
Il me semble que le jour s’est levé, la lumière tamisée par les rideaux est magnifique. Mon corps est collé contre celui de notre voisin, mais mon mari est déjà hors du lit. Je me lève pour le rejoindre dans la cuisine, l’odeur du café titille agréablement mes narines.
– Pourquoi n’es-tu pas resté avec nous dans le lit ?
– Parce que nous étions d’accord pour un plan à trois, pas pour un plan à quatre…
– Comment ça, « un plan à quatre » ?!
– Je vous ai laissé un peu de temps, comme tu me l’avais demandé, mais quand j’ai voulu vous rejoindre, un autre était là, qui vous avait pris dans ses bras… Je n’étais pas de taille à lutter…
– Qu’est-ce que tu racontes ? Un autre ?! Qui ça ?
– Un dénommé Morphée, il me semble…
C’est donc pour ça que je ne me souvenais de rien au réveil ! J’hésite entre rire du ridicule de la situation et en être attendrie.
– On dormait profondément ?
– Si tu me demandes pour toi, oui. Très profondément.
Je ronfle très fort quand mon sommeil est profond. Je suis gênée à l’idée que notre voisin ait pu le constater. Mon mari me rassure, mes ronflements ne le réveillaient pas. Nous entendons du bruit venant de la chambre. Notre voisin, tout sourire, nous rejoint en s’étirant.
– Ça faisait des années que je n’avais pas aussi bien dormi !
– Je fais souvent cet effet-là aux hommes…
– Ne l’écoutez pas, elle vous taquine !
Il n’y a que deux chaises dans notre cuisine, je me lève pour céder la place à notre voisin et m’assieds sur ses genoux. Mon époux lui sert un café, tout en faisant semblant de me sermonner d’une voix trop vibrante pour être crédible.
– Ma chérie, tu pourrais au moins dire bonjour à notre invité !
– Où avais-je la tête ? Bonjour, cher ami…
Mon cœur s’emballe pour la première fois de la journée quand nos langues se retrouvent. Il a dû le remarquer, car ses mains se sont glissées sous mon caraco. C’est un véritable crève-cœur quand nos bouches se séparent afin qu’il puisse boire son café.
Nous entendons un téléphone sonner dans le salon, mon mari va voir qui peut bien nous appeler de si bon matin. Il nous interpelle.
– C’est votre téléphone, cher ami !
Nous le rejoignons. Notre voisin jure et peste.
– Dix-sept appels manqués ! Ma fille…
– Rappelez-la, elle doit se faire un sang d’encre…
Il prend son téléphone, rédige un message à mi-voix. « Je vais bien, j’ai été invité à une fête improvisée, j’y suis encore. Je te rappelle plus tard. » Il nous regarde, satisfait. Nous hochons la tête d’un air mécontent. Il comprend, envoie un deuxième message. « Et surtout, bonne année ! » Nous rions et nos regards convergent vers le bouquet de gui. Nous nous y retrouvons dessous, j’embrasse mon époux avant d’embrasser notre voisin. La magie de nos langues emmêlées fonctionne une fois encore, voire elle se fait plus puissante.
– Je prends davantage de plaisir à regarder celui que vous prenez à vous galocher que j’en prendrais moi-même à galocher ma chère épouse !
Les mots, le son de la voix de mon mari trahissent son excitation. Notre voisin bande fort, je sens son sexe durci contre mon ventre. Nous retournons nous asseoir et plaisantons sur le coup du sort qui nous a brutalement fait sombrer dans le sommeil. Mon époux expose sa théorie du quatrième invité, d’abord séduit par cette idée, notre voisin se montre rapidement sceptique.
– L’intrusion du quatrième invité est, certes, une évidence, mais il ne s’agit en aucun cas de Morphée, c’est un sale tour que nous a joué le marchand de sable. Croyez-moi, je le connais très bien, cet odieux personnage qui ne vient jamais quand on a besoin de lui !
Ils me demandent de trancher le débat ce dont je suis incapable. Je propose à notre voisin de reprendre là où nous nous étions arrêtés cette nuit. À regret, il décline mon offre. Avant toute chose, il souhaite faire un brin de toilette chez lui.
Je remarque un détail qui m’avait échappé. Mon mari peut rester trois ou quatre jours sans se raser avant que sa barbe ne repousse, alors que, rasé de près quand il est entré chez nous, notre voisin a déjà les joues recouvertes de poils auburn.
Il promet de revenir « propre comme un sou neuf dans une grosse poignée de minutes. » Nous en profiterons pour nous laver aussi et pour cuisiner les mets qui le nécessitent.
– Je ne suis pas certain d’avoir le temps de me procurer un congélateur d’ici là…
– Il vous faudra alors manger comme quatre, le chapon de Bresse rôti aux châtaignes de mon mari est digne d’un restaurant étoilé !
Nous plaisantons sur l’éventuel effet soporifique d’un excès de gloutonnerie et nous décidons de nous montrer raisonnables en repoussant les agapes après la bagatelle.