

Pourquoi chercher comment je suis monté dans un train dans lequel je ne suis pas ? Pourquoi en chercher la destination ? Ce n’est pas le train qui compte, mais le voyage qu’il m’a permis de faire ! J’y suis monté comme on monte des escaliers. Des escaliers… bon dieu, mais c’est bien sûr !
Un éclair de lucidité a transpercé le cerveau de Christophe un court moment. Le temps nécessaire pour qu’il se souvienne des circonstances qui l’ont plongé dans cet état plus que second.
31 décembre 2021. Christophe est invité à passer le réveillon avec des amis. Il connaît la plupart des convives, mais Guillaume, son hôte, l’a prévenu de la présence d’une certaine Véronique, comme lui divorcée de fraîche date. Ça l’ennuie un peu, car il sait que leurs réactions seront observées pour être commentées les jours suivants.
Pour autant, si cette femme est aussi sympa que l’affirme Guillaume, quoi qu’il se passera ou ne se passera pas, la soirée sera des plus agréables. On parlera ciné, on parlera bouquins, on parlera musique et l’on boira, mangera, fumera parce que la vie est trop courte pour se montrer raisonnables tout au long de l’année.
Christophe monte les escaliers mal éclairés. La lumière jaune de ces putains d’ampoules à économie d’énergie n’est pas adaptée aux cages d’escalier… ou à sa vue qui commence sérieusement à baisser.
Une femme au fessier inconnu précède Christophe de quelques marches. Il ne lui en reste plus que trois avant d’arriver sur le palier de Guillaume. Une idée amusante s’impose à l’esprit de Christophe. Et s’ils arrivaient ensemble, bras dessus bras dessous, pour surprendre leur hôte ? Il sourit, tente un timide « Véronique ? » à mi-voix.
La femme se retourne, il lui semble qu’elle sourit, mais avec cet éclairage de merde, rien n’est moins sûr. « Christophe ? » C’est bien elle ! Il presse le pas tout en lui expliquant son idée. Véronique remarque que sa belle écharpe menace de tomber et qu’un bout traîne par terre. Elle tire dessus d’un coup sec à l’instant précis où Christophe posait le pied dessus.
Il tombe à la renverse, dévale deux ou trois marches sur le dos, se relève en faisant une grimace grotesque histoire de ne pas perdre la face et de lui faire comprendre qu’il plaisante. Véronique lui tend la main, se ravise. « On se fait la bise ? »
Christophe sonne, Véronique à son bras. Ainsi qu’il l’avait escompté, Guillaume manifeste sa surprise avant de comprendre le tour qu’ils sont en train de lui jouer.
Les convives sont déjà presque tous arrivés. Un verre à la main, Christophe se penche pour faire la bise à l’une d’elles quand une douleur le foudroie. Il ne peut retenir ni son verre, ni son cri, ni sa chute. Il est comme paralysé dans une posture légèrement humiliante, à plat dos, les quatre fers en l’air. « Je ne peux plus bouger » sont les seuls mots qu’il parvient à articuler.
Pour la soirée sympa suivie d’une nuit de galipettes torrides, c’est foutu. Christophe en a parfaitement conscience, mais pour le moment, il s’en fout royalement, tout ce qu’il souhaite c’est qu’on soulage ses souffrances (mais pas qu’on les abrège !). Le toubib, appelé via SOS Médecins, arrive. Très vite selon les convives, nettement moins du point de vue de Christophe. Le médecin ausculte son dos, aucune fracture ne semble à craindre.
En ces temps de COVID et de fêtes de fin d’année, les services d’urgence sont débordés. Est-ce que Christophe verrait un inconvénient à rester ici jusqu’à demain matin ? Est-il allergique aux opiacés ? À la morphine, plus précisément ? Non. Christophe ne l’est pas et, pour tout dire, s’il l’était, il ne nierait avec force tant la douleur devient insoutenable. Le médecin lui en injecte une dose, remplit plusieurs ordonnances et divers formulaires avant de s’en aller.
Tant bien que mal, Christophe a été allongé sur le canapé. De cette façon, il pourra quand même profiter de la soirée. Tu parles ! Il ne peut rien avaler et il lui est interdit de boire autre chose que de l’eau ! Sur ce point, le médecin a été formel.
Guillaume a organisé plusieurs jeux de société, dont un quiz musical « Quel est l’interprète de cette version de “Baby please don’t go” ? » Véronique semble imbattable à ce jeu. Pourvu qu’il puisse la revoir dans de meilleures circonstances…!
Christophe se sent plonger dans un état second, comme s’il s’enfonçait dans un nuage cotonneux qui l’inviterait au sommeil. Juste avant d’y sombrer tout à fait, il a eu le temps d’entendre Véronique s’exclamer « Muddy Waters ! »… Maudit Wouter ! Alors tout devient clair…