
Monsieur Monpetitfils, autrement prénommé Lucas,
Comme cité en objet et puisque vous me le demandâtes, je vous confirme que je vous livrerai mes souvenirs sous forme de confidences épistolaires. Et puisque Martial a trouvé bon de vous révéler que “secrétaire” fut certes ma profession, mais que c’est aussi le nom d’un meuble et qu’un autre nom de ce meuble est “bonheur du jour”, je regrouperai cette correspondance dans le dossier intitulé “Bonheurs des jours, confidences épistolaires”. Parce que de cette joyeuse après-midi, je veux surtout retenir qu’il a corrigé ma première proposition en précisant “qu’avec toi, ce n’a jamais été un bonheur du jour, mais des bonheurs chaque jour !”
Vous êtes venus, toi et tes amis, Manon, Enzo, Vincent, pour nous souhaiter la bonne année et savoir si éventuellement, nous avions prévu de fêter la nouvelle année quelque part… ailleurs… libérant ainsi notre maison jusqu’au premier janvier… pas trop tôt dans la journée… Comment aurions-nous pu refuser ? Quel meilleur prétexte pour tous nous retrouver chez Jimmy, et nous organiser un réveillon comme au bon vieux temps ? Nous en profiterions pour nous remémorer notre jeunesse et vous la raconter de mon point de vue.
C’est à cet instant qu’Enzo a proposé que son grand-père raconte ses souvenirs et qu’Alain a éclaté de rire en disant que c’était juste bon pour les bonnes-femmes, ces gribouillages, ces écrits… “C’est bien connu, le secrétariat c’est un boulot de gonzesse !”
Cette remarque n’avait pour autre but que de nous faire râler, Monique, Cathy et moi, mais seule Manon est tombée dans ce piège grossier.
Je vais donc, ainsi que tu me l’as demandé, commencer par le commencement. Je suis née à Paris en 1945 d’une mère parisienne et d’un père breton… enfin… breton né à Paris… mais qui tenait à ses origines bretonnes. Comme beaucoup de jeunes filles de ma condition, j’ai appris le métier de sténodactylo, puis comme je m’étais avérée plutôt douée, j’eus la chance d’étudier deux ans de plus pour apprendre la comptabilité. Ce qui me permit de passer un concours du Ministère de l’Éducation Nationale et d’avoir ainsi un emploi garanti avec une possibilité d’évolution de carrière. Je me suis mariée en 1967 avec le père de Julien, qui était un ami d’un de mes cousins.
Julien est né en 1970. Petit à petit notre couple s’est délité, nous avions été si proches, nos étreintes avaient été tellement torrides et moins de cinq ans après notre mariage, nous ne nous parlions presque plus et notre sexualité joyeuse était devenue un devoir que nous nous efforcions de remplir régulièrement, comme un impôt qu’on doit régler à date fixe. Je ne lui en veux pas d’avoir cherché ailleurs une relation plus épanouissante.
D’amoureuse, de fiancée puis d’épouse, j’étais devenue mère et le père de Julien n’arrivait plus à désirer la mère de son enfant comme j’aimais tant qu’il me désire. Je ne faisais aucun effort non plus, estimant que la faute était sienne et depuis que j’avais découvert comment me faire du bien, je préférais me contenter toute seule en rêvant à des scènes lubriques et décomplexées.
J’appris mon infortune d’une façon assez humiliante, en allant faire quelques achats pendant mon heure de déjeuner, je le vis attablé dans une brasserie, avec une jolie fille. Il lui embrassa les doigts, avant de lui tendre un petit paquet. Je n’ai pas attendu qu’elle le déballe et je me suis enfuie pour qu’il ne me voie pas. J’étais la victime et j’agissais en fautive !
Quand il rentra, le soir même, à la maison, il trouva sa valise sur le pallier. Il entra tout de même et me demanda “C’est quoi ce cirque ?” je lui répondis par le nom de la brasserie. Il m’accusa de l’espionner. Je le mis à la porte avec pertes et fracas.
Quelques semaines plus tard, nous entamâmes une procédure de divorce. Nos relations furent houleuses jusqu’à ma rencontre avec Martial. Parce qu’il n’a pas fait que me faire jouir, ton grand-père, il m’a aussi beaucoup apaisée !
Que s’est-il passé au juste lors du réveillon de 1974 ? Comme je te l’ai déjà écrit, je n’en sais rien. J’avais bu, je pensais contrôler mon ivresse, mais en fait, non. J’ai de vagues images de sexes masculins caressés sous le pantalon, il me semble me souvenir de mains inconnues courant sous ma robe, entre mes cuisses… Je sais que j’avais bien envie d’embrasser notre hôte, l’amie qui m’avait invitée. J’ai le souvenir d’un baiser volé, de lèvres qui se frôlent et de langues qui se cherchent avant de s’éviter. Mais j’ai toujours été incapable de savoir si j’avais rêvé cette brève étreinte ou si elle a vraiment eu lieu.
Je me suis réveillée dans une chambre inconnue, j’avais dormi sur un matelas posé à même le sol, une cuvette à portée de main. C’est ce détail qui m’a permis de comprendre que j’avais dû être assez ivre pour qu’on me fasse dormir ainsi et que je ne l’avais pas été assez pour être malade et devoir utiliser la cuvette.
Je marchais, le cerveau encore embrumé, jusque chez moi. Mon amie n’évoqua jamais cet aspect alcoolisé du réveillon, en fait, je n’en entendis plus parler jusqu’au réveillon suivant, celui où je rencontrai Martial.
Vous avez souhaité que je vous raconte ma découverte du village et des amis de Martial. Elle a eu lieu lors du baptême de Céline où nous étions conviés.
Nous étions arrivés juste avant le premier toast, Martial n’avait pas eu le temps de me présenter. Il m’avait bien semblé que Monique s’agitait de façon étrange sur les genoux de Jimmy, mais je ne l’aurais pas parié.
Marie-Claire et ses invités logeaient dans le mas qu’évoque Monique. Jimmy n’en était pas encore le propriétaire, mais ils n’avaient eu aucun mal à le louer. Les vieux étaient rue Basse, les jeunes, dans la grande maison “chez Toine”.
Une fois entre nous, Monique s’approcha de moi, m’embrassa “Sois la bienvenue, Sylvie ! Ainsi tu préfères une partouze à une bague de fiançailles ?”. Tout le monde me souriait, je répondis oui, en précisant que ce serait une première pour moi.
– Et tu les verrais quand, vos fiançailles ?
– Le plus tôt possible
Cathy me fit signe d’approcher, elle était enceinte de sept mois et je crus qu’elle avait du mal à se déplacer. En réalité, elle s’amusait de ce rôle de “mater familias”.
– Tu sais, Monique et moi, on n’a pas été au collège, mais ces messieurs nous donnent des leçons de rattrapage, nous découvrons les classiques de la littérature coquine et nous jouons certaines scènes. Tu vois ?
Et comment, je voyais ! Mais j’étais prise entre l’envie de faire confiance à ces inconnus et la crainte d’être tombée dans un piège. Même si je dois reconnaître que c’était stupide, c’est le gros ventre de Cathy qui fit pencher la balance.
Elle me désigna une énorme malle et me demanda de choisir un costume. Je pris la première robe à ma taille. Monique m’aida à l’enfiler, je sentais battre mon cœur tandis qu’elle arrangeait les manches sur mes épaules. Elle m’accompagna jusqu’à une petite pièce qu’elle nomma “le cabinet de la curiosité”. Par réflexe, je corrigeai “des curiosités”.
– Non, non ! De la curiosité, parce que c’est ici que tu vas t’apercevoir à quel point la curiosité est une qualité agréable, adorable.
Elle me raconta une scène de Fanny Hill que je reconnus tout de suite.
– Ah ! Mais c’est super, tu as de saines lectures !
– C’est Martial qui me l’a conseillé…
– Nous aurons tout le temps d’en parler ensuite, voici ce que je te propose : tu regarderas par ce judas, tu ne devras pas te retourner, chacun notre tour, nous viendrons t’agacer et quand tu te sentiras prête, tu nous rejoindras et participeras à la fête. Ce programme est-il à ta convenance ?
J’aurais voulu lui crier un oui enthousiaste, mais une bouffée d’excitation avala ma voix et c’est dans un murmure presque inaudible que je lui répondis. Elle me fit un beau sourire et me demanda la permission de m’embrasser. C’était la première fois que j’osais rouler une pelle à une fille sans avoir l’excuse de l’ivresse. Monique a été la première fille que j’ai réellement embrassée. J’aurais voulu que ce baiser ne cessât jamais. J’aimais ses caresses, j’aimais la caresser, mais elle s’arracha soudain à mon étreinte et me souhaita, dans un éclat de rire, de “bien me régaler les yeux”. J’ignorais encore qu’elle était infoutue de prendre l’accent provençal et qu’il s’agissait d’une expression chère à ses amis.
Je regardai enfin par l’œilleton. Je sentis mes joues devenir bouillantes, un chatouillis d’excitation à la racine de mes cheveux, quand je vis tous ces corps nus. Martial était dans mon dos, ses lèvres sur ma nuque glissaient vers mon épaule, ses mains se faufilaient dans les replis de ma robe.
– Tu aimes ce que tu vois ?
– Oui…
– Que regardes-tu précisément ?
Je lui répondis, mais il voulait plus de détails, alors je regardai plus attentivement. Plus je les observais, plus j’avais envie de les rejoindre. Je n’ai même pas remarqué quand Martial a rejoint ses amis et qu’Alain a pris sa place.
Je sentais son sexe, qui me parut énorme, contre mes reins et sans me retourner, je voulus le caresser. Il éclata de rire.
– Ho, la belle ! Si tu me branles tout en matant ma femme et Monique se gouiner, je vais venir ! Et si je viens sur un costume de la malle, je vais me faire engueuler !
J’ignorais encore tout de sa “particularité particulière”, mais quand je la connus, plus tard dans la nuit, quand il me “baptisa”, je ne pus m’empêcher de sourire.
Je réussis à rester dans le cabinet de la curiosité le temps que chacun, que chacune fasse connaissance avec moi, avec mon corps, le temps que je fasse connaissance avec les caresses, les baisers, les mots de chacun, de chacune. “Madame” fut la dernière à m’exciter, elle me susurra “Méfie-toi du Bavard, sous ses airs de paysan attardé, c’est certainement lui, le meilleur amant ! Il sait y faire, mais… écoute-le ! Tu vois ce que je veux dire ? C’est insupportable, tous ces bavardages et sa grossièreté… !”. En la suivant dans le salon, je lui demandai pourquoi elle ne lui disait pas de se taire.
– Parce qu’il ne le peut pas ! Et puis… même si ça me coûte de l’avouer… je crois que j’aimerais moins, s’il se taisait… je le trouve moche et vulgaire, mais je crois que s’il me demandait de faire 50 kilomètres sur les genoux pour qu’il me baise, je les ferais…
En disant ces mots, elle rougit, confuse de s’être laissée aller à cette confidence. J’entrai dans le salon, passai des bras d’un invité à ceux d’un autre dans un mouvement tournoyant, comme une valse sensuelle. Je m’installai sur le banc de prières et de contrition. J’étais en train d’écarter mes cuisses devant un public curieux et attentif, quand je fus saisie d’un orgasme à la fois doux et violent. Nous y vîmes tous un heureux présage et nous avions raison.
Les deux nuits qui suivirent cette première partouze débutèrent par la question rituelle que posait Christian “Et si nous offrions une nouvelle bague de fiançailles à Sylvie ?”
Quand je pus enfin épouser Martial, plusieurs mois après mon divorce, nous passâmes notre lune de miel dans le mas. La première nuit, Monique, Christian, Cathy, Alain, Joseph, Jimmy, le Balafré, le Notaire et le Bavard nous intronisèrent membres de la Confrérie du Bouton d’Or, en plus de ma broche, je reçus le surnom “la Fiancée” et Martial, outre ses boutons de manchette, fut surnommé “Titi” sur la proposition de Monique parce qu’il était et est resté son titi parisien.
Ta mamie Sylvie