Le cahier de Bonne-Maman – « Je ne saurais vous plaindre de n’avoir point de beurre en Provence, puisque vous avez de l’huile admirable »

Nous nous étions enfin résolus à sortir de la petite maison et nous admirions la mer en contrebas, depuis le promontoire où nous avait emmenés Toine.

—  Il aura fallu que je vienne ici, avec vous, pour réaliser à quel point tout ceci m’avait manqué… la mer faussement calme, caressée par le vent chargé de parfums… les pierres, la garrigue… la lumière… et ce vent… ce vent piquant comme la vie, apaisant comme la confiance…

Se tournant vers moi, il me demanda

—  Et toi, blonde Rosalie ? Ta Normandie ne te manque pas ? Si tu fermes les yeux et que tu penses à ton pays, qu’est-ce qui te manque le plus ?

Debout, face à ce paysage sauvage, rugueux, à cette mer docile et calme, dans les bras de Pierrot qui regardait au loin, par-dessus ma tête, je fermai les yeux et répondis

—  L’odeur des pommes qui sont tombées des arbres et qu’on ramasse sur l’herbe épaisse, humide… l’odeur des pommes qu’on épluche… les vaches grasses, leur odeur, le bruit des troupeaux… la mer vivante qui s’enfuit au loin, mais qui revient toujours… nos poissons… l’odeur, la texture de la crème fraîche, de nos bons fromages… la lumière du petit matin inondant l’orée de la forêt près de notre pâture… le trèfle en fleurs… les romulées… ces autres fleurs dont le nom m’échappe… le vent iodé qui cingle, qui fait couler les yeux, qui pique les mains…

J’inspirai de toutes mes forces et j’eus l’impression d’y être

—  … et le beurre !

Nathalie avait interrompu mon évocation en éclatant de rire. Elle ne comprenait pas que je puisse me régaler de la viande cuite dans du beurre fondu. Elle tordait encore le nez en évoquant ce qu’elle qualifiait de vice.

—  Dire qu’elle ne connaissait pas les olives avant que je lui en fasse goûter et que l’huile lui donnait des hauts de cœur !

Toine eut un hoquet de surprise.

—  Pourtant… tu avais l’air d’apprécier la cuisine niçoise… Je me trompe ?

Gênée, je fixais le ciel à la recherche d’un nuage auquel accrocher mon regard, Nathalie s’intéressait plus que de raison à un petit caillou à ses pieds.

—  Ho ! Que signifient ces regards fuyants, ces sourires coupables et ces joues rougies ?

Pierrot et Toine nous pressaient de questions dont ils connaissaient la réponse, mais étaient excités à l’idée de l’entendre de nos bouches.

—  Vas-y, toi… dis leur !

—  Non ! C’est à toi de leur dire !

—  Non ! C’était ton idée… alors…

—  C’était TON idée, ma chère !

—  Non, c’était la tienne !

En réalité, c’était la nôtre, pour le moins, nous ne savions plus très bien qui l’avait eue en premier. Pierrot et Toine usèrent de toute une gamme de stratagèmes pour nous convaincre de raconter. Ils nous cajolaient, nous suppliaient, exigeaient, larmoyaient, nous cajolaient encore. Nathalie et moi jouissions de ce pouvoir que nous détenions, mais quand lassées de nous faire supplier, nous voulûmes leur expliquer, les mots nous manquèrent, ceux qui nous venaient à l’esprit ne rendaient pas grâce à ces moments sensuels et intimes.

—  Si vous aviez pu voir…

—  Il aurait fallu vous montrer…

Toine nous répondit de ne pas nous en faire, il achèterait de l’huile en chemin et nous leur montrerions dans la chambre.

—  Ah, mais non ! Dans la chambre, ce ne sera pas possible… non !

—  Nous le faisions sur la table… non !

—  Ça risquerait de gâter le plancher ou les draps !

Maintenant que nous mourrions d’envie de leur faire partager ce jeu, que l’idée nous excitait autant qu’elle les excitait, voilà qu’un obstacle se dressait devant nous ! Nous étions dépitées et il était hors de question de demander, comme nous l’avait suggéré Toine, à notre logeuse de nous laisser l’usage de sa cuisine.

Philosophe et déterminé, Toine nous affirma péremptoire

—  Quand un obstacle se dresse devant nous, il suffit de le contourner pour le surmonter ! Attendez-nous ici, nous revenons au plus vite !

Georges Marie Julien Girardot

Nous les regardâmes partir au pas de course et le temps de réaliser notre effronterie, avant même que nos joues, nos fronts aient perdu leur rougeur, nous les vîmes arriver, toujours au pas de course, tenant chacun une bonbonne d’huile. Nous les houspillâmes, leur reprochant d’en avoir apporté bien plus que nécessaire. « Vaut mieux ça que l’inverse ! ». Je ne pouvais qu’approuver mon Pierrot.

—  Maintenant, mon Toinou, il faut que tu nous trouves un lieu à l’abri des regards indiscrets…

La voix mutine de Nathalie, son sourire plein de sous-entendus, son regard enjôleur, attisèrent le désir de Toine, qui ne cherchait pas à dissimuler la bosse dans son pantalon, bien au contraire ! Les rochers, les buissons faisaient un petit nid, comme un écrin naturel. Nous nous dévêtîmes comme si être nues en pleine nature était la chose la plus normale du monde, comme si l’on ne nous avait jamais inculqué la détestation de nos corps, du plaisir. Nous dansions, lascives, au rythme d’une musique imaginaire. Sous prétexte de ne pas prendre le risque de tacher leurs habits, nous exigeâmes que Pierrot et Toine se missent nus également. Un peu rétifs à l’idée, il nous fallut user de mille ruses et arguments pour les convaincre.

Quand ils furent dévêtus, Nathalie s’adossa à un rocher, versa de l’huile dans sa main en coupe et, dans un geste d’une grâce absolue, fit couler l’huile de sa main sur sa poitrine. La nature avait fait silence, pour ne pas troubler cet instant. Nous retenions notre souffle devant tant de beauté. Enfin, comme je l’avais fait tant de fois, je m’approchai d’elle, mes mains caressèrent ses jolis seins et je la tétai. Nous entendions le désir proche de la folie dans la respiration saccadée de Pierrot et de Toine, dans leurs exclamations qui s’évanouissaient après la première syllabe.

J’exagérai un rictus de dégoût, qui ne demandait qu’à se muer en sourire de plaisir. Je versai dans la main de Nathalie bien plus d’huile qu’elle ne pouvait en contenir, quand sa main déborda, que l’huile se répandit sur son ventre, je la léchai. Pierrot et Toine étaient muets d’excitation, sidérés du spectacle du corps de Nathalie luisant de toute cette huile, ondulant sous les caresses de ma langue. Elle fit couler un peu d’huile sur sa toison, entre ses cuisses. Je dégustai mon amie sous le soleil, dans les parfums de la Provence, oubliant un instant la présence de nos comparses. J’écartai les lèvres de son sexe et versai un long filet d’huile, je reculai mon visage pour mieux apprécier le spectacle et, enfin conquise, la dévorai tendrement, jusqu’à ce que ses cuisses se contractent autour de mon visage à m’en broyer les os du crâne.

Quand elle jouit, son cri dut s’entendre jusqu’en Italie.

Redescendue sur Terre, je regardai Pierrot et Toine.

—  Et c’est ainsi que j’ai appris à aimer l’huile d’olive !

Ils semblaient vouloir retenir leurs viscères, tant ils tenaient leurs bras croisés serrés contre leur ventre. En leur souriant, nous leur demandâmes s’ils souhaitaient nous goûter ainsi l’une après l’autre « pour savoir si nos goûts intimes sont différents »

Ils ne se firent pas prier « Laisse-moi admirer ta peau laiteuse étinceler au soleil… » Pierrot étalait l’huile que je faisais couler sur mon corps, de la même façon que Nathalie l’avait fait plus tôt. Je regardais ses mains viriles, à la peau brune, aux veines saillantes, aller et venir sur mon corps. Le contraste était saisissant, mais nos peaux se rejoignaient dans le scintillement.

Je regardais ses mains et ma respiration devenait irrégulière, tantôt légère, puis, dans un crescendo, de plus en plus ample, profonde. Je regardais ses mains avec la folle envie qu’elles me possèdent.

Il fallut que j’entende une remarque de Nathalie pour réaliser que je criais, Toine précisa « comme le chant d’un oiseau lors d’une parade amoureuse ».

La bouche de Pierrot faillit me faire mourir de plaisir lorsqu’il dégusta mon sexe offert . Quand je le libérai de l’étau de mes cuisses, comme nous le leur avions demandé, il goûta Nathalie qui avait joui de son Toine.

Le regard de Toine avait ces reflets, comme des éclairs de folie, quand il s’approcha de moi. Il fit couler de l’huile sur mes seins, se dit fasciné de la trouver si ambrée tant ma peau était laiteuse. Il guidait cet onguent vers ma toison, lissant mes poils entre ses doigts, plus longs, plus nerveux, moins trapus que ceux de Pierrot.

J’entendais Nathalie le supplier de la prendre enfin, de ne pas la faire languir plus longtemps de désir, il se plaignait « mais… je t’ai à peine goûtée… »

Toine avait oint mon corps et je bougeais devant lui comme il me le demandait. Il voulait voir « chaque parcelle de ta peau briller, étinceler comme une pierre précieuse sous le soleil niçois »

Après s’être « régalé les yeux », il s’assit et me fit venir contre lui, le nez fiché dans mes poils, il écarta les lèvres de mon sexe, sortit sa langue et me demanda de me frotter, de danser sur elle. Mon bassin bougeait comme il n’avait jamais bougé jusqu’à présent. Dans un éclair de lucidité, je pris conscience de la situation : moi, la brave petite, la timide Rosalie, j’ondulais totalement nue, en pleine nature, au milieu de la journée, le sexe sur la bouche d’un homme qui n’était ni mon mari, ni mon promis, mais celui de ma meilleure amie dont le corps luisant chevauchait celui de mon futur. Mon cri transperça les montagnes pour aller se perdre au-delà de la frontière.

Après tant de caresses, tant d’étreintes, le corps de Toine était luisant, appétissant. Je le goûtais, réalisant à quel point j’aimerai pour toujours le goût de l’huile d’olive, comme sa saveur resterait à tout jamais liée au souvenir de cette après-midi.

Nos yeux se dévoraient de plaisir, de désir. Sans avoir à nous le dire, nous nous étions compris. Il s’allongea sur le sol, je lui versai une rasade d’huile sur les doigts, manquant de laisser choir la bonbonne, tant mes mains étaient glissantes. Il me caressa longuement les fesses et quand son index et son majeur purent aller et venir aisément en moi, je m’accroupis lentement sur lui et nous fîmes l’amour ainsi, sereinement, sans craindre qu’il me mette enceinte.

À nos côtés, Pierrot et Nathalie, repus de plaisir, ne songeaient même pas à épousseter la terre, les brindilles collées à leur peau. J’aimais leur sourire auquel je m’accrochai quand je sentis jaillir la jouissance de Toine dans mon derrière.

Nous essuyâmes tant bien que mal l’huile sur nos corps, il ne fallait pas prendre le risque de salir nos vêtements. Le temps de récupérer nos affaires, de dire au revoir à notre logeuse, nous reprenions le train et rentrions, joyeux et triomphants, au village où notre nouvelle vie nous attendait.

Comme l’écrivait Baudelaire, « Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, des divans profonds comme des tombeaux »

Le cahier de Bonne-Maman – À table comme en amour, le changement donne du goût

Je fis à pied le trajet depuis la gare, les reliefs me surprenaient et je m’arrêtais souvent pour regarder, toucher, sentir ces fleurs, ces buissons, goûter ces fruits que je ne connaissais pas encore.

Je trouvai facilement la ferme des parents de Nathalie. Elle avait reçu une lettre du Toine lui racontant mon histoire et lui demandant de trouver un lieu pour manger et dormir contre mon travail. 

J’avais quitté ma Normandie sous la pluie et le vent et je découvrais une Provence éclatante de soleil, bien que très venteuse. Ce furent les premières choses qui me frappèrent, la lumière et ce vent que je ne connaissais pas. Ensuite, je me souviens des odeurs. J’étais une fille de la terre et sans doute bien plus sensible que toi à ces choses-là.

Puisque j’avais mon certificat d’études et que j’avais une écriture soignée, je pourrais peut-être aider l’instituteur après avoir passé un petit examen. Si j’étais prise, je logerais au-dessus de l’école. Sinon, je pourrais toujours proposer mon aide dans une ferme, ce n’était pas le travail qui manquait !

Nathalie était curieuse de me voir et surtout d’entendre « mon drôle d’assent » ! C’étaient eux qui en avaient un ! Pas moi ! Ce fut longtemps un sujet de plaisanterie mon fameux accent, au fil des années, je l’ai perdu. Nathalie dit que ce sont leurs oreilles qui s’y sont habituées!

Très fatiguée par ce voyage, par toutes ces émotions aussi, je m’endormis la tête posée sur mes bras, alors que j’attendais que la Nathalie ait fini de me faire une omelette. Quand je rouvris les yeux, je la vis, souriante, un bambin sur les genoux.

Je mangeai un peu puis nous allâmes à l’école, au cœur du village, je rencontrai l’instituteur qui me fit faire une dictée, résoudre quelques problèmes d’arithmétique, m’interrogea sur la géographie. Le besoin était grand, je fus embauchée comme maîtresse auxiliaire et il fut convenu que je commencerai dès le lundi suivant, nous étions vendredi soir, j’avais donc deux jours entiers pour m’installer, faire le tour du village et connaissance avec ses habitants.

Je n’avais qu’une robe sur moi, celle que je portais pour aller voir mon Pierrot. À l’époque, surtout quand on était paysanne, on n’avait pas beaucoup de robes, on portait un tablier sur celle de la semaine et on avait la fameuse « tenue du dimanche »

Je portais ma robe du dimanche, elle était un peu sale, sentait la sueur et le tabac froid, des odeurs de cuisine aussi… Il n’y avait pas de magasin de prêt-à-porter. Les plus riches s’offraient les services d’une couturière, les femmes de ma condition achetaient du tissu et cousaient leurs vêtements. On n’avait pas de machine à laver non plus… aussi, je demandai à Nathalie si elle pouvait me prêter une de ses robes, le temps que je lave la mienne et qu’elle sèche… avec ce grand soleil et ce vent, même si le tissu était épais, ça ne prendrait pas longtemps.

Nous fîmes un aller et retour de la ferme à l’école, la grand-mère de Nathalie s’occuperait des petits le temps que je m’installe dans cette petite chambre, dont la fenêtre donnait sur la cour, et aussi le temps de papoter entre filles dont les fiancés étaient au front.

Nathalie me tendit une robe en me demandant « deux faveurs ». Tout d’abord, la serrer fort dans mes bras et tandis que je le faisais, de ne pas laver ma robe tout de suite. « Mon Toinou a dormi dessus, il a rêvé à moi en vous écoutant, derrière le drap tendu… » Ses grands yeux noirs étaient pleins de larmes.

Elle sentait le tissu, essayant d’y trouver l’odeur de son Toine. Je lui fis la promesse de ne pas laver ma robe avant le retour de nos hommes. Mais je ne savais pas encore qu’il nous faudrait attendre presque dix-huit mois avant de les revoir. Ne te moque pas, mais à leur retour, nous étions tous les quatre convaincus que ce « sacrifice » leur avait porté chance et permis de rentrer sains et saufs.

Je retirai ma robe comme je l’aurais fait devant ma sœur, Nathalie fut surprise de mes dessous. Une fois encore, il y avait quelques différences avec ceux qu’elle connaissait. Je fis une toilette de chat et tandis que je m’aspergeai de « sent-bon », Nathalie étala ma robe sur le lit et s’allongea dessus.

Je la regardais faire et comprenais très bien à quoi elle songeait. Plus que jamais, le corps de Pierrot me manquait. Et ses mains… Et ses baisers… Je me fis une petite place aux côtés de Nathalie et lui caressai les cheveux. Elle laissa enfin couler ses larmes et déversa sa peine, ses regrets.

Pourquoi avait-elle tant tenu à garder sa vertu ? Pourquoi avait-elle refusé d’écouter son cœur, son corps ? Et si le Toine ne revenait pas ? Cette guerre qu’on devait gagner si vite, ce retour des hommes pour les récoltes qu’on nous avait promis ! Ça faisait presque trois ans qu’il était parti…

Elle m’admirait d’avoir eu le courage de faire ce voyage pour rencontrer Pierrot. Elle avait presque vingt ans et enviait pourtant mon « espérience ». Je lui caressai les cheveux, embrassai ses yeux, ses joues, sa bouche. Nos corps firent le reste.

En ce printemps 1917, je découvrais le plaisir et la beauté d’un corps féminin, la douceur de la peau, le frémissement des seins sous mes mains. Il nous fallut presque une heure de caresses, de baisers avant d’oser nous dévêtir entièrement.

Quand je fus nue devant elle, Nathalie écarquilla ses grands yeux « Tu es blonde, même en bas ! ». Je rougis, bafouillai je ne sais quoi, sidérée qu’elle le fût. Je me faisais l’impression d’être une bête de foire, ma tenue, mon accent, les mots que j’employais, tout semblait étrange à Nathalie et maintenant, même mes poils l’étonnaient !

Remarquant mon air contrarié, Nathalie décida de me faire rire et s’agenouilla devant moi « pour implorer ton pardon ! » Comme ses excuses étaient douces… !

« Tu crois qu’on peut ? » était la question que nous nous posions le plus, et à chaque fois, la même réponse s’imposait « Bien sûr qu’on le peut ! »

Dessin de Gerda Wegener

J’avais aimé les baisers de mon Pierrot sur mon sexe, ceux de Nathalie étaient différents, mais je les aimais tout autant ! Je découvris aussi les délices d’un sexe féminin, ses parfums, ses trésors. J’aimais glisser ma langue dans ses replis secrets et j’aimais quand Nathalie faisait de même.

Nous nous caressâmes, nous embrassâmes, nous léchâmes, nous étreignîmes, nous embrassâmes encore, ondulant, lascives, étouffant nos cris de surprise, nos cris de plaisir. Ce jour-là, nous restâmes à l’orée de la jouissance.

Les cloches de l’église sonnèrent la fin de cette récréation, il était temps de nous rhabiller, de nous recoiffer et de retourner à la ferme.

Nous nous regardions droit dans les yeux, sans aucune honte, ni regret, sans crainte d’aller en enfer. Bras dessus, bras dessous nous fîmes le chemin en parlant de tout et de rien, comme s’il ne s’était rien passé dans la petite chambre.

En y repensant, tant d’années après, je me souviens que j’étais bien plus troublée par la robe que je portais, si différente de celles dont j’avais l’habitude, que par ce que je venais de faire avec sa propriétaire.

Après le repas, nous écrivîmes chacune une longue lettre à nos hommes, pour les rassurer. Je racontai mon voyage à Pierrot, la découverte de sa Provence, mon installation au village, je lui parlai de ma robe et de ma décision de ne pas la laver avant son retour, je lui décris, avec force détails, ma découverte du plaisir entre deux jeunes filles. Je ne voulais pas lui cacher quoi que ce soit, du fond de mon corps, je savais qu’il ne me jugerait pas.

Loin de nous juger, mon Pierrot et le Toine, dans leur réponse respective, nous encouragèrent à prendre du plaisir sans aucune honte, ni crainte d’un courroux divin, comme me l’écrivit Pierrot « Je subis la colère de dieu à chaque instant depuis deux ans, pourtant je n’ai rien fait pour la mériter. Si tu m’aimes, accroche-toi au plaisir, croque le bonheur à pleines dents, récolte le plaisir, fais-en provision, si je reviens de cet enfer, je vais en avoir besoin, j’en serai affamé » Je lui ai reproché d’avoir écrit « si » à la place de « quand », mais je ne manquais pas de lui raconter nos émois sensuels pendant les mois qui suivirent.

Dessin de Gerda Wegener

Nous nous laissions aller aux « plaisirs saphiques » comme le Toine les nommait de sa plume érudite, dès que l’occasion se présentait, parce que l’envie, le désir ne nous quittaient jamais. Nous devenions audacieuses dans nos étreintes, la seule crainte de Nathalie étant de perdre son pucelage.

Même si ça amusait son Toinou, qui la moquait un peu à ce propos, elle tenait à lui offrir sa virginité. Depuis toutes ces années, j’ai appris que quand Nathalie a une idée dans sa caboche, rien ni personne ne pourront la déloger !

Quand il revinrent au village, j’y avais trouvé ma place je m’étais accoutumée aux parfums, aux vents, à la végétation, aux reliefs, à l’accent, au langage, aux traditions, à la cuisine de la Provence, mais j’y avais surtout trouvé une amie, une compagne, une sœur, une de ces personnes qui t’ancrent dans la vie, qui te permettent de garder l’espoir dans les moments de doute.

Au fil des mois, j’avais appris à connaître mon corps, à le faire réagir, à moduler la montée du plaisir, et je savais la stopper si je voulais prolonger cet état ou, au contraire, je savais laisser exploser ce feu d’artifice intérieur. J’avais aussi appris à reconnaître tous ces signes dans le regard de Nathalie, dans les frémissements des ailes de son nez, je savais déchiffrer la mélodie de son plaisir rien qu’en l’écoutant respirer. J’avais appris ce que signifiaient les mouvements de ses cuisses, les ondulations de son bassin, les crispations de ses mains, même ses pieds m’indiquaient où elle en était dans son ascension vers son plaisir.

En apprenant à aimer une autre fille, nous ne pensions pas que nous saurions offrir tant de plaisirs aux hommes qui allaient partager nos vies, à nos compagnons. Mais le plus important, nous ignorions que nous en prendrions autant ! Sans en avoir conscience, nous nous étions libérées des carcans d’une morale qui ne nous aurait jamais convenu.

À leur retour, quand il me vit nue, mon Pierrot me dit que les nombreuses caresses de Nathalie avaient épanoui mes seins, qu’ils étaient encore plus beaux que lors de notre rencontre, qu’ils avaient tout pour combler ses mains d’homme. Il sut s’en montrer reconnaissant.

Comme l’affirme le dicton, « là où il y a des filles amoureuses, il est inutile de verrouiller les portes »

Les souvenirs de Tatie Monique – L’installation

Avant de quitter la ville, nous avions fait une pause au buffet de la gare, j’avais commandé une mauresque que Christian but pendant que je téléphonais à mes parents pour leur annoncer que je ne rentrerai pas à Paris, que je restais aux côtés de Bonne-Maman qui avait besoin de moi. Je crois qu’ils n’ont pas cru, ou pas réalisé ce que je venais de leur dire.

Nous roulions vers le village l’esprit encore tout chamboulé de la lecture du cahier de Bonne-Maman et de ce que nous y avions appris.

Nous n’avions pas envisagé cette hypothèse, mon installation définitive au village. Christian habitait encore chez ses parents, je savais que Bonne-Maman me ferait de la place dans sa maison. Je savais aussi qu’elle serait chez Nathalie quand nous arriverions. Nous craignions de les déranger en déboulant ainsi chez la grand-mère de Christian, mais je n’avais pas la clé et puis, je tenais à lui demander l’autorisation et leur dire de vive-voix que la lecture du cahier y était pour beaucoup dans ma décision. Elles nous accueillirent avec ce bonheur franc des petites gens.

Bonne-Maman, d’abord ravie, sembla se rembrunir et râla un peu qu’il était indécent de nous laisser dormir dans mon petit lit. Il me semblait impensable que je la prive de son lit conjugal, ne serait-ce que pour une nuit. Les glaçons ne tintaient pas encore dans les verres quand nous demandâmes à Alain d’aider Christian à déménager son lit de chez ses parents à ma petite chambre.

Qu’est-ce que nous avons ri ! Il n’en revenait pas ! J’abandonnais tout, la vie parisienne, mon emploi d’esthéticienne, pour vivre ici, sans avoir pris le temps d’y réfléchir longuement ! Mais quel risque prenais-je ? Je n’avais que vingt ans, un boulot de vendeuse, je pourrai en trouver facilement, ou bien n’importe lequel qui se présenterait, et puis, si mon histoire d’amour tournait mal, qu’est-ce qui m’empêcherait de faire le chemin inverse ? Il en convint. 

Quand le lit de Christian fut installé dans ma chambre, Alain s’exclama pour la dixième fois de la soirée « Ô, pute vierge ! ». J’éclatai de rire. « Attention, tu vas finir par inonder ton pantalon ! ». Nous nous regardâmes tous les trois, avant de reprendre la voiture pour retourner en ville. 

Ils m’attendaient sagement devant la boucherie, déjà fermée, je montai les escalier quatre à quatre et toquai à la porte de Catherine.

– Mais… mais tu n’es pas partie ?

– Je n’ai pas pu. Je m’installe au village, chez ma grand-mère… Alain nous a aidés pour déménager le grand lit de Christian, alors j’ai pensé…

Je ne savais pas comment le lui proposer, pourtant, dans la voiture, j’avais trouvé une formulation joyeuse et amusante, mais là… face à Catherine… j’avais tout oublié.

– Tu as pensé… ?

– On pourrait fêter ça tous les quatre… comme le baptême de ma nouvelle vie…

– Tous les quatre ? Avec… avec MOI ?

– Ben, oui…

J’allais lui préciser « si ça te fait plaisir », mais je n’en eus pas le temps, elle m’enlaça et m’embrassa en me remerciant.

– C’est à moi de te remercier ! Avec toi, la fête sera plus belle !

En nous voyant arriver, Alain et Christian manifestèrent leur joie. Catherine et moi voulions papoter pendant le trajet, nous nous installâmes à l’arrière de la voiture. J’observais le regard comblé de mon Christian dans le rétroviseur, et telles deux gamines, nous pouffions à chaque « Ô, pute vierge ! » d’Alain, qui se retournait régulièrement, comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas.

Bonne-Maman nous avait laissé la maison, elle passerait la nuit aux côtés de Nathalie.

J’admirais l’art avec lequel Catherine s’effeuillait. Jusqu’à ce soir précis, j’ôtais mes vêtements le plus vite possible, tant ma hâte d’être touchée, embrassée, caressée, léchée était grande. Au contraire, Catherine se déshabillait lentement, se caressant la peau, laissant monter en elle l’excitation et attiser le désir des hommes. Bon sang, que son corps était désirable ! Qu’il était beau ! Je pensai « quel gâchis, tous ces longs mois sans que personne ne le comble ! »

CNhZHCnWsAArvsG– Laisse-moi faire ! Je vais te préparer !

Assise sur le bord du lit, Catherine débraguettait Alain avec une douceur impatiente. Les bras ballants, les mains massives et puissantes d’Alain pendaient mollement le long de ses cuisses. Encore sous le coup de la surprise, il se laissait faire, totalement soumis au désir de Catherine. Au troisième bouton, il ferma les yeux, rejeta sa tête en arrière, je vis sa main gauche se soulever au ralenti et ses doigts retrouver la chevelure soyeuse de Catherine. 

Je vivais ce moment de grâce et plus de quarante ans après, j’en ai un souvenir précis, gravé dans ma chair.

Quand ses lèvres effleurèrent le sexe tendu d’Alain, je sentis les doigts de Christian caresser mes seins, descendre vers mon ventre, puis mon pubis, sa voix dans un souffle sur ma nuque « caresse-toi, ma chérie ». Alain gémit doucement et Catherine sembla revenir à la vie, telle une Belle au Bois-Dormant.

Il la releva soudain, l’enlaça, sa queue désormais taurine contre le ventre ardent de Catherine, il lui dit « Oh, tu m’as tellement manqué, Catherine ! », l’embrassa. Une fois encore, j’eus une vision du dessus de la pièce. Christian se caressant dans mon dos, une main sur ma toison, Catherine dans les bras d’Alain, l’embrassant, le corps de Catherine ondulant lascivement, se frottant contre le sexe, contre le ventre d’Alain, moi, me régalant de ce beau spectacle, me caressant pour la première fois à quelques centimètres d’une autre femme, ma bouche entrouverte, prête au baiser.

Au ralenti, Catherine s’allongea sur le dos. Alain voulait qu’ils se regardent quand il la pénétrerait. Ce regard ! J’étais tout à la fois Catherine, ressentant la pénétration du sexe d’Alain, millimètre par millimètre, écartant les parois du vagin pour le remplir totalement, mais j’étais aussi Alain au regard brûlant de désir, sa voix vibrante chuchotant presque un timide « Oh, que c’est bon ! Que c’est bon, ma Catherine… Ma Catherine ! »

Christian s’approcha d’elle, offrit sa queue aux talents de sa bouche.

Que mon sexe était doux sous mes doigts !  J’imposais la lenteur à mes caresses. Je voulais garder intacte la perfection de ce moment. J’aimais regarder les ondulations du bassin de Catherine, j’aimais l’éclat de son regard quand ma main effleura son sein avant de caresser le mien. J’embrassai Christian tandis qu’Alain allait et venait plus vite, plus fort, jusqu’à retrouver le rythme en lequel leurs corps aimaient danser, aimaient s’aimer. « Ô, pute vierge ! Comme tu me manques ! Comme tu me manques ! »

Par son baiser, Christian me transmettait tout l’art avec lequel il aimait que Catherine le suce. Il me semblait que sa langue dansait avec la mienne par l’intermédiaire de celle de Christian. 

Les ondulations de Catherine devinrent de plus en plus amples, je sentais son plaisir enfler, gronder en elle. Elle dégagea sa bouche pour nous supplier « Faites-moi jouir ! Je veux jouir de nous tous ! » avant de sucer Christian comme on boit après avoir trop attendu pour le faire. Nos mains aux doigts presque enlacés, caressèrent son clitoris, je jouis presque de la sentir jouir. Un bref instant, le temps se figea. Nous goûtions tous les retrouvailles de Catherine avec ce plaisir précis.

La bouche pleine de la queue de Christian, elle marmonna « Encore ! Encore ! Encore ! Encore ! » comme en écho, Alain psalmodiait « Ô, pute vierge ! Je vais venir ! Tu me fais venir… ! Ô, pute vierge ! Un mot de toi et je vais venir ! ». Ce fut de ma bouche que sortit la réponse de Catherine « Viens ! Viens ! Viens, Alain ! »

En écrivant ces mots, je ne sais pas si je peux transmettre cette sensation de communion absolue qui nous animait, qui nous reliait les uns aux autres.

Alain jouit longuement, se retira comme il le faisait toujours, pour laisser la place à Christian. Avant qu’il ne le fasse, je regardai attentivement le sexe de Catherine coulant du sperme d’Alain, et je compris le plaisir que mon homme pouvait prendre à pénétrer ce paradis humide et chaud.

Le creux des jambes de Catherine dans le creux de ses bras, Christian la pénétra, écartant ses cuisses de gitane pour mieux se régaler du spectacle. J’allais jouir de cette vision, de mes doigts fiévreux, quand je sentis la langue, pour une fois rugueuse, d’Alain.

– Ooohhhooohhh… !

J’aimais comme il me suçait, me léchait, me dégustait, j’aimais jouir comme ça, debout, sentir mes jambes trembler, lutter pour ne pas se refermer quand elles étaient écartées, pour ne pas s’écarter quand elles étaient serrées, se plier pour que mon sexe palpitant soit au plus près de la bouche d’Alain. Je voulais le sentir au plus profond de moi, il me fouillait de ses doigts impudiques, quand il me sentait jouir. Enfin, le sexe dressé, massif comme un pieu, il s’allongea aux côtés de Catherine, lui prit la main tandis que je m’empalai sur lui, en regardant Christian aller et venir dans le sexe accueillant de ma nouvelle amie.

Que nous étions beaux, tous les quatre ! J’embrassais Christian, Catherine embrassait Alain, entre deux baisers, nous nous disions des mots d’amour. 

Catherine était transpercée par un orgasme quand Alain la demanda en mariage. Les yeux humides de fatigue, de plaisir, de surprise, d’émotion, Catherine accepta. N’osant y croire, puis réalisant enfin, il sembla hésiter avant de s’exclamer « Ô, mon Dieu ! Bon Dieu, c’est le plus beau jour de ma vie ! » alors que nous nous attendions à un « Ô, pute vierge ! »

– Bouge sur mon homme, Monique ! Montre-moi comment tu le fais jouir !

Mes mouvements se firent plus amples pour qu’elle puisse regarder la grosse queue veineuse luire de mes va-et-vient. J’aimais comme sa main féminine sur mes fesses m’incitait à monter plus haut et comme les mains viriles d’Alain sur mes hanches m’obligeaient à m’enfoncer davantage, d’un coup, jusqu’à ce que je sente son gland heurter le fond de mon vagin.

– C’est trop de bonheur… ! Vous me faites venir, mes douces coquines… ! Vous me… ô, pu…

J’entendis la voix d’Alain comme assourdie, mes oreilles bourdonnaient, je regardais Christian jouir de Catherine, ses yeux me hurlaient « JE T’AIME ! ».

En 1974, le clocher de l’église carillonnait encore toutes les heures. Nous entendîmes sonner 11 heures. Catherine travaillait le lendemain. Il était temps de dormir. En se rhabillant, Alain et Catherine rirent en voyant l’état des draps, du boutis tachés de spermes et d’autres fluides.

– Pense à nettoyer tout ça avant que ta grand-mère revienne, Monique !

J’interrogeai Christian du regard qui hocha la tête en signe d’assentiment, alors, le sperme d’Alain coulant sur mes cuisses, je fis quelques pas qui me séparaient de ma valise, l’ouvris et tendis le cahier de Bonne-Maman à Catherine.

– Non seulement, je n’en ferai rien, mais de plus, je dédie cette soirée à la belle Rosalie et à la charmante Nathalie !

– Et moi, je la dédie au courageux Toine et au viril Pierrot !

Pour la première fois, Catherine dormit dans les bras d’Alain, chez lui, tandis que Christian et moi passions cette première nuit dans ce qui allait devenir notre lit conjugal.

Les fiançailles (du latin confiare « confier à ») sont une déclaration d’intention de mariage.  (Définition Wikipédia)