Le carnet retrouvé – Dimanche 29 octobre 1944 (suite et fin)

– À quoi penses-tu, ma Louise ?

– Je me demandais si ce que nous avons fait avant de nous endormir serait aussi agréable au réveil…

– Je t’ai demandé de me dévoiler tes pensées, pas de révéler les miennes, jolie crapule !

Jean-Baptiste m’a serrée encore plus fort dans ses bras. Quand il m’embrasse, les papillons dansent dans mon ventre, plus fort à chaque baiser. Il a voulu savoir si je préférais faire ma toilette avant, j’ai répondu non. Je n’avais pas envie de sortir de la chambre, traverser le long couloir pour aller dans la salle d’eau. Quitte à choisir, je préférais profiter encore un peu de la chaleur du lit et de celle de ses bras.

J’ai fait un petit baiser à Albert. J’ai relevé la tête. Jean-Baptiste souriait les yeux fermés. Comme il ne pouvait pas me voir, j’ai osé donner un coup de langue sur ses bourses. J’avais le rouge au front d’autant que Jean-Baptiste a sursauté et ouvert grand les yeux. « Mais que fais-tu, ma Louise ? » Le ton de sa voix n’était nullement réprobateur, alors j’ai répondu « Ça ! » et j’ai fait un petit baiser à Albert. « Et ça ! » et j’ai donné un coup de langue sur ses bourses.

– Et quoi ?

– Et ça !

– Et quoi ?

– Et ça !

– Quoi ?

– Ça !

– Et quoi ?

– Et ça !

Nous avons joué ce petit jeu effronté jusqu’au moment où Albertine s’est rappelée à mon bon souvenir. Je ne savais pas qu’elle pouvait être sensible aux baisers que je donnais à Albert et à mes coups de langue sur ses bourses. Je l’ai dit à Jean-Baptiste qui a souri.

– Albertine, dis-moi que Louise ne ment pas à ce grand benêt de Jean-Baptiste !

– Si tu veux le savoir, vérifie donc, mon si puissant Albert !

Jean-Baptiste et moi avons fait semblant de nous plaindre de n’être que les jouets de ces deux-là. Je me suis mise à quatre pattes sur le lit. Jean-Baptiste s’est mis derrière moi et nous les avons laissé faire.

– Pour moi, c’est aussi agréable que cette nuit, Albertine, mais pour Jean-Baptiste…

Je n’ai pas eu le temps de m’inquiéter de ce silence. Jean-Baptiste a pris une de ses longues inspirations avant de terminer sa phrase.

– Je ne sais pas où poser mon regard, sur tes jolies fesses pommées, sur la cambrure de tes reins, sur ta nuque, sur tes mains qui se crispent, sur tes seins que je devine… ton corps parfait, tellement parfait que je n’ose regarder Albert s’y enfoncer, en ressortir parce que si je le fais…

– Si tu le fais ?

– J’ai peur de défaillir de plaisir…

– Alors, ne regarde pas Albert et laisse-le…

J’ai encore grogné comme on chante parce que la main de Jean-Baptiste s’est faufilée entre mes cuisses et qu’elle a caressé Albertine comme cette nuit.

– Encore, encore, Albert ! Encore, encore ! Je veux sentir tes bourses battre la mesure !

– Comme ça ? C’est ça que tu veux Albertine ?

J’aime grogner comme Jean-Baptiste a su me faire grogner encore et encore. Le plaisir me saisissait comme si j’étais prise dans un tourbillon. Je manquais de m’effondrer sur le lit, mais à chaque fois, Jean-Baptiste s’en apercevait à temps et à chaque fois, son bras puissant sous mon ventre me retenait, me redressait. Jusqu’à ce qu’il s’écroule à son tour, ne pouvant retenir ni son cri, ni son plaisir.

Nous étions allongés sur le lit. Mon estomac s’est mis à crier famine. Jean-Baptiste a sorti de sa besace une « Ration D* ». Il me fallait bien cela pour trouver la force d’aller jusqu’à la salle d’eau ! Une fois lavée, quand je suis rentrée dans la chambre, Jean-Baptiste est parti se laver à son tour. Quand il est revenu, il a été étonné de voir que j’avais enfilé mon manteau. « Tu as si froid que ça ? » J’ai fait semblant de réfléchir et j’ai répondu non avant de l’ôter. Tu aurais vu sa tête ! « Mais tu es nue ! »

Je me suis mise en colère, l’accusant de ne pas être un homme de parole. Interloqué, il a balbutié « Co… comment ça ? » J’ai essayé de garder mon sérieux pour lui répondre « On avait dit qu’on vérifierait si c’était pareil que cette nuit après notre toilette et maintenant, tu fais comme si tu avais oublié ta promesse. Si ce n’était pas agréable pour toi et pour Albert, il fallait me le dire ! »

J’aime l’entendre rire, le rire de Jean-Baptiste remonte le long de ma colonne vertébrale dans un long frisson. « Où avais-je la tête ? » Il a ouvert sa capote. « À crapule, crapule et demi ! » Le coquin avait eu la même idée que moi ! On avait des étoiles dans les yeux quand nous avons accusé Albert et Albertine.

Nous avons rendu la chambre un peu après midi, juste à temps pour ne pas devoir payer une nuit supplémentaire. Nous sommes allés au cinéma pour regarder « Ève a commencé », mais je n’ai pas pu voir grand chose, la salle était pleine, chauffée et après quelques baisers, je me suis endormie sur l’épaule de Jean-Baptiste.

Après le film, nous sommes allés chez la petite Marcelle. Sa maman nous a accueillis avec un grand sourire. La petite ne redoute plus les soins et attend chaque soir notre venue avec impatience. Le bandage refait, Jean-Baptiste a décrété que ça méritait bien une petite récompense. Il lui a offert une « ration D ». Tu aurais vu la joie et la gourmandise dans ses yeux ! Sa maman l’a autorisée à manger une barre de chocolat tout de suite, mais lui a demandé de lui donner les deux autres. J’ai été étonnée que la petite Marcelle obéisse sans rechigner. Sa maman les a rangées dans leur placard. « Tu en auras une demain et la dernière dimanche. »

Je suis rentrée aussitôt après. La mère Mougin ne sait plus par quel bout me prendre. J’ai pris de l’assurance, mais surtout Madame a de la considération pour moi. La Mougin sent bien qu’il y a du louche là-dessous, mais elle ne peut pas en apporter la preuve. Elle est un peu tombée en disgrâce depuis son séjour dans sa famille, elle doit regretter amèrement ce mauvais tour qu’elle a voulu me jouer. Je crois qu’elle a fouillé ma chambre, parce que mon lit n’était pas tout à fait comme je l’avais laissé et la boîte n’était plus à sa place. Si elle t’avait trouvé, elle t’aurait brandi comme une preuve et je n’écrirais pas ces mots. Malgré tout, je reste sur le qui-vive.

Samedi, je suis allée à la Croix-Rouge avec Eugénie. Sur le chemin, elle m’a confié qu’elle attendait ce jour avec impatience, parce qu’elle aime se sentir utile. Elle est aussi ravie que ce faux alibi soit devenu vérité, ainsi chaperonnée, elle pourra s’y rendre tous les samedis. C’est un accord que j’ai conclu avec ses parents. Peu avant d’arriver dans les locaux, elle m’a demandé (toute rougissante) si Jean-Baptiste et moi… Je l’ai tancée en fronçant les sourcils « Tu crois que c’est le genre de détails qu’un chaperon révèle à une jeune fille bien née ? » Nous avons ri. Elle a obtenu la réponse qu’elle désirait sans que j’aie eu besoin de la lui donner.

J’ai retrouvé l’infirmière Suzanne. Je lui ai remis la boîte pleine des pansements sales, elle m’a dit que je pouvais les détruire en les brûlant dans un poêle. Elle m’a donné de quoi remplir ma sacoche pour la semaine et m’a demandé des nouvelles de l’enfant. Je lui ai dit que la plaie me semblait en bonne voie et que la petite Marcelle et sa maman viendraient aujourd’hui pour qu’elle puisse en juger.

Elle a voulu savoir si je connaissais la raison de la blessure. J’avais posé la question à la maman. Il faisait froid chez elles à cause de la pénurie de charbon et des vitres cassées, la maman avait rempli une bouteille d’eau bouillante qu’elle avait glissé sous leur couverture. Pendant qu’elle avait le dos tourné, la petite a voulu la prendre pour la mettre de son côté du lit. Elle s’est brûlé la main, a lâché la bouteille qui s’est brisée et a aspergé son bras. Elle n’a pu être pansée que deux jours plus tard, la plaie sur le bras était déjà infectée. La petite Marcelle a eu si mal qu’elle refusait qu’on lui touche le bras, mais désormais elle n’a plus peur parce qu’elle a confiance en moi.

L’infirmière Suzanne hochait la tête en disant « Bien. Bien. » Elle m’a demandé si j’avais réfléchi à sa proposition. Je suis bien tentée, mais mon emploi de bonne m’assure le logement que je perdrais si je l’abandonnais. Elle en a conscience, elle va voir ce qu’elle pourra faire. Je ne lui ai pas parlé de Jean-Baptiste. Je ne la connais pas assez pour me laisser aller à de telles confidences.

Je me suis occupée des pansements et bandages à refaire, surtout ceux des vieux et des enfants. La petite Marcelle était toute fière dans la file d’attente. Elle souriait et regardait son monde comme si elle en était la reine ! Quand son tour est arrivé, je suis allée chercher l’infirmière Suzanne qui m’a félicitée de la qualité de mes soins. J’ai répondu que Marcelle avait fait montre de beaucoup de courage, ce qui m’a grandement aidée. Tu aurais vu sa bouille ravie ! L’infirmière a pris un air sérieux et m’a demandé si le courage dont avait fait preuve ma patiente méritait un petit bonbon. J’ai répondu oui. La petite Marcelle nous a fait un gros baiser sur la joue. Elle dansait presque en sortant du box !

Mercredi 1er novembre 1944

*La ration D était une ration alimentaire de l’armée américaine composée de trois barres chocolatées.