Instantané – Sieste postprandiale

Monsieur le Notaire souriait, béat au bord du lac. Il n’était pas du tout notaire, mais il était coquet et aimait beaucoup cet accessoire vestimentaire, les cravates. Il en possédait toute une collection, une collection incroyable. Sa passion l’avait même transformé en une sorte de maître dans l’art de les nouer. Sans avoir besoin d’aucun miroir, se fiant juste à l’habileté de ses mains, il pouvait en effectuer une dizaine différents. Il connaissait la symbolique, l’usage de chacun.

Monsieur le Notaire s’endormit, son sourire béat accroché à ses lèvres. Il n’avait pas prévu ce pique-nique au bord du lac, l’idée s’était imposée à lui alors qu’il était en chemin pour un déjeuner d’affaire. Il avait reçu un appel contrit l’informant de l’annulation au dernier moment, son client était retenu par ailleurs. Il s’était alors arrêté dans la première boulangerie et avait acheté un sandwich, qui s’avéra bien meilleur qu’il n’aurait pu le craindre, et une boisson fadasse.

Mais l’automne s’était décidé à se faire clément… et puis… on ne l’attendait pas au bureau avant 15 heures, alors, il s’était accordé cette pause dans son emploi du temps surchargé et il en était bien content.

Avant de fermer les yeux pour cette sieste, il avait dénoué sa cravate. En souriant. Parce qu’il était fier de ce nœud qu’il effectuait à merveille « le nœud Eldredge », à la fois fantaisie et surtout artistique. Il l’avait adopté « pour les grandes occasions » en réalité –si vous me permettez cet aparté– surtout pour épater la galerie, dès 2008.

Il fit un rêve d’une douceur incroyable, d’une douceur et d’une chaleur tellement réconfortantes. Le genre de rêve dont il n’avait pas envie de sortir… avant d’ouvrir les yeux, il en reconstitua le fil…

Une créature magnifique était sortie du lac, elle était si belle qu’on aurait pu la croire sirène, mais quand elle était arrivée sur la berge, il n’avait pu que remarquer ses jambes longues et fuselées… Elle s’était approchée de lui, un sourire éclairait son visage un peu mutin, il semblait même éclairer son regard, le pailleter…

À genoux à ses côtés, elle avait posé un index sur ses lèvres pour lui intimer le silence et surtout l’obéissance la plus totale. Ravi, il s’était soumis…

Elle avait alors, avec toute sa science, détaché la ceinture, dégrafé le premier bouton, puis les suivants de son pantalon. Monsieur le Notaire avait eu le réflexe de tendre la main pour arrêter le geste de cette inconnue, mais un regard courroucé l’en avait dissuadé.

Il se laissa donc faire. La créature sortit le membre déjà bien dur de ce doux rêveur qu’elle avait commencé à caresser, en se penchant vers lui. Plus elle se penchait, plus sa poitrine devenait opulente… deux magnifiques globes dont la teinte varia plusieurs fois, tantôt laiteuse, presque opalescente, tantôt rosée, voire ambrée, cuivrée et même brune… Toutes les femmes en une ! Il se rappelait avoir eu cette pensée…

Elle se pencha davantage en lui murmurant « C’est ça que tu veux, hein, filou ! » et entreprit de le masturber longuement, tendrement entre ses seins. Elle connaissait autant de façons de le faire qu’il connaissait de noeuds de cravate. Elle lui prodiguait ses caresses en lui disant, de sa voix incroyablement mélodieuse, tous ces mots qu’il avait tant espéré entendre. Comment les connait-elle ? Il se rappelait également avoir eu cette pensée…

Combien de temps durèrent ces caresses ? Il n’en avait aucune idée… transporté dans ses sensations, il en avait oublié de mesurer le temps. Il ne voulait graver dans sa mémoire que le souvenir de son sexe magnifié entre ces seins parfaits, que le souvenir de la douceur de cette peau contre la sienne, de la chaleur, de leurs souffles à l’unisson.

Il explosa couvrant la gorge de sa partenaire de tout ce plaisir si longuement, si rageusement contenu. Son orgasme avait été si puissant qu’il l’avait chassé du monde des rêves. Il tentait de se remémorer chaque détail de ce songe, mais une force supérieure l’obligea à ouvrir les paupières.

Sa ceinture était mal mise, un peu de guingois et un pan de chemise s’était échappé de son pantalon. Il entendit un bruit humide, comme de l’eau que l’on éclabousse du bout du pied. Il leva la tête, regarda le lac en contrebas… était-ce une naïade, était-ce une femme qui avant de plonger semblait l’avoir salué ?

Un dessin qu’on retourne, un instantané qu’on découvre, un bout de vie dont on se souvient…