Barjaco arriva un samedi matin dans la maison rue Basse, qui était la nôtre depuis peu. Il était accompagné du Bavard et avait convié Christian, Rosalie, Valentino et Nathalie à se joindre à nous. Je fus un peu surprise de les voir ainsi endimanchés et il me fallut me mordre les lèvres pour ne pas sourire quand il claironna qu’après toutes ces années, il avait gardé son corps de jeune homme.
La veille, j’avais croisé le Bavard et il m’avait raconté comment Barjaco avait tanné sa belle-fille pour qu’elle « arrange ce vieux costume en prenant garde qu’on ne puisse pas le remarquer ». La mère du Bavard avait proposé de lui en acheter un neuf, mais le bougre était têtu comme une mule, il n’avait rien voulu savoir et avait donné pour toute justification « une lubie de vieux fada ».
Quelle surprise nous réservaient-ils ? Leurs yeux pétillaient pourtant leur mine était solennelle. Nous commencions à piaffer d’impatience devant les sourires de Nathalie et de Rosalie qui papotaient. J’avais imaginé Barjaco très bavard et son silence m’étonnait vraiment. Valentino sifflotait en arrangeant la table à son goût. Il ne s’était pas assis, avait posé un autre verre sur la table et avait ramené « une bonne bouteille, parce que sinon… » Rosalie, Nathalie et Barjaco s’étaient exclamés « Gare à nous ! » avant d’éclater de rire. Nous entendîmes trois coups secs sur la porte, Rosalie me demanda d’accueillir ce visiteur puisque j’étais désormais la maîtresse de maison.
De plus en plus intriguée, j’ouvris la porte et me trouvai face à un vieillard secoué de tremblements. Je le regardai plus attentivement.
– Neuneuille !
– Lui-même en personne ! Fais-moi entrer, petite… je ne suis pas bien vaillant !
Il aurait eu besoin d’un déambulateur, mais seule une canne ouvragée l’aidait à tenir debout. Je regardai ce vieillard réunir ses dernières forces pour se tenir à peu près droit et marcher sans s’effondrer.
– M’offririez-vous votre bras ? Je voudrais faire une entrée de reine…
Je lui proposais mon aide comme on demande un service et il m’en était reconnaissant. Il bougonna que je lui faisais venir les larmes, alors pour me faire pardonner, j’embrassai sa vieille joue. Il secoua un peu la tête pour m’empêcher de remarquer qu’il souriait. Nathalie et Rosalie l’accueillirent chaleureusement. Il s’installa en bout de table, Barjaco le taquina.
– Té, Neuneuille, à cette vitesse, t’es parti de chez toi après ma visite de jeudi ?
Neuneuille ne put retenir son éclat de rire.
– Non ! Un chauffeur est venu me chercher… un brave petit…
Je me levai d’un bond, ouvris la fenêtre en grand et invitai le Balafré à nous rejoindre. J’aurais pu deviner qu’ils avaient attendu ma réaction, que je venais de réussir mon examen de passage, mais ce n’est pas ce qui a motivé mon geste. Le Balafré était passionné d’histoire, il avait compris qui se cachaient derrière les surnoms, je voulais lui offrir de partager ce moment parce que ça me paraissait couler de source. Rien de plus. Aucun calcul.
Quand il entra, je remarquai que son verre l’attendait déjà. Impatiente, je demandai « Alors ? » Rosalie me regarda, mi-amusée, mi-mécontente. J’avais oublié l’essentiel ! Je rattrapai ma bévue en levant mon verre « Mais d’abord, trinquons ! » Satisfait, Neuneuille opina, se tourna vers moi et ravi, constata que je respectais la coutume « les yeux dans les yeux ».
– Je dois vous dire que j’étais mécontent. Depuis des lustres, j’ai organisé mon départ… celui pour le grand voyage, si vous voyez ce que je veux dire… Vous autres, qui me connaissez, vous savez qu’il me faut du temps pour me faire à la nouveauté, aux changements, vous le savez hein, vous autres ? Et vous savez aussi que du temps, il ne m’en reste plus guère… Alors, quand Barjaco est venu me trouver pour me demander la permission de vous transmettre… et qu’il m’a invité à vous rencontrer, qu’il m’a parlé de vous autres, les petiots… de ce gamin qui viendrait me chercher… Je le connaissais déjà. Hein, petit qu’on se connaissait ? Dis-leur qu’on se connaissait, que j’ai pas tourné fada !
– Monique, depuis que je vous ai dit « je crois avoir reconnu certains membres de l’amicale », tu veux savoir qui et comment je l’avais deviné. Alors, laisse-moi t’expliquer. Si je n’avais pas choisi de devenir instituteur, j’aurais fait une thèse sur les poilus provençaux injustement décriés dans les manuels d’histoire. J’ai donc sillonné la Provence, rencontré beaucoup d’anciens combattants pour recueillir leur témoignage, parmi eux, Neuneuille, Barjaco et Gentil Coquelicot dans l’année qui a précédé mon départ en coopération.
J’étais abasourdie !
– Ouah ! Je suis… sciée !
– Tant que t’es en plusieurs morceaux, je peux aussi te préciser que Jimmy a repris mon sujet de thèse et que je lui ai donné mes notes, mes photos et mes enregistrements !
– C’est pour ça…
Je leur expliquai comment l’avidité avec laquelle Jimmy avait lu, relu et relu encore le cahier de Rosalie m’avait frappée. Et la raison semblait évidente maintenant que je la connaissais. Neuneuille reprit la parole.
– Quand Barjaco m’a dit tout ça… j’ai dû tout bouleverser mes arrangements funéraires… mais en réalité, je suis bien content de le faire… parce que je me dis qu’avec la transmission, elle ne mourra pas tout de suite… elle ne disparaîtra pas avec nous. Je fais confiance à chacun de ceux qui m’ont demandé, par la bouche de Barjaco, de vous raconter, de vous expliquer, s’ils vous en jugent dignes, c’est que vous l’êtes. J’ai décidé de venir, pour vous parler, pour vous transmettre, pour vous montrer… Vous avez les vôtres, messieurs ? Parce que les dames, j’en suis certain !
– Bien sûr !
– Pardi !
D’un même geste, ils posèrent devant eux une petite boîte tandis qu’il s’agissait plutôt d’un écrin pour Nathalie et Rosalie. Les hommes ôtèrent leur veste, quelque chose clochait dans leur tenue, mais je ne voyais pas quoi. Rosalie et Nathalie dégrafèrent le camé qui retenait leur châle. Dans un mouvement simultané, Barjaco fit glisser sa boîte vers Valentino, qui fit glisser la sienne vers Neuneuille, qui tendit sa boîte et ses bras à Barjaco. En même temps, Rosalie déboutonna la robe et échancra l’encolure de Nathalie qui fit de même.
Sans nous prêter la moindre attention, ils ouvrirent, qui leur boîte, qui leur écrin. Nous étions bouche bée devant ces merveilles ! Quand chaque manche fut parée de son bouton de manchette, quand l’encolure des robes fut ornée de sa broche, Neuneuille s’éclaircit la voix avant de prendre la parole.
– La confrérie du Bouton d’Or.
Il prit son verre et but une gorgée, le temps d’aiguillonner notre curiosité. Avant qu’elle ne se transforme en impatience, je regardai Christian, le Bavard, son grand-père, ma grand-mère avec la sensation de rêver. C’était tout bonnement incroyable !
– Vous saviez qui nous surnommions « Bouton d’Or » ? Oui… bien sûr que vous le savez ! Sinon, je ne serais pas ici… avec vous ! Barjaco est venu me trouver pour que je vous raconte l’origine…
S’adressant aux autres membres de la confrérie, il leur demanda « Ils savent pour « le Parisien »… pour Maurice ? » Satisfait de leur réponse, il poursuivit.
– Quand Barjaco est venu avec son cousin, une guerre menaçait. Nous avions perdu nos amis, nos frères, nos cousins, notre jeunesse et nos espoirs dans ce que nous avions surnommé « la der des der »… et voilà que ça menaçait de recommencer vingt ans après ! Barjaco arriva avec son cousin et nous reconnûmes tous cet ami de Toine et de Pierrot, il était venu faire des travaux dans la maison où nous nous apprêtions à prendre du bon temps. Barjaco, Rosalie, Toine, Pierrot et Nathalie nous faisaient tellement confiance qu’ils remettaient la vie de Valentino entre nos mains ! Valentino qui risquait la mort pour avoir refusé de la faire, cette maudite guerre !
Bouton d’Or a su m’apprendre à dompter mes cauchemars, comme elle l’a fait avec Toine, comme elle l’a fait avec Barjaco, comme Nathalie l’avait fait avec Pierrot, Gentil Coquelicot et… Bouche Divine… Pendant vingt ans, nous avions su garder le secret de nos turpitudes, personne n’en avait jamais rien su , ni même songé à les imaginer. Tenir notre langue ne serait pas un problème, mais nous ne devions jamais oublier pourquoi nous devions la tenir. Alors, nous avons fondé cette confrérie « La Confrérie du Bouton d’Or » qui nous maintiendrait unis quelle que soit la violence des tempêtes que nous traverserions.
Nous avons fait confectionner ces boutons de manchette et ces broches. Nous débutions toujours nos séances par ce rituel. Après avoir trinqué, on attache les boutons de manchette à un confrère, nos consoeurs s’arrangent entre elles. Ensuite…
Il s’interrompit brutalement. Barjaco éclata d’un rire enfin tonitruant, comme celui du Bavard.
– Et après, on se mettait d’accord sur « l’ordre du jour » si vous voyez ce que je veux dire…
Il nous fit un clin d’oeil appuyé et l’espace d’une seconde, ressembla à son petit-fils.
– … faut qu’on vous montre aussi, ou ?
– Ils m’ont sauvé la vie, vous savez ! Malgré tout ce qui nous opposait… malgré nos convictions politiques, religieuses… malgré mes origines… Vous avez risqué votre vie pour moi !
– Bouton d’Or méritait bien qu’on prenne cette décision ! Et Pierrot ! Et Toine !
– Mais… Valenti…
– Maurice ! Dans la Confrérie, on l’appelle Maurice ou « le Parisien » ! C’est important, tu comprends ?
– Oui, je comprends. Mais… Maurice ne venait pas partouzer avec vous ! Il ne voulait pas partager Rosalie et malgré ça… ?
– Malgré ça quoi ? En quoi en étions-nous lésés ? Est-ce que Bouton d’Or en était chagrinée ? Non ! Bien au contraire ! Bouton d’Or n’avait pas plus envie de partager Maurice que Maurice avait envie de partager Bouton d’Or ! Ils se voyaient en dehors de nos rencontres et tout le monde était content ! Quand Maurice est arrivé, je peux te dire que Bouton d’Or a retrouvé toute la légèreté, l’insouciance de ses vingt ans et c’était tout ce qui importait !
– Mais Maurice n’assistait pas à vos… réunions ?
– Té ! Déjà qu’on l’avait fait membre d’honneur, il n’allait pas s’agripper à nous… mon cousin le parisien ! Mais si je vous ai demandé de venir, si j’ai eu envie de vous dire pour la confrérie, c’est à cause de ce qui se passe avec Monique… On est entre nous, on peut tout se dire, non ? L’année dernière, mon pitchoun fieu est arrivé tout bouleversé… je lui ai demandé s’il avait l’insolation et voilà qu’il me parle de Mounico ! Et d’un drôle de… attendez, vous allez voir ! Tu veux bien fermer les yeux, pitchoune ?
Je lui obéis et il me fit un bisou sur la joue, tellement baveux que j’essuyai la salive du dos de ma main.
– Ne les ouvre pas encore…
J’attendis patiemment quelques minutes avant qu’il n’embrasse mes lèvres, une fois, et quelques secondes plus tard, un nouveau baiser sur mes lèvres, mais cette fois, ce fut Valentino… ou plutôt Maurice qui m’embrassa. Quelle sorte de bizutage me faisaient-ils subir ? Barjaco me dit de rouvrir les yeux et me demanda « Alors ? »
– Tu m’as embrassée sur la joue, après sur la bouche et pour finir, Valentino m’a aussi embrassée sur la bouche. Pourquoi ?
– Vous comprenez pourquoi j’ai convoqué la confrérie, maintenant ?
J’avais l’impression d’avoir été l’atout majeur d’un jeu de cartes dont j’ignorais les règles, toute l’assemblée me regardait, Rosalie souriait, sereine. Christian et le Bavard ne cherchaient pas à cacher leur étonnement. Le Balafré semblait vouloir trouver l’explication logique d’un phénomène qui ne l’était pas.
– Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Pour trois bisous ? ! ? Merde ! Un bisou sur la joue, deux sur les lèvres…
– Tu n’y es pas… tu n’y es pas, ma chérie… pas du tout !
– Comment ça ?
– Mounico, on va recommencer, mais cette fois, garde tes yeux ouverts…
Quand le deuxième tour des baisers débuta, je compris enfin. Ce n’étaient ni ma joue, ni mes lèvres qu’ils avaient embrassées, mais celles de Rosalie. En revanche, je ne sentis pas les baisers de Neuneuille.
– J’ai commencé à m’en douter quand… vous vous donnez aussi des surnoms, vous autres ?
– Certains oui, mais moi, je reste Monique, Christian aussi.
– Et lui, mon petit, vous l’appelez comment ?
– Le Bavard, mais quand je l’ai surnommé, je ne savais pas qu’on t’appelait Barjaco et quand j’ai lu le cahier de Bouton d’Or, je n’ai pas compris… c’est Christian qui me l’a traduit !
– Une preuve supplémentaire, alors ! Quand le Bavard… boudiou, comme ça me fait drôle de l’appeler ainsi ! Quand il m’a parlé de cette belle vacancière… et comme je savais que tu étais du sang de Bouton d’Or… et que toi aussi, tu l’avais… J’ai su que tout était lié… il a mon sang, tu as celui de Bouton d’Or… mais la preuve des preuves, je l’ai eue que l’autre jour, quand tu as senti mes mains sur les joues de ta grand-mère. Alors, j’ai décidé de convoquer la confrérie pour qu’on cause tous ensemble. Nous sommes bien vieux et vous êtes la relève… c’était important de vous transmettre ça aussi…
– Mais pourquoi ça me fait ça ?
– Boudiou, si je le savais… !
Rosalie demanda à Barjaco si c’était là le mystérieux mystère dont il voulait parler, il lui semblait qu’il en avait évoqué au moins un autre.
– C’est vrai, mais je préfère que ce soit le Bavard qui nous raconte… tu vois de quoi je parle ?
– La petite fée ? Quand je…
Il demanda à Rosalie s’il pouvait parler librement parce que c’était sa petite-fille, tout de même. Les anciens sourirent, amusés autant que reconnaissants qu’il ait évoqué cet aspect « délicat » de la conversation. Rosalie lui répondit qu’il pouvait parler sans gêne.
– Dès la première fois, je me suis senti chez moi avec Monique. Pas que dedans Monique, mais avec elle. Comme si je la connaissais de toujours… mes mains savaient quelles caresses elle aimerait… et pour le reste aussi… Fatché ! C’était tellement… facile… comme des retrouvailles… des retrouvailles avec une inconnue… et… elle est si belle… ! J’étais bien décidé à prendre mon temps, à profiter de ce… miracle… je pensais à ça quand une… je sais pas dire autrement… une petite fée à la figure de Monique a volé autour de nous… et elle me regardait… limer… elle fait toujours une mine de coquine, vous savez… gourmande… vicieuse… et quand elle fait ça, je viens… comme un puceau… je peux rien retenir…
– Quand elle fait quoi au juste ?
– Hé bé… elle monte tout en haut de nous… elle regarde tout ce qui se passe… s’approche des uns, des autres et puis, elle vient vers moi, vers nous… et là, elle regarde de tout près… elle se gêne pas ! Et quand elle a bien regardé, qu’elle veut me faire venir… elle me fait son petit clin d’oeil… son sourire… comme pour me dire « Allez, t’as assez profité ! La partie est finie ! »
– Mais pas du tout !
J’étais envahie par toutes sortes d’émotions, la surprise, la colère et la déception qu’il ait pu penser ça de moi. Neuneuille, qui a cet instant me fit penser au Notaire, eut un geste d’apaisement et me demanda de donner ma version.
– Déjà, c’est pas une fée, c’est juste mon ectoplasme… Il s’envole de mon corps, je ne sais ni comment, ni pourquoi… il observe la scène… la première fois que ça m’a fait ça, c’était avec le Bavard… souvent c’est avec lui que ça me le fait, mais pas que ! C’est vrai qu’il vole autour de nous et qu’il se rapproche quand je veux voir de plus près… je ne savais pas que le Bavard le voyait aussi… je ne l’ai su que l’autre jour quand il l’a chassé ! Mais… (j’éclatai en sanglots)… mais que tu dises que je le fais contre toi… ! C’est pas vrai ! Bien sûr qu’il fait un clin d’oeil coquin, mais… je savais pas que tu le voyais… c’est un clin d’oeil pour moi, pour me dire « N’oublie pas comme c’est bon ! »… comme un souvenir ! Si j’avais su que c’était ça qui te faisait venir, je l’aurais fait regarder ailleurs ! Merde, on s’offre tant de plaisir tous les deux ! Tu crois que je voudrais tout bâcler ?
Le Bavard posa sa main sur la mienne, la voix étranglée par l’émotion, il me menaça « Si tu me fais encore venir les larmes… »
– Tu m’encules ?
J’ouvris les yeux comme des soucoupes, les doigts sur ma bouche ouverte dans un « Oh ! » de surprise. J’avais oublié la présence des vieux, mais Neuneuille parut enchanté.
– Comme tu as eu raison de convoquer la Confrérie, Barjaco ! Alors voilà… je voulais porter ces boutons de manchette pour mon dernier voyage, mais je préfère les léguer à l’un d’entre vous, mon héritage…
Une discussion s’engagea entre nous, pour savoir qui hériterait de quoi. Nous décidâmes d’organiser dès le lendemain, une nouvelle réunion de la Confrérie, avec les « représentants de la nouvelle génération » au cours de laquelle, nous voterions à bulletins secrets afin d’attribuer les boutons de manchettes et de valider nos noms de code. Il allait de soi que Catherine hériterait de la broche de Nathalie et que Rosalie me léguerait la sienne. Nous décidâmes de partir en informer Cathy, Alain et le Notaire. Le Balafré proposa de nous rejoindre plus tard, le temps de raccompagner Neuneuille chez lui. Nathalie lui fit les gros yeux.
– Il vit tout seul, maintenant, laisse-nous donc attendre la prochaine réunion ensemble ! De profiter un peu les uns des autres, on n’aura plus souvent l’occasion !
Je vis une lueur coquine illuminer le regard de ce vieillard, il me sembla même que ses tremblements avaient cessé. Après une tournée générale de bisous, nous sortîmes de la maison pour nous rendre dans celle « du Toine ». En chemin, je tirai la manche de Christian et lui demandai ce qu’il avait comploté avec Nathalie, il me répondit « Elle m’a révélé une nouvelle cachette… cette maison est décidément pleine de surprises ! »
Quand nous racontâmes à Alain et à Catherine ce que nous venions d’apprendre à propos de la Confrérie, ils furent autant surpris que nous l’avions été. J’attendis que le Bavard parle de « la petite fée », mais comme il ne le fit pas, je me tus également. Le Balafré proposa de passer chez le Notaire pour le convier à la réunion du lendemain. Alain éclata de rire « Sans le savoir, nous étions déjà prêts pour l’aspect « secret » de notre confrérie ! Tu veux prévenir le Notaire ? Regarde bien et attends ! » Il alla à la fenêtre qui donnait sur la rue, noua un des voilages de telle façon que le vase rempli du bouquet de fleurs, que Cathy venait de lui tendre, soit visible de l’extérieur.
Nous venions de finir de déjeuner quand le Notaire fit son apparition, sans son épouse qui s’occupait de leurs enfants. J’observai le Bavard, encore troublée de ce qu’il avait dit.
– À quoi tu penses, Monique ?
– Je préfère me taire, je m’en voudrais de te faire rougir en dévoilant mes pensées… lubriques !
Me tournant vers le Balafré, je lui demandai « C’est bien comme ça qu’on dit ? ». Tous approuvèrent d’un hochement de tête. Le Bavard éclata de rire en me disant que je ne perdais rien pour attendre. Nous avions raconté au Notaire l’histoire de la Confrérie du Bouton d’Or, il en était resté coi. Christian demanda la permission de fouiller dans la chambre qui fut celle de ses grands-parents et revint avec deux étuis, celui de Toine et celui de Gentil Coquelicot, mais semblait très surpris de ce qu’il tenait à la main, un petit coffret rempli de photos de la confrérie.
J’avais beau connaître la jeunesse de mes grands-parents et de leurs amis, je fus néanmoins surprise de la modernité des situations et de l’humour qui perlaient de la plupart des clichés. Comme celui où les hommes totalement nus, à l’exception de manchettes ornées de leur bouton, posaient l’air faussement sérieux aux côtés de Rosalie et de Nathalie. Elles étaient aussi nues, offertes et portaient leur broche dans les cheveux. Elles aussi essayaient de se donner un air sérieux sans y parvenir le moins du monde. Cette photo était la réplique d’une autre, plus ancienne, sans les boutons de manchette, ni les broches où Rosalie avec ses longs cheveux était plus jeune que je l’étais à l’époque, et Nathalie manifestement enceinte du père de Christian.
Je sentis le souffle du Bavard dans mon cou. « Tu compares les engins ? » Je lui lançai un regard coquin et lorgnai ostensiblement vers « l’engin » de Barjaco. Avant sa question, je n’avais pas remarqué que tous les hommes bandaient.
Christian caressa ma cuisse sous ma robe, j’écartai mes jambes afin que mon autre genou touchât celui du Balafré, leurs doigts se rejoignirent dans ma culotte « Pourquoi t’en as mis une, ma chérie ? ». Le Bavard, quant à lui, déboutonna ma robe de ses doigts impatients. Enivrée par toutes ces sensations, j’en oubliai Catherine, Alain et le Notaire qui prenaient du bon temps de leur côté. Prise dans cette vague d’excitation croissante, je posai mes mains sur celles du Bavard et lui demandai de me caresser comme il savait si bien le faire.
– En douceur ou tu préfères…
– Ferme les yeux et laisse-les faire ! Tu l’as dit tout à l’heure, tu es chez toi avec moi !
– Boudiou ! Si tu savais comme j’ai envie de te prendre ! Là… tout de suite… !
– Qu’est-ce que tu attends, alors ?
– Messieurs…
Sur ce simple mot, comme s’il s’excusait de m’emprunter à ses amis, le Bavard me prit dans ses bras, me souleva et me déposa sur le sofa qu’Alain et Cathy avaient décidé d’installer à la place du vaisselier que Nathalie avait tenu à emporter dans son petit appartement.
– Dis, Monique, comment tu as envie… ?
D’un bond, je sautai dans ses bras, le regardai droit dans les yeux. Avant même que l’idée ne me vienne, il la savait déjà. Il m’empala sur son sexe, me fit coulisser une fois ou deux et me mit à tournoyer, comme on fait valser un enfant dans ses bras, sauf que je n’étais plus une enfant et que mon sexe se gonflait de désir autour du sien. Nous dansâmes ainsi quelques instants, mais bien que je fusse « légère comme une plume » et lui « fort comme un boeuf », il eut peur de tomber et m’allongea de nouveau sur le canapé.
– Un petit coup de « mes hommages, Madame » ?
– Tu me connais si bien… !
J’avais compris que le Bavard craignait de « venir comme un puceau ». Je reçus les hommages de Christian et du Balafré en plus de ceux du Bavard. J’aimais la façon dont cette figure me laissait à la crête de l’orgasme, juste avant qu’il n’explose. Je me cambrai, caressai mes seins, mouillai mes lèvres d’une langue soumise à mon excitation, j’aurais donné dix ans de ma vie pour sentir une de ces queues dans ma bouche. Christian le comprit et m’offrit la sienne entre chacun de ses « mes hommages, Madame ». Les doigts du Bavard forcèrent ma bouche presque simultanément que le sexe de mon époux.
Il venait de me pénétrer pour le douzième tour, quand mon ectoplasme jaillit brusquement, s’éleva jusqu’au plafond pour regarder Catherine. Assise sur le sexe d’Alain, elle allait et venait ou plutôt, il la faisait aller et venir, le Notaire l’embrassait dans le cou tout en caressant sa belle poitrine couverte de son sperme. Mon ectoplasme s’approcha un peu plus d’eux, mû par la curiosité, il observa la queue d’Alain recouverte de la mouille légèrement rosée de Cathy… ce qui signifiait la fin prochaine de ses règles. Combien de cycles avant qu’elle ne tombe enceinte ?
Mon ectoplasme ne put résister plus longtemps, il fonça sur Cathy et embrassa sa bouche si tentante, un baiser qu’elle ne perçut pas. Il remonta au plafond, semblant hésiter à venir m’observer. Le Balafré venait de prendre la place du Bavard qui, comme à son habitude, commentait ce qu’il se passait. Mes yeux dans ceux du Balafré, je sentais mon vagin se contracter, palpiter, vibrer autour de son sexe. Il cria, comme à regret, « Oh, Monique ! » avant de se ficher tout au fond de moi pour jouir violemment.
Mon ectoplasme remarqua un échange muet entre Christian et le Bavard. La ronde des hommages avait pris fin, et Christian lui cédait sa place. Il me pénétra « Boudiou ! C’est encore plus chaud avec la jute du Balafré ! » Je souris, une fois de plus surprise de prendre cette grossièreté comme le plus doux des compliments.
Mon ectoplasme restait au-dessus de mon visage, observait le sexe de Christian dans ma bouche, ma langue gourmande, le visage du Balafré qui se penchait vers moi, me chuchotant des mots d’amour avant de m’embrasser le front. Mais n’y tenant plus, sa curiosité était trop forte pour résister plus longtemps, mon ectoplasme s’approcha du Bavard, qui me sourit tendrement avant de lui demander « Tu veux espincha, petite fée ? », l’ectoplasme lui sourit et lui fit un clin d’oeil. « Tu en penses quoi, petite fée ? Elle te plaît, ma grosse bite ? Héhé, je m’en doutais un peu ! »
C’est ainsi, en lui parlant, que le Bavard fut apprivoisé tout autant qu’il apprivoisa ce qu’il a toujours appelé « la petite fée » parce qu’« un ectoplasme, ça fait peur, tandis qu’une petite fée, ça fait rêver ! »
Et vint le jour de la première réunion de la nouvelle confrérie