Daniel, ou la conspiration des chimères – Épisode 3

Quelques semaines avaient passé quand l’infâme Léon avait fait un retour fracassant dans la vie de Daniel avec « L’étoile jaune de l’inspecteur Sadorski ». Fidèle à ses habitudes, Daniel l’avait posé sur la pile, mais très vite, il s’était aperçu qu’il salopait la lecture du livre en cours, tant la hâte d’en découdre avec le sinistre Sado le rongeait.

Il s’étonnait du combat presque physique qu’il livrait à chaque page contre l’odieux inspecteur, semblable à un match de boxe où tous les coups seraient permis. Le menait-il vraiment contre Léon ou le menait-il contre lui-même ? Il se haïssait d’être autant affecté de l’émoi qui envahit Sado quand il pense à la jeune Julie. Heureusement, Yvette, toujours présente, apportait sa dose de légèreté sensuelle, un rayon de soleil au milieu des ténèbres.

En refermant le roman sur la dernière phrase, il était certain de ne plus jamais avoir le moindre doute à ce sujet, l’inspecteur Léon Sadorski ne méritera jamais aucune absolution, aucune rédemption, ordure il était, méprisé, honni il resterait aux yeux de Daniel.

Une année encore s’était écoulée avant la parution de « Sadorski et l’ange du péché ». Malgré toutes ses certitudes, toutes ses bonnes résolutions, Daniel se retrouvait noyé dans l’océan de ses sentiments contradictoires. L’envie, qui lui faisait grincer les dents, de voir Sadorski et toutes ses manigances révélées au grand jour était contrebalancée par la crainte de ce qu’il adviendrait de la petite Julie et de la toujours aussi séduisante Yvette.

En 2019, aucun Sadorski en librairie. Cependant, c’est durant cette période que sont apparues les premières manifestations de phénomènes étranges. Quand Daniel ouvrait la porte de son cabinet de lecture, il lui semblait entendre le bruissement d’un tissu soyeux accompagnant une course légère, une cavalcade aux allures enfantines. L’effet était accentué par la mélodie d’un éclat de rire irrésistible. Parfois, il n’entendait rien, mais l’air semblait chargé du souvenir du parfum d’Yvette. L’esprit rationnel, résolument cartésien de Daniel s’en trouvait chagriné, presque vexé. Pourtant, il ne pouvait le nier, il lui arrivait d’espérer ces phénomènes qu’il aurait pu qualifier de surnaturels si Daniel n’avait pas autant méprisé ce terme. Quand aucune “présence” ne se manifestait, il soupirait de déception.

Un matin de novembre, Daniel s’était réveillé, honteux d’avoir dormi entre Yvette et Béatrice. L’impression avait été fugace, mais assez désagréable. Il s’était souffleté les joues pour se remettre les idées en place. Après la douche, il était retourné dans la chambre pour s’habiller. Il avait souri en regardant le lit impeccablement fait. Une leçon de morale de son enfance lui revenait en mémoire « Comme on fait son lit, on se couche ». Les rayons du pâle soleil automnal avaient du mal à se frayer un chemin entre les nuages et les voilages de sa fenêtre. Un jeu d’ombres amusant donnait du relief aux motifs de la housse de couette, on aurait pu croire qu’une personne était allongée dessous. Il se plaisait à imaginer que ce pourrait être Yvette. Il sortit de la chambre en sifflotant.

Combien de nuits avait-il attendu cette sensation avant que le phénomène ne se reproduise ? Il haussait les épaules à cette interrogation lancinante puisque désormais Yvette venait le rejoindre presque chaque nuit.

Il avait passé l’âge de tomber amoureux d’un personnage de roman, pourtant Daniel était enchanté de la fraîcheur de ses sentiments, une fraîcheur qui lui rappelait son adolescence. Si seulement Léon Sadorski n’avait pas tout gâché en lui demandant « Amoureux, vraiment ? Avoue plutôt qu’elle te file la trique, mon Yvette ! N’oublie jamais que c’est mon Yvette. Yvette Sadorski, tête de nœud ! »

Épisode 4