Après mon service, j’ai vécu quelques années à Paris. Martial m’invitait souvent à partager leur repas avant de passer la soirée dans sa chambre, à refaire le monde, à boire et à fumer, à écouter de la musique, à nous raconter nos exploits, nos conquêtes réelles ou fantasmées, à nous préparer à sortir en boîte…
Un soir, alors que je revenais de la bibliothèque universitaire, je croisai Odette dans le bus, une surprenante valisette à la main. Je lui demandai où elle allait. Toute excitée, elle m’expliqua qu’une de ses copines organisait une boum et qu’elle avait obtenu à la dernière minute, l’autorisation d’y rester dormir. Ni ses parents ni ceux de sa copine ne possédaient le téléphone, la surprise que sa venue allait lui faire était pour beaucoup dans l’excitation d’Odette. Nous devisions joyeusement, elle trouvait amusant que ce soit à mon tour de passer une soirée studieuse et solitaire.
Je descendis à mon arrêt, me retournai pour lui faire un signe de la main, quand je constatai qu’elle était descendue à ma suite. « Est-ce que je pourrais te demander de me rendre un service ? » À son regard inquiet, je compris que ce n’était pas le genre de service qu’on pouvait demander incidemment au coin d’une rue, fut-elle animée. Supposant qu’elle allait m’avouer qu’elle passerait la soirée et la nuit, non pas chez une copine, mais avec son petit ami, n’osant pas lui proposer de monter dans ma garçonnière, je lui offrais d’en parler autour d’un verre.
– Jure-moi de garder le silence sur ce que je vais te demander. J’ai des copines qui ont déjà couché… elles disent que la première fois, c’est toujours nul, qu’il faut en passer par là, ça ne fait pas toujours mal, mais ça n’est jamais agréable la première fois. Mais moi, je suis sûre que c’est parce que les mecs étaient puceaux eux aussi. Alors, je me demandais… est-ce que tu voudrais me dépuceler, en t’appliquant pour que j’en garde un bon souvenir ?
Abasourdi, je regardai tout autour de moi, effrayé à l’idée que quelqu’un ait pu entendre ses mots. Presque aussitôt, je réalisai que personne ne nous connaissait, que personne ne savait qu’elle était la petite sœur de mon meilleur ami. Pour tous ces gens, nous étions un couple d’amoureux et c’est ainsi que j’acceptai sa proposition, à condition toutefois, de pouvoir en parler librement à Martial si j’en éprouvais le besoin. J’insistai sur ma volonté que les heures qui allaient suivre ne changent en rien les rapports que j’entretenais avec elle. Odette me tendit son petit doigt recourbé afin que j’y accroche le mien, sa façon toute adolescente de « toper là ».
Arrivés chez moi, Odette se tint debout au beau milieu de la pièce, semblant chercher quelque chose du regard, elle respirait à pleins poumons comme pour s’imprégner de l’air ambiant.
– Je ne veux rien oublier de cette soirée ! Euh… je me déshabille ou tu me déshabilles ?
Son sourire coquin et son regard mi-effronté, mi-craintif me firent l’effet d’une gifle. Je m’ébrouai comme on cherche sa lucidité et lui annonçai un changement de programme.
– Non, Odette. Non. Pas ici. Pas comme ça. Pas maintenant. Remets ta gabardine, prends ta petite valise et suis-moi !
– Tu… tu me ramènes chez moi ?
– Sauf si tu y tiens, mais… quant à moi… À nana exceptionnelle, il faut une ambiance et un cadre exceptionnels ! Vérifions tout d’abord si nous avons de la chance…
En chemin, je lui expliquai mon plan de bataille et les solutions de repli. J’avais fait exprès d’employer ces termes, un peu par jeu, beaucoup par défi. « Et si pour ce soir, tu oubliais un peu tes études ? » Je ne connais aucun mot pour exprimer l’intensité de notre regard à cet instant précis.

À la sortie du métro, une bouffée d’air chaud nous surprit. Odette retira sa gabardine qu’elle posa sur son avant-bras. Elle courait en direction des quais, se retournant tous les deux pas « Viens ! Mais viens ! Plus vite ! » Je me régalais du spectacle de sa robe qui, en virevoltant, dévoilait ses magnifiques jambes.
Nous avions de la chance, dit l’employé des bateaux-mouche, une table venait de se décommander, nous pouvions donc embarquer pour ce dîner-croisière. Je vous jure que j’ignorais tout de l’histoire de la photo de Jean-Baptiste avant que Martial ne m’en parle, sept ans plus tard !
Une fois installés, Odette me demanda ce qu’elle devait choisir et si sur ma carte aussi les prix étaient absents. Tout en me posant la question, elle se leva et se pencha pour vérifier.
– Ouah ! C’est vachement cher !
– Rien n’est plus beau que tes seins… euh… rien n’est trop beau pour toi !
J’avais du mal à déglutir.
– Bah ! Tu les as même pas vus !
Je lui expliquai qu’elle devrait être attentive au plaisir qu’elle prendrait à sentir le désir de son partenaire s’accroître tout au long de la soirée, qu’elle devrait guetter ces petites flammèches qui le ravivent, l’entretiennent.
– C’est facile pour toi, tu le sais tout de suite si tu bandes ou pas, tandis que pour moi…
– Ça ne t’arrive jamais de ressentir comme une brûlure entre les cuisses ?
Odette baissa les yeux et marmonna « Si »
– Et que fais-tu dans ce cas-là ?
Le serveur prit notre commande et revint presque aussitôt avec nos coupes de Champagne. De vraies coupes, puisqu’à l’époque, on ne le servait pas dans des flûtes. Nous trinquâmes et la réponse d’Odette s’évanouit au milieu du tintement des verres qui s’entrechoquaient autour de nous.
– Tu disais ?
– Je mets mon oreiller entre mes cuisses que je serre très fort jusqu’à ce que ça passe…
Je fermai les yeux pour tout à la fois chasser cette image et la graver à tout jamais dans ma mémoire. Odette se méprit.
– Mais je suis encore vierge, tu sais… tu veux touj… ? Pourquoi tu fermes les yeux ?
– Je me représentais la scène et…
– Et ?
– J’ai eu besoin de quelques secondes de… méditation pour m’empêcher de te culbuter. Là. Tout de suite. Sur la table !
– Tu… tu bandes ?
– Oui
Elle me fit craquer quand elle posa ses mains sur ses joues. « Oh… la chance ! » Le serveur venait de nous apporter les entrées quand elle me demanda, si ça ne faisait pas un peu mal. J’éclatai de rire en répondant non, à nouveau, elle soupira « La chance… ! »
– Pourquoi ? Ça te fait mal ? Avec l’oreiller ?
Prenant des airs de conspiratrice, elle me dit.
– Des fois, c’est pire avec l’oreiller ! Tellement pire que je suis obligée de m’asseoir sur du froid pour tout arrêter !
– Et tu n’as jamais eu l’idée de te… soulager ? De t’offrir du plaisir ?
– Tu… tu crois que je peux ?
– Mais bien sûr ! Qui aurait le droit de t’en empêcher ?
– Mais je te demandais pas « Je peux ? », genre « Je peux ? J’ai le droit ? », je te demandais « Je peux ? », genre « Tu crois que c’est possible ? » !
Je remarquai le sourire en coin du serveur qui ne perdait pas une miette de notre conversation. J’éclatai de rire.
– Ça c’est sûr ! Je sais que tu le peux !
Le serveur desservait notre couvert quand elle me demanda « Tu pourras me montrer comment faire ? Tu veux bien ? » Je la rassurai sur ce point. Elle me regarda avec fierté et gratitude.
– J’étais sûre que… avec toi… Après, tu pourras me demander tout ce que tu veux, tu sais ! Tout. Tout. Tout !
Le serveur trébucha, ce qui créa un peu de diversion. Tout au long du repas, elle me posa des tas de questions, me fit des confidences. Nous étions assis côte à côte en attendant le photographe, quand elle me demanda si je bandais. Je répondis oui. « Je peux toucher ? » La peur que l’on remarque son geste malgré la table derrière laquelle nous étions assis, l’excitation que cette crainte engendrait me fit bander puis débander puis rebander mollement. Je sentis sa main sur mon pantalon. Je la dirigeai discrètement.
– C’est normal que quand je te touche ça me fasse des trucs dans les nichons ? Pas sur le bout du téton, mais… tout autour des mamelons… comme plein de petites piqûres d’aiguille, mais en vachement agréable… Oh ! Mais t’en as un autre ou c’est le même ?
Je ne pus calmer mon fou-rire qu’à l’arrivée du photographe. À la fin de cette croisière, avant de descendre sur le quai, Odette ouvrit son porte-monnaie et s’excusa de ne pas pouvoir donner plus au serveur, qui la rassura en lui disant que c’était le geste qui comptait.

Pendant ma vie d’étudiant, j’ai exercé plusieurs petits boulots ; en 1967, j’étais tout à la fois le guide et le conservateur d’un hôtel particulier du 18ᵉ siècle. Quand j’en ouvris les grilles à Odette, elle s’écria « Je suis une princesse ! Je suis une princesse ! » Je la pris dans mes bras « Chaque homme qui te désirera devra te traiter comme telle, Princesse ! »
Je voulus lui faire visiter les lieux, mais dans un des boudoirs, n’y tenant plus, je l’embrassai. Elle me demanda
– C’était bien ? T’as aimé ?
Je lui retournai la question. Elle parut réfléchir, hésiter, m’embrassa de nouveau. « J’adore ça ! » Nous nous effondrâmes sur le sofa, inscrit au Mobilier National, nos baisers étaient de plus en plus fougueux quand elle me supplia de lui “peloter les nichons”. Le temps qu’elle dégrafe sa robe, je me déshabillai. J’étais en train de retirer mon slip quand elle s’arrêta net, le haut de sa robe tombant sur ses épaules. « Oh ! Mais c’est vachement beau, en fait ! » et comme si elle me le reprochait « Pourquoi on dit que c’est moche ? C’est vachement beau, en vrai ! ». Tendant un index timide, elle me demanda « Je peux ? » Comment le lui refuser ? Je lui rappelai toutefois son souhait de se faire peloter les nichons. Elle eut un geste agacé, comme pour me dire « plus tard ».
Nous étions dans ce boudoir parce qu’il n’était percé d’aucune fenêtre, que la lumière pour les visiteurs y était volontairement tamisée. Odette regardait mon sexe de tout près, le touchant, le manipulant comme un enfant découvre un jouet. J’avais eu le tort de lui dire « Amuse-toi avec pour faire connaissance, après, je m’occuperai de ton cas ». Alors, elle le taquinait du bout de l’index.
– Bite ! Bite ! T’es qu’une bite !
L’attrapant à pleine main et prenant une voix grave.
– Non ! Je suis une grosse verge ! Je ne suis pas une bite !
De nouveau l’index.
– Si ! Bite ! Bite ! Bite ! T’es qu’une bite !
Appelons nos amis pour nous départager !
Elle fit alors courir ses longs doigts graciles le long de mon corps.
– Bite ? Verge ?
Ses deux mains à plat sur mes cuisses convergèrent vers mon membre. « Pénis ! », puis me regardant.
– On dit « pénisse » ou « péni » ?
– Pénisse, sauf si tu veux plaisanter
– Tu sais, je fais souvent un drôle de rêve… je suis devant une statue et je lèche son pénis comme ça…
Je ne pus m’empêcher de crisper mes mains autour de sa tête, ni de réprimer un juron quand sa langue lécha mon sexe sur toute sa longueur.
– Oh pardon ! Je t’ai fait mal ?
– Oh non, Odette ! Bien au contraire ! Mais laisse-moi découvrir ton corps…
Je finis de la dévêtir, en prenant tout mon temps. Je voulais qu’elle grave à tout jamais cette nuit dans sa mémoire, mais je tenais également à ne jamais oublier mes propres sensations, à ne jamais oublier l’éclat de sa peau brune magnifiée par cette lumière oblique, sa douceur, sa chaleur, ses seins ronds et déjà lourds. Pour éviter de jouir trop vite, je déplaçai ses mains de mon corps vers le sien, nous nous embrassions comme pour prolonger ces préliminaires. Nos doigts se rejoignirent sur son pubis. J’allais lui expliquer comment soulager la brûlure dont elle m’avait parlé plus tôt quand elle me demanda si j’avais déjà couché avec une noire. Devais-je mentir ? Elle lut la réponse dans mon regard hésitant et manifesta son dépit.
– J’aurais dû m’en douter…
– Ça t’ennuie ?
– Non, mais comme tu vas être mon premier… j’aurais aimé être ta première quelque chose…
Comment lui dire qu’elle resterait à jamais la première de beaucoup de choses ? Comment lui expliquer qu’elle resterait pour toujours la première pour laquelle j’avais dépensé en un repas la somme avec laquelle j’aurais pu manger pendant quinze jours et que je ne le regrettais pas… la première avec laquelle je passais un moment aussi joyeux que sensuel, aussi léger qu’émouvant avec une telle évidence… la première que j’emmenais sur mon lieu de travail… la première à m’avoir sucé sur le sofa sur lequel d’anciens propriétaires prestigieux avaient certainement connu les mêmes plaisirs ?
– Je n’ai jamais couché avec la petite sœur d’un de mes amis, tu es donc la première !
– T’es sûr ? Jure-moi que c’est vrai !
– Est-ce que Martial a une autre sœur ? Non.
– T’as même pas un peu couché avec une sœur de Jean-Luc ?
– Mais… Jean-Luc n’a pas de sœur !
– C’était pour être sûre… Tant mieux alors !
Soudain, elle retint ma main.
– Tu préfères te caresser toute seule ?
– Non… c’est pas ça… mais il faut que je m’essuie avant… c’est… comme tout mouillé…
– Mais c’est justement ça qu’on cherche ! Pour que ça coulisse mieux… regarde !
Je glissai mon majeur entre ses lèvres. Bon sang, elle était trempée ! Je la pénétrai de mon doigt avec l’intention de le faire aller et venir, mais elle croisa violemment ses cuisses, bloquant ma main et m’interdisant le moindre mouvement. Je sentais son corps onduler et une longue plainte venue du plus profond de ses tripes s’échappa de sa bouche.
J’aurais voulu qu’elle ne fermât point les yeux. Quand elle les rouvrit, elle voulut s’en excuser.
– C’était tellement bon ! Il n’y a rien de meilleur, n’est-ce pas ?
Regardant mon sexe et remarquant mon sourire, Odette ajouta
– C’est encore meilleur avec une bite ?
Je m’étais promis de lui faire découvrir d’autres plaisirs avant de la pénétrer, mais cette remarque anéantit toutes mes bonnes résolutions. Je me levai, la pris dans mes bras, la déposai sur le lit de la chambre nuptiale. Prenant une voix de baryton, je lui dis enfin.
– Qui t’a parlé de bite ? Je te parle des plaisirs que peut t’offrir une grosse verge ! … C’que tu peux être belle quand tu souris comme ça ! Non ! Garde tes yeux ouverts !
Je la pénétrai lentement, à l’affût du moindre sursaut, du plus léger frémissement indiquant une quelconque douleur ou un éventuel déplaisir. Sa bouche semblait psalmodier une prière, je lui demandai si elle avait mal, pour toute réponse, elle me sourit et, comme anéantie, fit non de la tête, je regardais sa boule afro danser sur l’édredon. Qu’elle était belle ! Quand elle put enfin parler, elle me demanda si c’était aussi agréable pour moi. Voyant mon sourire, elle me demanda d’une toute petite voix si je pouvais me retirer pour la prendre à nouveau. Je m’exécutai avec un étonnement non feint. Elle venait d’ajouter, sans le savoir, un nouvel item “première fois”, parce qu’elle reste la première à avoir exprimé tout naturellement son désir. Je me retirai prestement et la pénétrai de nouveau au ralenti.
– Encore… encore… enc… mais retire-toi tout doucement… que je puisse profiter… oui… outch ! j’aime bien la p’tite bosse…
– La p’tite bosse ? Ça ?
– Oui ! Stop ! Ne bouge plus ! Pourquoi tu souris ?
– Parce que je suis heureux !
– Oh ! Merci ! C’est gentil ! Mais… pourquoi tu bouges plus ?
– Tu m’as dit « stop »
J’acceptai de reprendre mes va-et-vient à la condition qu’elle me guide avec ses mots, tantôt elle voulait que j’aille vite, tantôt lentement, elle demandait que j’aille « tout au fond » ou, a contrario, de maintenir mon gland à l’entrée de son vagin. Elle donnait parfois l’impression de suffoquer jusqu’à ce qu’une grande inspiration soulève sa magnifique poitrine. Elle me réclamait des baisers, je les lui offrais.
– Montre-moi… pour les… brûlures… calmer…
Je pris sa main et la guidai vers son clitoris.
– Avec moi ! Aide-moi ! Montre-moi… comment… faire… !
Je posai ma main sur la sienne, mes doigts exerçant une pression sur les siens.
– Odette, je vais jouir…
– Mais… après… on passe quand même la… nuit ensemble ?
Ému, je me penchai pour l’embrasser quand je remarquai un cercle saillant autour de ses aréoles. Je décidai de les caresser du bout de la langue, pensant naïvement parvenir à retarder mon éjaculation. Odette poussa un charmant petit cri aigu et délicat.
– Tu sens ? Que… je jouis en toi ?
– N’arrête pas ! N’arrête… pas !
Je me figeai en elle, espérant ne pas débander trop vite, elle arrêta de se caresser, me demanda de le faire à sa place tandis qu’elle se caressait les seins. Nous nous sentions tellement bien que j’acceptai sa proposition, retarder au maximum l’explosion de son plaisir. Je bougeai à peine tant je redoutais sortir de son vagin et, alors que j’avais craint la débandaison, je sentis ma queue redevenir vaillante. Odette s’en aperçut également.
– Merci, Jimmy !
– Y a pas de quoi, Odette !
Quand elle jouit, ma bite était à nouveau dans une forme olympique, mais je craignais d’irriter le sexe fraîchement dépucelé d’Odette, aussi, je me retirai assez vite.
– Tu me montres la p’tite bosse ?
Dans un sourire, je lui fis découvrir le bourrelet à la base de mon gland. Elle l’embrassa avec tendresse.
– C’est encore meilleur que dans mes rêves… slurp… de statue… !
Durant toute la nuit, je fus secrètement jaloux de l’homme qui aurait la chance de partager sa vie. Odette était avide de plaisirs, curieuse, belle, libre de son corps, de ses pensées, inventive…
J’étais invité au déjeuner dominical chez Martial et ses parents, une journée s’était passée depuis notre nuit, je me demandais quelle contenance je devrais prendre. J’étais tellement troublé par ces heures passées avec Odette que si elle me l’avait demandé, j’aurais fait ma vie avec elle, mais elle s’en tint à notre accord initial. Elle me fit la bise « Oh, t’as l’air en pleine forme dis-moi ! », Louise m’apprit que depuis la boum à laquelle elle avait assisté, Odette se montrait particulièrement insolente sous ses airs angéliques. J’aurais dû être embarrassé de ce mensonge, mais j’étais heureux de le faire.
Peu après, Odette rencontra Bertrand, avec lequel elle eut très vite un premier enfant, puis un autre et enfin un troisième. Quand je m’installai à Lyon, nos liens se distendirent, nous nous envoyions nos vœux de bonne année, un petit mot pour chaque anniversaire, mais j’avais surtout de ses nouvelles par Martial.
Je ne l’ai vraiment revue qu’aux obsèques de ses parents. Leur mort avait été si brutale qu’elle nous a tous anesthésiés. En revenant du cimetière, avant d’entrer dans leur petite maison, je la vis tirant nerveusement sur une cigarette. Avec l’espoir de faire naître un sourire sur ses lèvres, je lui demandai « Comment va ma Princesse ? ».
Odette s’effondra dans mes bras. Je pensais avoir ravivé ses plaies et m’en voulais quand elle m’avoua ce que toute sa famille ignorait encore.
– Tu parles d’une princesse ! Elle a quarante ans et autant de kilos en plus, ta princesse ! Son mari la fait cocue et va emménager à la fin du mois avec une plus jeune et bien plus belle qu’elle ! Monsieur a besoin de découvrir de nouveaux horizons ! Si seulement, j’en avais la possibilité, moi aussi j’aimerais en découvrir, de nouveaux horizons !
– Serviteur !
Je m’étais incliné vers elle, dans la posture requise par tous les manuels de savoir-vivre.
– Te fous pas de moi, chuis pas d’humeur…
J’attrapai ses poings au vol, l’obligeai à me regarder dans les yeux.
– Je suis sérieux, Odette ! Tu peux poser des congés rapidement ?
– Ça fait six mois que je suis à la retraite !
– Déjà ? Mais…
Enfin, je la revis sourire ! Elle m’embrassa sur la joue.
– Flatteur, va !
– Et ton connard de mari, il compte partir quand au juste ?
– Le 30… ils emménagent à Cannes.
– À Cannes ? Pff… quel ringard !
– Tu crois que j’ai l’air plus fine, moi, avec mon pavillon devenu trop grand en Seine-et-Marne ?
– D’où l’urgence de te faire découvrir de nouveaux horizons !
– C’est quoi ce regard lubrique ?
– De nouveaux horizons, Princesse !
– Mais t’as vu c’qu’elle est d’venue ta Princesse ? C’est facile pour toi, t’as pas changé, t’as gardé ton corps de jeune homme ! Pas un pèt’ de graisse…
J’objectai mollement, sincèrement flatté qu’elle me vît ainsi. Tel un maquignon estimant la valeur d’un bestiau, elle palpa mon abdomen.
– Oui, mais ça c’est pas du gras ! C’est du rembourrage, ça compte pas ! Alors que moi… regarde-moi ça !
Elle me désigna Martial qui se dirigeait vers nous.
– C’est marrant, tout de même… Papa et maman n’étaient pas gros, alors que nous…
– Ça va ? Pourquoi vous n’entrez pas ?
– J’essaie de convaincre ta sœur d’accepter l’idée de découvrir de nouveaux horizons…
– Avec Bertrand ? Ça s’arrange, finalement ? Sylvie craignait que…
– Oui !
– Pas vraiment…
– Oui ou pas vraiment ? Mettez-vous d’accord !
– Bertrand me quitte, il déménage à Cannes avec sa pouffiasse.
– Odette !
– Quoi « Odette ! » ? Laisse-moi le temps de digérer le truc avant de me demander d’être peace&love !
– D’où les nouveaux horizons
– Ah ouais… genre… « Serviteur ! » ?
– Exactement !
– Dédette, tu peux pas refuser !
– Si je te dis « nouveaux horizons », tu me réponds… ?
– Canada
– Alors… va pour le Canada ! On embarque à la fin du mois !
– Mais t’es taré ! Complètement taré !
En s’éloignant, Martial nous dit « Je vais leur dire de vous laisser en paix, que vous avez besoin de vous isoler pour parler un peu. Mais savoir que vous arrangez en douce une escapade amoureuse… c’est comme si papa et maman n’étaient pas morts, que Sylvie n’était pas dans le coma… Vous ne pouviez pas me faire plus plaisir… la vie continue et vous en êtes la preuve ! »
Avec les années, le quotidien, Odette avait oublié qu’elle est belle, qu’elle est née belle, qu’elle a grandi belle, qu’elle sera belle jusqu’à son dernier souffle. La femme qu’elle me décrivait n’était pas celle qui se tenait devant moi. Je crus qu’elle l’avait compris quand je la vis esquisser un sourire. Par jeu, je lui en demandai la raison.
– Je voulais savoir… j’avais droit à combien de vœux ?
– ??
– Pour les nouveaux horizons… j’ai privilégié la destination, mais…
– Odette ! Je n’aurai jamais la patience d’attendre tout un mois !
– Il le faudra bien, Jimmy. Laisse-moi me faire à l’idée que je peux encore être une princesse !
– Mais tu l’es ! Tu es une princesse, Princesse !
– C’est peut-être évident pour toi, mais ça ne l’est plus pour moi et depuis belle-lurette ! Laisse-moi me faire à l’idée… j’ai besoin de faire la paix avec moi-même !
– Alors, laisse-moi tout organiser, l’attente sera moins pénible…
Elle se hissa sur la pointe des pieds, pour m’embrasser sur la joue, puis, après avoir jeté un bref coup d’œil en direction de la maison, se ravisa « Après tout… » et me roula une pelle. « À tous les coups, je vais passer un mois entier à rêver de statues… ! » Je lui mis une claque sur les fesses.