des autres qu’un retour à l’état antérieur devenait impossible. Une image d’abord floue, comme un mirage. Ils l’avaient atteint leur putain de Graal ! Quelle victoire sur les grands et les scientifiques, ils y étaient parvenus !
L’image tourbillonna à toute vitesse, il leur semblait même qu’elle émettait un long sifflement tellement aigu que seules leurs oreilles pouvaient le percevoir. Leur coeur battait de plus en plus fort, ils allaient enfin réussir, c’était sûr et certain désormais !
Mais il ne faut jamais mentir à un écran d’ordinateur, si on est mineur, on n’entre pas ! Exception faite des hommes qui travaillent dans les mines, qu’elles soient de charbon, d’or, de sel ou de diamants ! Voici comment s’est achevée cette mésaventure arrivée à F&C.