Odette&Jimmy – « Ces Highlands d’Écosse sont une sorte de monde sauvage, rempli de rochers, de cavernes, de bois, de lacs, de rivières, de montagnes si élevées que les ailes du diable lui-même seraient fatiguées s’il voulait voler jusqu’en haut. » *

Dérogeant à notre règle tacite, j’entretins une correspondance avec Jimmy, une partie de l’année 2012. Je ne voulais pas gâcher notre voyage en emportant mes ressentiments dans mes bagages, des aigreurs qui ne le concernaient pas. Tout avait commencé en 2011 avec la vente du pavillon. J’en avais reçu 70 %, Bertrand me reprochait notre contrat de mariage et en contestait la validité dans le cas présent. Le fond du problème, c’est que le prix de l’immobilier est bien plus bas en Seine-et-Marne qu’à Cannes. Je n’arrivais pas à lui pardonner d’avoir pris nos enfants à témoin.

Cette querelle était presque achevée quand j’en avais fait part à Jimmy, qui ne comprenait pas cette rage puisque la stratégie de Bertrand avait échoué, nos enfants s’étaient non seulement rangés à mes côtés, mais s’étaient aussi détournés de leur père. C’était justement ça que je lui reprochais ! Dans quelques années, les gamins s’en voudront de tout ce temps perdu en vaines querelles qui ne les concernaient pas et c’était sa faute, puisque c’était la base de son plan.

Et puis, il avait fallu que je me justifie quant à cette histoire de contrat de mariage. Beaucoup voient dans cette séparation de biens, une méfiance, d’au moins une des parties à l’encontre de l’autre, certains y lisent un mépris de classe dans le cas d’une « mésalliance », mais si je l’ai exigé c’est pour suivre le conseil et l’exemple de mes parents. En aucun cas la faillite de l’un ne doit être à l’origine de la déchéance de l’autre. Même s’il avait acquis la nationalité française dès la fin des années 40, mon père a longtemps vécu avec la crainte d’être expulsé en Côte d’Ivoire, spécialement dans les années qui ont précédé et suivi l’indépendance.

Je me souviens de ce jour où il m’avait indiqué cette cachette, au milieu d’un recueil de nouvelles de Maupassant Mademoiselle Fifi se trouvaient, soigneusement pliés à l’intérieur d’une enveloppe, nos certificats de nationalité française « Si jamais tu devais en justifier et que ni ta mère, ni moi ne soyons à la maison ». Mes parents n’étaient ni méfiants ni cyniques, ils étaient aimants et prudents. Après avoir correspondu à ce sujet, nos lettres se firent aussi rares que les années précédentes. En m’épanchant, j’avais pris le recul nécessaire et j’étais désormais certaine que mes ressentiments ne viendraient pas contrarier notre voyage annuel.

Après notre dîner-croisière et une nuit d’amour dans un grand hôtel parisien, nous nous envolâmes pour un séjour dans les terres du Nord du Royaume !

– J’ai pensé qu’un séjour pendant lequel nous cheminerions ensemble dans la lande, le vent humide fouettant nos visages ne pouvait que t’aider à chasser tes tracas.

Ces longues balades au cours desquelles nous restions souvent silencieux, à respirer à plein poumons le bonheur que nous ressentions, m’ont permis de m’opposer à Jimmy, pour la première fois, avec calme et fermeté.

Nous étions dans les derniers jours de janvier, peu avant de partir pour les îles Orcades. Dans cette petite bourgade des Highlands se tenait une kermesse locale ou une fête paroissiale avec les stands habituels. En nous promenant dans les allées de cette halle couverte, je tombais en émoi devant un petit pendentif. Je tirai Jimmy par la manche « Regarde ! J’ai trouvé ma breloque ! » Il éclata de rire, j’en fus vexée, mais me tus.

Un peu plus tard, il me désigna la vitrine d’un bijoutier « On va te trouver un bijou plus digne de toi, ma Princesse ! ». Mes yeux s’emplirent de larmes de rage.

– Pourquoi refuses-tu de m’écouter ? Pour faire ce pendentif, cette gamine a mis tout son cœur, en tout cas, je veux y croire. Je me sens toute aussi importante dans la suite nuptiale d’un palace qu’en marchant à tes côtés dans la lande. Je ne veux pas oublier ce sentiment qui s’emparait de moi quand tu me tenais par la main, puis quand tu m’attirais vers toi pour me prendre par la taille… et nos pauses dans la bruyère… J’ignore encore quels beaux souvenirs vont nous réserver les jours à venir, mais ce petit pendentif…

Les larmes avaient disparu de mes yeux, elles emplissaient le regard de Jimmy.

– Je me sens minable, tu as raison, ma chérie…

La gamine parut surprise de nous voir revenir vers son stand. Elle le fut davantage quand Jimmy lui demanda s’il était possible de transformer le pendentif en breloque pour mon bracelet. Je ne pigeais pas un mot de la gamine à l’accent infernal, Jimmy me traduisait les réponses à ses questions. Quand il lui demanda si ce bijou avait une histoire, elle s’anima et expliqua

– Chacun de mes bijoux a une histoire, correspond à un moment précis, un souvenir que je matérialise ainsi !

Nous étions les premiers à lui avoir posé la question, les autres badauds qui lui avaient parlé avaient demandé « C’est toi qui fais ça ? »et« Le trucc’est combien ? ». Elle se souvenait précisément du souvenir qu’elle avait voulu mettre dans ce bijou, de l’endroit où elle avait cueilli les fleurs, de ses esquisses, elle se souvenait de ses sentiments tandis qu’elle le réalisait, ce qu’elle avait ressenti en le voyant achevé. Quand nous lui avons demandé quel était donc ce souvenir, elle éclata d’un rire soudain très mature.

– Ça, c’est de l’ordre de l’intime. J’ai fait ma part en le confectionnant, à vous d’en inventer la signification !

Jimmy lui demanda la permission de la prendre dans ses bras et de l’embrasser.

– Si j’avais eu une fille, j’aurais aimé qu’elle fût toi !

– Dis donc, monsieur le coquet, vu ton âge et le sien, tu devrais plutôt évoquer ta petite-fille !

Jimmy estima que cette impertinence justifiait une sanction, qui s’avéra être des plus agréables.

Nous avions débarqué à Birsay quand Jimmy me proposa une balade nocturne en costume local. Je connais son goût pour les déguisements depuis toujours. Je le savais déjà alors qu’il était encore coopérant. Lui et Martial enseignaient au lycée français local, tandis que Jean-Luc avait été affecté dans la classe unique d’un village plus reculé. Le roman national de l’époque racontait une France résistante avec, pour son malheur, un vieillard sénile à sa tête. Il fallait bien évoquer la collaboration, mais sans s’y appesantir. Certains des élèves de Jimmy voulaient scinder les Français en deux groupes distincts, les résistants d’un côté, les collabos de l’autre. Quid de ceux qui n’entraient ni en résistance, ni en collaboration ?Après s’être concertés, les élèves avaient décidé de les placer dans la catégorie des collabos. « Ne pas résister, c’était collaborer ! ».

Au cours suivant, ils trouvèrent une boîte sur chaque pupitre.

– En consultant les journaux officiels de l’époque, je vous ai acheté vos rations alimentaires si vous habitiez en zone occupée en janvier 1943. Vous êtes vernis parce que vous êtes dans la catégorie J2, l’une des mieux loties en matière d’alimentation. Vous êtes sacrément vernis parce que j’ai pu trouver tout ce à quoi vous donnaient droit vos tickets et vos cartes de rationnement, c’était rarement le cas. Vous l’êtes d’autant plus que la viande n’est pas trop mal coupée, les fruits ne sont pas véreux, les légumes non plus, le lait n’a pas été délayé. Pour obtenir tout ceci, il fallait compter dix bonnes heures de queue, dans le froid. Combien d’entre vous connaissent la rigueur de l’hiver en métropole ? Ne comptez pas vous chauffer au charbon, 50 kg pour l’hiver, on ne va pas bien loin.

Il regardait ses élèves découvrir le contenu de leur boîte, ouvrant des yeux étonnés, réalisant que rien n’était aussi simple qu’ils le croyaient. Et ils avaient si peu à manger par jour. Jimmy avait réussi son coup, il porta l’estocade « Détrompez-vous, c’était les rations pour une semaine ! Vous comprenez qu’avant de chercher à s’enrôler dans un camp ou dans un autre, la première préoccupation des citadins était comment trouver à manger, de quoi se chauffer ? »

Quand il avait repris le sujet de thèse de Jean-Luc, qu’il avait écouté les témoignages, qu’il en avait recueilli d’autres, il avait ressenti le besoin d’éprouver physiquement le froid. Il avait dormi dans la boue, dans le froid avec la tenue des poilus. Il avait gravi une petite colline, au pas de charge le fusil à la main. Il avait dû s’y reprendre à plusieurs reprises et encore, aucun cadavre, aucun blessé, aucune explosion pour le faire trébucher, aucun ennemi pour le canarder.

Mais si je connaissais cette manie toute scolaire, j’en ignorais la version « arts du spectacle ».

Jimmy m’avait trouvé une jupe à Édimbourg, en feutre de laine, très lourde, plusieurs jupons, une culotte longue qui ne se fermait pas « pour pouvoir pisser sans avoir à découvrir tes jambes, tes fesses » m’avait, toujours soucieux du détail, précisé Jimmy. Il avait aussi acheté une chemise en coton et une autre plus épaisse, des bas de laine, une coiffe qui avait bien du mal à rester en place. Mon costume reposait sur le lit, j’étais en train de me dévêtir quand un détail me fit battre le cœur. Je me retournai pour dire à Jimmy que ça faisait bien longtemps que je n’avais pris un tel plaisir à voir mon reflet dans le miroir.

– CLIC-CLAC !

– Avec un appareil entre les mains, ça marcherait mieux !

– De toute façon, j’en aurais eu un entre les mains, la photo, je me la serais gardée rien qu’à moi ! L’éclat de ton visage, Princesse ! L’éclat de ton visage ! Que voulais-tu me dire ?

– Que je me suis vue… que je me vois comme tu me vois !

Nous marchions dans l’obscurité à l’écart de la ville, nous hésitions à sortir le flash de crainte de nous faire repérer. Nous nous dirigeâmes vers la nuit noire, heureux, riant de bonheur. Nous envoyant des poèmes au visage comme d’autres s’envoient des baisers. J’étais épatée de la diversité et la richesse de ses choix autant qu’il l’était des miens.

J’avais même fini par le trouver séduisant dans sa tenue locale, de prime abord si ridicule. Jimmy avait apporté un trépied puisque je devais garder la pause assez longtemps. Souvent, il me rejoignait et déclenchait l’appareil-photo à distance.

J’aimais quand il nous mettait en scène. Lui, un genou à terre devant moi, une main posée sur son cœur, l’autre se tendant vers moi dans un geste de supplique désespérée. Il me déclamait sur un ton très Comédie-Française « À faire flamber des enfers dans tes yeux, à faire jurer tous les tonnerres de Dieu, à faire dresser tes seins et tous les Saints, à faire prier et supplier nos mains, je vais t’aimer… » puis, s’enflammant « Je vais t’aimer comme on ne t’a jamais aimée, je vais t’aimer plus loin que tes rêves ont imaginé.Je vais t’aimer comme personne n’a osé t’aimer ». Il allait donc de soi que je détournais le regard dans un mouvement de recul horrifié. Alors, vaincu, la voix mourante, il murmurait « Je vais t’aimer ».

Le manque de lumière nous contraignit à faire très peu de clichés de ce début de balade. Jimmy, inspiré, me proposa soudain de me tenir sur ce rocher, à contre jour et d’écarter mes bras de telle façon que mon châle me fasse des ailes « Et s’il y a du vent, le flou te dessinera une aura ». Il installa l’appareil-photo et pour me mettre dans l’ambiance, déclama une poésie de Walter Scott. Le temps de pause allait être très long, je répétais le mouvement avec lui. Le froid était piquant malgré mes chemises boutonnées. Quand nous fûmes au point, Jimmy reprit sa récitation puis se tut brusquement, bouche bée, les yeux écarquillés. Des vaguelettes de lumière verte, de plus en plus variées nous enveloppaient peu à peu.

Le hasard a voulu qu’il aperçoive les premières lueurs de cette aurore boréale quand j’écartais et levais les bras. Il faisait semblant de vouloir me faire croire à un « signe significatif », à un « miracle miraculeux », tout au moins à un « mystère mystérieux », tandis que je faisais semblant d’être agacée par ces foutaises, par ses airs énigmatiques et tentais de le « raisonner raisonnablement » de faire montre de « pragmatisme pragmatique ».

Un éclair de lucidité me parvint enfin « Eurêka ! » Je m’approchai de Jimmy à pas feutrés, écartai les pans de son large duffle-coat, bénis intérieurement la sagesse des anciens et la coupe de leurs pantalons qui permettaient de sortir l’outil dans avoir à se dégueniller.

– Voyons voir à quoi ressemble ta bite sous cette lumière…

– Ma verge, Princesse, ma verge !

– Voyons voir…

– Tu perds pas le Nord, toi !

– C’est le cas de le dire !

Comme je veux bien l’admettre, c’est parfois le cas, je m’amusai à orienter le sexe de Jimmy sous différents angles pour admirer toutes les subtilités de ses reliefs sous cette lumière féerique. Je l’en oubliai quelque peu, certes, mais pour autant, mon désir ne faisait que croître.

– À quoi tu penses, Princesse ?

– Tu crois qu’on y verrait quelque chose, sur une photo, si tu me prenais en levrette, là, maintenant ? Avant que la lumière ait disparu, mais en gardant nos costumes ?

– Si c’est pour une espérience ès scientifique… haut les cœurs ! Sacrifions-nous gaiement !

Je posai mes mains sur ce rocher dont la hauteur était idéale pour l’exercice. Les mitaines protégeaient mes mains tout en permettant à mes doigts de s’agripper à la végétation. Je me penchai suivant les indications de Jimmy qui souleva ma cape, ma jupe, mes jupons. J’avais l’impression qu’il avait posé un sac à dos sur mes épaules. Un coup de vent rabattit ma cape et ma jupe au-dessus de moi, me rendant aveugle pour un temps, je ne pouvais compter que sur mes autres sens, aiguisés par le froid.

– Même de là où je suis, je n’y vois goutte, Princesse ! Pour y voir quelque chose, il faudrait que je découvre tes fesses, que je les libère en écartant les pans de ta culotte, mais je ne veux pas que le froid te gâche le plaisir…

– Essaie, je te dirai…

Jimmy se plaignit du froid qui recroquevillait son sexe, malgré son érection. « Ah ! Tu vois, j’avais raison quand je parlais de bite ! » Je ne pus m’empêcher de rire quand en me pénétrant, il poussa un soupir de soulagement, et frissonna de bien-être.

– Mon radiateur portatif… !

– Tu sais parler aux femmes, toi !

J’aurais aimé qu’il se montrât un peu plus brutal, je ne comprenais pas pourquoi il bougeait si doucement en moi. Il me donna la réponse avant que je lui pose la question.

– Tu es tellement mouillée, Princesse… avec la lumière… on dirait que mon membre… de l’opale… on dirait de l’opale… j’essaie de prendre des photos… c’est… fascinant…

– Si tu restes trop longtemps la queue trempée à l’air, tu vas choper un rhume de bite, mon amour…

Ayant retrouvé ses esprits, il éclata de rire et me prit enfin avec toute la sauvagerie dont nous avions envie. J’aimais sentir la paume de mes mains se fendiller malgré les mitaines, j’aimais sentir ces petites épines déchirer la peau de mes doigts, mes seins et mes genoux heurter le rocher à chaque coup de boutoir de Jimmy.

– Ça va, ma… hmm… chérie ? Pas trop froid aux… han ! han…fesses ?

– Une claque, peut-être ?

Je crus que ma peau avait éclaté sous sa main tant mes fesses étaient froides, mais aussitôt une douce chaleur se répandit comme une onde bienfaisante.

– Encore ! Plus fort !

– Quoi plus fort ? Ça (claque) ? Ou… han… ça ?

– Les deux ! Plus fort ! Encore ! Oui ! Encore ! Plus fort ! Oui !

Mes paumes étaient moites, je m’en étonnai quand je remarquai cette même sensation de moiteur sur mes genoux. Les frottements répétés, les à-coups de plus en plus vifs, qui me projetaient plus rudement contre la pierre avaient provoqué des plaies qui étaient en train de saigner. Sans m’en rendre compte, j’avais redressé mon buste pour préserver mes seins des conséquences de cet assaut.

J’aimais imaginer que mes cris s’évanouissaient au loin en s’unissant avec ces ondes lumineuses. J’aimais le ton autoritaire de Jimmy quand il me demandait si j’aimais ça, quand il me faisait ça. Quand il m’enjoignait de crier ma réponse. J’aimais à bout de souffle, épuisée, regrouper ce qui me restait de force pour le supplier « Encore ! ». J’aimais ces claques revigorantes qui m’insufflaient l’énergie nécessaire pour aller un peu plus loin sur le chemin de ce plaisir incroyable qui grondait, vrombissait en moi comme un volcan au bord de l’éruption.

Jimmy s’extasiait de ce que nous vivions. Son corps savait d’instinct comment libérer ce qui couvait en nous, bien plus qu’un orgasme, et mon corps en avait également conscience. Nous étions deux musiciens qui interprétions la même partition, qu’ils découvraient ensemble, dans une harmonie et une confiance des plus totales.

Mon sexe coulait de tous mes sucs, j’aimais l’alternance du chaud et du froid au rythme de ses va-et-vient. Je tournai à grand peine mon visage vers le sien, il put lire mon souhait dans mes yeux. Il posa sa main sur mon ventre, l’autre prenant mon épaule, m’aida à me redresser suffisamment pour pouvoir mordre ma nuque sans cesser ses mouvements. J’ai joui d’entendre son cri quand il jouit à son tour, ses crocs plantés dans mes chairs, un cri si animal qu’il en avait les accents de l’enfance.

Nos corps écroulés, rompus de bonheur, nous plaisantions en cherchant à estimer le temps nécessaire avant d’avoir la force de réintégrer notre intérieur cosy. Nous y parvînmes plus vite que nous l’aurions cru et tandis qu’il me débarrassait de ma lourde cape, Jimmy sourit, me montra l’intérieur de sa paume, quelques brins de bruyère s’étaient accrochés à l’épais tissu. Il souleva ma main à hauteur de ses yeux, s’adressa à la breloque « Dire que je t’ai moquée, alors que ma Princesse avait tout de suite compris que tu étais un puissant talisman d’amour ! »

Il m’embrassa. « Tentons de dormir un peu, j’aimerais consacrer la journée de demain au travail, si tu n’y vois rien à redire… » Je souris à cette perspective et mutine, lui demandai s’il préférait que je le laisse travailler seul ou s’il m’autoriserait à rester allongée sur le canapé, à somnoler.

Tout avait commencé à Édimbourg, quand il avait défilé devant moi dans sa « tenue holmésienne ». J’avais ri en lui rétorquant qu’il ressemblait davantage à un expert comptable en week-end à la campagne qu’à Sherlock Holmes. Il avait alors dégainé une pipe, mais elle me renvoyait l’image d’un critique littéraire venu s’isoler dans le manoir familial avant la sortie de son prochain ouvrage. De fil en aiguille, un scénario avait pris forme et nous nous amusions à nous filmer en train de le jouer. À notre retour, Jimmy en ferait un montage qu’il copierait sur une clé USB avant de l’envoyer à Jim.

Jimmy avait été ému de ma réaction quand il m’avait fait lire les lettres de Jim « Quand je vois Odette sur les photos, que je bande, je regarde ma queue en souriant et je suis fier de savoir qu’elle lui a donné du plaisir ! J’ai touché, j’ai baisé la pin-up que je vois sur les photos ! C’est incroyable comme sensation ! Merci ! » Cet homme d’à peine cinquante ans me voyait comme une pin-up !

– Ça veut dire que dorénavant, fini le n’importe quoi, faudra faire attention au cadrage, à la lumière, à faire de belles photos… Je n’ai plus le droit de le décevoir, non ?

*Sir Walter Scott, Rob boy (1817)

Odette&Jimmy – « La musique adoucit les mœurs »

La troisième breloque que j’ai accrochée à mon bracelet, c’est la petite Fender, parce qu’aucune autre n’aurait pu mieux symboliser ce séjour.

Nous avions laissé éclater notre bonheur dès nos retrouvailles, pont de l’Alma. Face à l’embarcadère, nous avions pris un selfie où je dévoilais mes seins. Plus tard, alors que nous étions installés à notre table, nous en fîmes un autre en levant symboliquement notre flûte de Champagne en direction de l’objectif, une fois encore j’exhibai ma poitrine.

Jimmy m’avait prévenue « À la fin de la croisière, ça risque d’être la cavalcade ». En effet, nous n’eûmes même pas le temps de faire un petit cliché devant la gare du nord, nous arrivâmes juste à temps pour monter dans le train.

— Mais… et nos bagages ?

Jimmy sourit, blasé et amusé « J’ai anticipé, Princesse ! ». Nous fîmes quelques selfies supplémentaires dans le train. J’avais déjà pris l’Eurostar, mais c’était la première fois que j’y voyageais en première classe. Jimmy, songeur, souriait aux anges.

— À quoi tu penses ?

— Au train en général… à Monique, à sa grand-mère, Rosalie et aux trains qui ont bouleversé leur destinée en particulier.

— Raconte-moi ça !

Jimmy me raconta le dépucelage de Monique dans ce train qui la menait en Provence pour passer un mois interminable avec sa grand-mère, recluse dans ce trou paumé. Elle partageait son compartiment avec un fils à papa et un étudiant lubrique. L’étudiant n’était autre que le cousin de Christian, qui allait devenir son compagnon. C’est en attendant le train qui devait la ramener à Paris, assise sur un banc du quai aux côtés de Christian, qu’elle avait lu le cahier remis par sa grand-mère, Rosalie et qu’elle avait pris la décision de s’installer au village.

C’est en prenant le train que Rosalie avait rejoint son filleul de guerre, Pierrot, à l’arrière, pendant une de ses rarissimes et trop brèves permissions et c’était un autre train qui l’avait conduite en Provence, quand ses parents l’avaient chassée et reniée.

Jimmy souriait toujours, le regard plongé en lui-même, semblant ignorer ma présence, tout à ses pensées.

— L’an dernier, j’avais déjà ressenti ce truc… Je savais que tu serais présente à notre rendez-vous. Je le savais. Je n’avais aucun doute à ce propos, pourtant au plus je m’approchais du pont de l’Alma, au plus une petite voix me susurrait « et si elle ne venait pas ? Si elle avait un empêchement de dernière minute… si elle ne venait pas ? » Dès que cette voix commence à résonner, le temps s’étire comme un félin paresseux vautré au soleil. Les minutes n’en finissent pas de s’écouler, comme alourdies d’impatience. Et quand je t’aperçois, ça me fait comme un grand clac de soulagement. Comme si l’on desserrait une pince accrochée à mon cœur… Une pince dont je n’avais pas perçu la présence avant… Cette année, la sensation fut plus forte encore.

— C’est que tu prends de l’âge, mon ami !

Jimmy rit en silence.

— Bien tenté, mais tu ne me feras pas sortir de ma béatitude avec un de tes bons mots, aussi amusant qu’il puisse être ! Tu as une idée de notre destination ?

— J’hésite entre Lisbonne et Managua…

— J’espère que tu as conscience que je mémorise chacun de tes sarcasmes et qu’une fois redevenu simple mortel, je t’en ferai payer le prix ? Fort, le prix.

— Tu sais, cette pensée « Il ne viendra pas » me traverse aussi l’esprit, alors, je la chasse. Mais elle revient au galop, plus forte, plus logique, plus envahissante. J’en arrive à ne plus savoir que faire de cette journée du 29. Vaut-il mieux m’étourdir de musique au risque de m’endormir brutalement et de rater notre rendez-vous ? Je change au moins cent fois de tenue…

— Cent fois ?!?!

— Au bas mot ! Et tu me connais, l’exagération, c’est pas le genre de la maison ! Ne vaudrait-il pas mieux que je quitte mon petit appartement à Gif-sur-Yvette dès la fin de la matinée et passer la journée sur les quais au risque de choper la crève ? Et quand je te vois, je me traite d’idiote d’avoir pu douter. Et si le clac résonne dans ma poitrine, je ne ressens aucune béatitude m’envahir. Je ressens du soulagement, c’est certain, mais le bonheur doit se frayer un chemin dans tout ce mélange de sentiments. Je ne l’atteins que lorsque nous nous blottissons enfin dans les bras l’un de l’autre, quand mon visage trouve sa place sur ton épaule…

Pour la première fois, ayant prononcé ces mots, je me sentis apaisée, envahie par cette plénitude et poussai un soupir de soulagement. Jimmy posa sa main sur ma cuisse, me la caressa tendrement.

– Ça ne te dispensera pas de la sanction prévue à l’article 12 de… euh du… J’me comprends !

De ce séjour, je me souviens surtout des concerts. Jimmy avait eu la bonne idée de nous acheter des places pour certains qui avaient lieu dans des salles prestigieuses, des groupes à la notoriété bien établie, mais entre ces concerts, nous allions écouter des groupes moins connus, dans des lieux moins réputés.

Nous ne sommes pas restés à Londres, nous avons voyagé dans toute l’Angleterre, nous avons repoussé toutes les limites en osant nous aventurer jusqu’au Pays-de-Galles ! Je m’enivrais de vivre à soixante ans passés, les vacances dont j’avais tant rêvé jeune fille. Jimmy m’offrait des CD comme d’autres offrent des fleurs.

C’est pendant un de ces concerts que Jimmy m’ouvrit à de nouveaux horizons. La salle était blindée, j’avais chanté, crié, sifflé, dansé pendant plus d’une heure. J’étais en sueur, mais je ne le remarquai qu’au changement de groupe, alors que la salle s’était vidée. Le public quittant cette atmosphère suffocante pour se diriger vers le bar, j’avais été saisie par cette fraîcheur subite. Jimmy empoigna mon bras « Viens ! Suis-moi ! » et m’entraîna dans les toilettes des filles.

De son index posé sur sa bouche, il demanda à la nana en train de se remaquiller les lèvres, de garder le silence. Aucun sursaut, aucune surprise n’éclairèrent son regard embrumé.

Nous nous enfermâmes dans les toilettes. Les mains de Jimmy brûlaient d’une impatience fébrile

— Je ne peux plus me retenir ! Tu me rends fou quand tu… rhôôô… !

Il avait passé sa main sous mon tee-shirt et me caressait les seins.

— J’en étais sûr, j’aurais dû le parier, tu ne portes rien dessous, capoune !

— Faudrait savoir, monsieur le râleur, si je mets quelque chose, ça va pas et si j’anticipe en ne portant aucun dessous, ça va pas non plus !

— Qui t’a dit que je m’en plaignais ? Je ne regardais que toi et… c’que t’es bandante quand…

— Redis-le, en me caressant les seins

— Bandante ! Ça te va ? T’es comme Monique et Sylvie… ça vous fait un drôle d’effet…

— C’est parce qu’avec votre accent… le mot… rebondit… banne danne te… je sais pas avec votre accent… on sent bien l’idée… le mouvement… l’érection vers les cieux… oui, quoi… on voit l’idée… le mouvement, quoi !

— Tu sais parler aux hommes, toi !

Il s’excusa par avance de la brièveté de l’étreinte à venir, mais il ne voulait pas rater le début du concert suivant, prendre le risque de ne pas me voir danser, bouger, de ne pas m’entendre m’époumoner.

— On ne sortira qu’à l’entrée en scène du prochain groupe… quel que soit notre état, mais rhabillés !

Jimmy approuva mon idée. J’étais assez sereine puisqu’ils en étaient encore à débrancher les instruments et les pédales d’effets du groupe précédent quand Jimmy m’avait conduite ici.

Mon corps a gardé l’empreinte de mes sensations lors de cet « entracte ». Le jean qui a du mal à glisser le long de mes cuisses en sueur. La caresse d’un érotisme ému sur mes fesses « et pas de culotte non plus ! Non ! Ne t’en excuse pas ! J’en suis ravi ! ». La caresse rugueuse de mon tee-shirt qu’il retire avant de l’accrocher au loquet de la porte. Mes bras tendus vers le ciel. Jimmy dans mon dos qui me caresse les seins. Le selfie. Mes mains contre la porte. La main de Jimmy sur mes reins pour m’indiquer comment et jusqu’où me pencher en avant. Ses doigts entre mes cuisses. Son gland qui les rejoint avant de les évincer. Ses va-et-vient précautionneux. Le bruit de son sexe coulissant dans le mien. Les cris que je tente d’emprisonner derrière la barrière de mes dents. La main de Jimmy sur ma gorge. Ses coups de boutoir qui se font plus intenses. La porte qui vibre, secouée au rythme de ses mouvements. Le brouhaha confus d’une discussion près des lavabos. En ouvrant ma bouche, un cri s’en est échappé. Des rires de l’autre côté de la porte. Une folie érotique s’empare de Jimmy qui m’exhorte à jouir parce qu’il ne tiendra pas bien longtemps. Ma main qui se décolle de la porte, y laissant une trace humide. De mon doigt, je désigne ma nuque. Ne pas parler pour retenir mes cris. Son cri transperce ma peau en même temps que ses dents, il ressort par ma bouche, amplifié par les miens que je contenais.

Je me souviens m’être demandé si c’était la salive ou une goutte de mon sang que je sentais perler. Le tissu du tee-shirt tombé à terre. Je me souviens aussi avoir craint de ne pas pouvoir remonter mon jean, de m’être maudite d’avoir choisi celui-ci, un peu trop juste, un peu trop slim, néanmoins de m’être bien gardé de l’avouer à Jimmy qui aurait alors su qu’en matière d’anticipation, j’avais quelques progrès à faire ! D’avoir souri à cette idée. Avec son aide, je n’eus finalement pas trop de mal à me rhabiller.

On entendait les premières notes, les premiers boum-boum sur la grosse caisse, les premiers coups de baguettes sur les cymbales qui indiquaient la mise en place du groupe. Je me souviens du bruissement de la salle qui se remplissait quand nous sortîmes des cabinets. La fille au regard vide avait disparu. À sa place, quatre nanas qui fumaient leur cigarette près du vasistas à droite des lavabos. En nous voyant, une gamine aux cheveux trop raides pour que ses tresses « africaines » tiennent le temps du concert, cette gamine tatouée et piercée a ouvert des yeux de merlan frit et la bouche en même temps. Elles se sont interrogées du regard puis celle qui avait une fesse posée sur le radiateur a eu un hochement de tête approbateur « Good game ! ».

Je me souviens de tous ces détails, ainsi que de la lumière jaune, un peu faiblarde qui accentuait l’aspect crasseux des lieux, en revanche, je ne me souviens pas de l’odeur aigrelette de vieux pipis, ni d’avoir vu des graffitis sur les murs. Je sais qu’ils étaient forcément présents, mais je les ai occultés.

Un autre « nouvel horizon » que nous nous offrîmes lors de ce séjour anglais, fut celui de faire des photos avec l’intention de les adresser à Jim, que nous avions côtoyé régulièrement lors de notre séjour à Perth. Nous avions passé de très jolies journées et soirées en sa compagnie et il entretenait une correspondance avec Jimmy depuis notre retour. Jimmy avait une imprimante photo et tirait un exemplaire de chaque cliché que nous légendions avant de les envoyer à Jim.

J’étais particulièrement excitée en imaginant la réaction de son corps quand il ouvrirait les enveloppes. Mon excitation était amplifiée par le fait que je n’en saurais pas la teneur avant le prochain réveillon. Je bénis intérieurement les lenteurs de la poste et le fait que Jim n’ait pas accès à internet. J’avais demandé à Jimmy de ne pas me révéler ce qu’ils échangeraient à ce propos d’ici-là. Il m’en avait demandé la raison et m’avait reproché le vice de mon esprit tordu avant d’affirmer que ça justifiait une sanction.

Nous étions au balcon de notre chambre, il avait relevé ma robe, baissé ma culotte, fait claquer une jarretelle sur ma cuisse.

Sa première claque s’est abattue en même temps que débutait le compte à rebours. À la troisième, j’ai écarté mes fesses « Plus fort ! ». La claque suivante fut plus énergique et plus ciblée. Quand la foule a hurlé SIX ! un doigt m’a pénétrée, en plus de la claque. FIVE ! son doigt me fouilla, mais pas de claque. FOUR ! il sortit de mes fesses. « Oh non ! » THREE ! une claque à l’intérieur de mes cuisses. TWO ! son gland à l’entrée de mes fesses. ONE ! Je les écarte davantage et me cambre tout à fait.

— Bonne année et joyeuse sodomie, ma Princesse chérie !

Odette&Jimmy – « Two atoms they collide in all their random ways »

Lors de notre premier séjour, Jimmy m’avait fait une proposition très séduisante.

–  Princesse, j’ai envie de te faire découvrir tant de nouveaux horizons, en découvrir certains avec toi. Me suivrais-tu si je te proposais de partir à l’aveugle, sans connaître la destination et vivre à nouveau sept semaines d’amour, rien que toi et moi ?

–  Mais pour mes bagages ? Si je ne sais pas sous quelle latitude…

–  Ne t’en fais pas, je m’en chargerai.

De retour en France, je lui avais envoyé des photos et les copies des documents dont il aurait pu avoir besoin. Nous sommes convenus de ce qui est devenu notre petit rituel annuel. Chaque 29 décembre, nous nous retrouvons à 19 heures, pont de l’Alma. Nous embarquons pour notre dîner-croisière sur la Seine et l’aventure peut commencer.

Pour ce deuxième séjour, alors que nous venions de trinquer, Jimmy consentit à me révéler un indice, nous séjournerions sur une île.

– Une île ? Mais laquelle ? Il y en a tellement !

– Si tu me montres tes seins, je t’en dirai davantage.

Après avoir jeté un regard circulaire, j’avais exaucé ce vœu en dénudant brièvement ma poitrine.

– L’exhibition était minimale, Princesse, mon indice le sera également. Pense à l’île de Wight, mais celle où nous nous rendons sera plus grande.

Nous étions arrivés à Perth depuis quelques jours, avions fêté la nouvelle année avec faste et nous nous offrions une petite balade le long de la côte. Sur une plage, tout près d’un embarcadère, Jimmy remarqua un petit bateau, s’exclama « Il n’attendait que nous ! », courut vers lui et masqua une partie du nom « Jim O, c’est bien nous deux, non ? »

Nous riions de sa bêtise quand son regard fut attiré à l’intérieur de l’embarcation, le voyant blêmir, je me précipitai vers lui. Un homme recroquevillé, suffoquait. Je ne saurais dire pourquoi je compris ce qui lui arrivait. Je montai à bord et pratiquai la manœuvre de Heimlich. Il expulsa ce qui ressemblait à une boulette de pain ou de poisson et put enfin respirer normalement. Machinalement, je lui pris le pouls et lui demandai s’il se sentait mieux. Il parlait trop vite pour que je puisse le comprendre. Jimmy me traduisit sa réponse. Il s’était vu mourir et ne savait comment nous prouver sa gratitude.

Je haussai les épaules pour lui signifier que ce n’était pas la peine, mais Jimmy lui demanda s’il consentirait à nous offrir une balade en mer et lui chuchota un secret à l’oreille. Le marin eut un sursaut de surprise, nous regarda mi-amusé, mi-interloqué, un large sourire s’épanouit sur son visage et topa dans la main de Jimmy pour sceller leur accord.

Nous embarquâmes aussitôt. Notre capitaine d’un jour nous faisait découvrir la côte et ses surprises tantôt loquace, tantôt presque muet. Jimmy se racla la gorge et d’une voix entre effronterie et timidité expliqua « Je voudrais offrir l’océan indien à la superbe poitrine de ma Princesse. Puis-je la dénuder sans que la vue de ses mamelons offusque la morale anglo-saxonne et puritaine de quiconque ? »

– Laissez-moi vous conduire jusqu’à un endroit que les nageurs n’atteindront pas et dont les eaux n’attirent aucun pêcheur.

Il nous mit de la musique, j’étais surprise de l’apprécier autant alors que je ne suis pas fan de ce genre musical d’ordinaire. Quand nous fûmes arrivés, après avoir coupé le moteur, il regarda droit devant lui et nous indiqua d’un geste de la main que nous pouvions procéder.

Je me sentais rougir comme une adolescente tandis que les doigts de Jimmy rejoignaient les miens sur les boutons de la robe que je portais.

– Pourquoi t’as mis un maillot de bain ? Et un « une pièce » en plus ! Pourquoi ?

– Je ne m’étais pas imaginé… j’avais pas anticipé… oh… Jim…

Je remarquai le sursaut de notre capitaine « Je crois que notre matelot s’appelle Jim et qu’il nous mate en loucedé ». Jimmy voulut vérifier mon pressentiment, aussi il se tourna de telle façon qu’il lui suffit de jeter un regard en biais vers le gros rétroviseur pour y croiser celui de notre marin. Il lui fit un grand sourire complice.

– What’s your name?

– Jim!

– So…

Jimmy dénuda totalement ma poitrine, mon maillot de bain roulé à la taille. Il faisait pigeonner mes seins entre ses mains, les vantant comme une marchandise inaccessible. Je succombais sous ses caresses, sous le regard de cet homme qui cherchait à masquer son érection dans un geste d’un érotisme involontaire, mais absolu.

– Tu vois, Jim, j’ai couché avec cette déesse, je l’ai même dépucelée, quand elle avait dix-sept ans, je l’ai retrouvée à cinquante-neuf et c’est comme si nous avions toujours été ensemble pendant toutes ces années… Et c’est encore meilleur !

– Quel veinard ! Moi, si j’avais une telle femme… je…

– Tu ?

Encouragé par mon sourire, Jim précisa sa pensée.

– Je me frotterais à son corps… qu’elle sente mon désir pour elle…

Jimmy se frottait à moi. J’ondulais, plaquant mes fesses contre le sexe de Jimmy puis les en détachant. J’ondulais autour de lui, passant de mes fesses à mes hanches, de mes hanches à mon ventre, de mon ventre à mes hanches, de mes hanches à mes fesses. J’entendais le souffle court, animal de Jim qui déglutissait bruyamment.

– Je la ferais asseoir sur la banquette… là… oui ! Et je lui demanderais…

Anticipant sa requête, je déboutonnai le pantalon de Jimmy qui, en homme avisé, ne portait aucun dessous. Il me sourit, l’air de dire « Tu vois ? »

– Et maintenant ? Pour quoi opterais-tu ?

Jim sembla surpris de ma question.

– Elle veut savoir si tu préfères la regarder me sucer ou si tu préfères… entre les seins.

– Je ne sais pas… à ma place, tu choisirais quoi ? Que me conseilles-tu ?

– Ah ah ! Je ne répondrais pas ! Toi, d’ici quelques heures tu ne la verras plus, ma Princesse, tandis que moi… Je ne prends pas le risque d’une mauvaise réponse ! Mais dis-moi, ma Princesse, t’en penses quoi ? Qu’est-ce qui te ferait le plus plaisir ?

– Tu sais bien… moi ce que je préfère, c’est mater !

Jimmy qui parlait bien mieux anglais que moi, malgré les cours du soir que j’avais pris dès notre retour de Vancouver, lui expliqua mon goût pour la beauté des sexes d’hommes, qu’ils soient au garde à vous ou au repos. Jim était sidéré. Nous étions le Père et la Mère Noël venus rien que pour lui en ce jour où il s’était vu mourir ! Il ouvrit des yeux comme des soucoupes quand je le priai, d’un geste, d’offrir son sexe à ma vue.

Après quelques secondes d’hésitation, Jim se débraguetta. Un peu trop vite à mon goût. Il portait un caleçon un peu ridicule et s’en excusa d’un haussement d’épaules. Je lui fis signe d’approcher. J’observais son sexe attentivement, m’extasiant en mon for intérieur de ses reliefs, de sa forme, qu’il était beau ! Je regardais Jim qui me souriait. Je réalisai soudain que je n’avais jamais vu d’aussi près le sexe d’un homme noir. Je ne pus m’empêcher de pouffer. Pour éviter tout malentendu, je tentai de m’expliquer.

Jim ne comprenait pas, Jimmy traduisit. Je les regardais alternativement, essayant de comprendre leur dialogue. Il fallut que Jim pose sa main sur la mienne pour que je prenne conscience que mes ongles couraient sur sa hampe.

– Regarde, Jimmy ! Le petit bourrelet !

Jimmy avertit Jim de ma tendance à oublier l’homme au bout de la queue. Ils rirent de cette boutade. Je me détournai du sexe de Jim pour regarder, caresser, lécher d’une langue timide se faisant de plus en plus gourmande, celui dressé devant moi. J’eus l’envie de reproduire les mêmes titillements que je venais de prodiguer à Jim sur la queue de Jimmy. J’avais envie que notre spectateur en prenne conscience. Quand ce fut le cas, j’entrepris d’agacer le gland de Jimmy d’abord d’une langue timide puis je levai les yeux vers Jim, qui comprit mon message « Voilà comme je te sucerais ».

Jimmy gémissait, tentait de trouver les mots. Il se plaignit de ne pas y parvenir. Je le regardai, compris. Une boule de chaleur explosa dans mon ventre, ma bouche s’emplit de salive. Je manquai de jouir en attrapant du bout des doigts la queue sombre de Jim. Un premier orgasme me transperça quand je découvris son goût, quand il se plia en deux et que je sentis sa main chercher à s’introduire sous mon maillot de bain. Jimmy en écarta le tissu. Un juron s’échappa de la bouche de Jim quand ses doigts trouvèrent ma chatte trempée.

Ma langue, mes lèvres étaient trop occupées avec le sexe de Jim pour que je les en prive, ne serait-ce qu’une seconde. Jimmy lut dans mon regard. Il expliqua à notre complice comment bouger ses doigts en moi. Il posa sa main sur la sienne pour en accentuer la pression. « Elle va jouir »

Je déglutis quand ils me firent jouir, avalant presque la queue de Jim qui poussa un grognement de plaisir. Je fermai les yeux. J’aimais me sentir caressée par ces deux hommes, l’un plus vieux que moi, l’autre nettement plus jeune. J’aimais ce qu’ils disaient de moi, même si je ne comprenais pas tout. J’aimais par-dessus tout me plier à leurs désirs. Désormais nue, je m’offrais à leur vue, me montrant impudique à un point dont je ne me serais jamais cru capable. J’aimais leur demander d’exaucer mes vœux. Que je me sentais belle, à demi-allongée, Jim à ma droite, Jimmy à ma gauche ! Je les observais se branler tout contre moi, ne fermant les yeux que pour me laisser aller aux plaisirs de leurs caresses.

Je sentis une langue, puis une autre. Je gémis de plaisir.

– Tu aimes te faire lécher devant moi, Princesse ?

J’allais répondre quand le gland de Jimmy força mes lèvres. La langue de Jim explorait ma vulve, ses lèvres tétaient mon clitoris tout en douceur et en ardeur. Que c’était bon de me laisser aller à ses baisers ! Ses mains couraient le long de mon corps, écartaient mes cuisses, mes fesses, caressaient mes seins, tandis que Jimmy faisait l’amour à ma bouche.

Les yeux toujours clos, je lui fis signe de me les bander. Son érection s’en trouva renforcée. Quand je le sentis ajuster le tissu, le faire glisser de mon visage vers mes yeux, quand je les sentis en pleins conciliabules en langue des signes improvisée, je sus que leur surprise me permettrait d’atteindre le Paradis.

– Redresse-toi un peu qu’on puisse profiter de… You see?

En disant ces derniers mots à Jim, Jimmy fit courir le bout de son index tout autour de mon mamelon, déclenchant un délicieux frisson le long de ma colonne vertébrale. Je me cambrai dans un réflexe. Répondant à une question dont je n’avais entendu que le murmure, Jimmy rit doucement en passant ses doigts sur les traces des morsures qu’il m’avait offertes depuis notre arrivée à Perth. Son ton redevint sérieux et impératif quand il précisa qu’il exigeait d’être et de rester le seul à me déchirer ainsi la peau.

– Tu es son vampire ?

– Son vampire exclusif ! Écarte un peu plus tes cuisses, Princesse… Écarte-les ! Et les genoux aussi !

– Pourquoi vous tenez-vous si loin ?

– On se branle un peu en te matant. Oui ! Tu fais bien de glisser ton bassin vers l’avant !

– Il me mate aussi ?

– Oui

– Et il apprécie ?

– Tu serais folle de plaisir si tu le voyais se branler pour toi !

– Il se branle comment ? Vite ou lentement ?

– Il alterne ! Look!

Je sentais cette divine sensation, ces picotements, la chair de poule tout autour de mes seins, puis dans une vibration circulaire, les frissons qui se concentrent vers les mamelons, annonciateurs de plaisir. N’y tenant plus, je me les caressais, me cambrant comme pour offrir mes seins à des mains inconnues.

Un « Oh » un peu rauque, d’une musicalité particulière, que je remarquai pour la première fois, me fit tourner la tête. Tout en invoquant un dieu dans un anglais mâtiné d’argot, Jim s’approcha de moi, s’agenouilla face à moi. Je sentis sa bouche se refermer autour de mon téton. Dès la première succion, je me sentis emportée dans un tourbillon sensoriel.

Je sentais les mouvements réguliers de sa main. Je pouvais le visualiser en train de se branler entre mes cuisses ouvertes.

– Je voudrais sentir sa queue le long de ma fente… tu crois qu’il voudra bien ?

Comme s’il avait compris ma question, Jim me le proposa, mais il tenait à jouir sur mes seins. Uniquement sur mes seins.

– Tu es pressé de jouir ?

– Si le jeu se prolonge, je ne pourrai résister à l’envie de te baiser, je n’ai pas de capote… ce ne serait pas safe-sex, tu comprends ?

– Alors, laisse-moi profiter du spectacle !

Ils détachèrent le tissu. Jimmy semblait plus excité par la situation que je ne l’aurais cru. Il se tenait à l’écart, souriant, traduisant mes propos quand cela s’avérait nécessaire. Il se branlait, me souriait, attentif au plaisir que je prenais à regarder Jim se branler pour moi. Ses doigts caressaient la cicatrice que les dents de Jimmy avaient provoquée dans la nuit du 31 décembre. Il me regarda, me sourit. Telle une anguille, sa main glissa vers mon entrecuisse, ses doigts s’engouffrèrent sans peine dans mon vagin. Purée ! J’étais trempée !

– Oh lala, Jimmy ! Ne jouis pas ! Je veux que tu me prennes après… quand nous aurons joui, lui et moi !

Jimmy me regardait, sidéré. « Comme je t’aime, ma Princesse, comme je t’aime ! » Je demandai à Jim d’arrêter de se branler, je voulais à quoi ressemblait son sexe. Il était encore plus beau, plus nervuré, plus tentant ! Il perlait.

Mes doigts rejoignirent les siens dans mon vagin. Je caressai délicatement son gland humide avec ma joue. Nous gémissions chacun dans notre langue maternelle. Je sentais mon clitoris se gonfler, je pouvais même ressentir l’afflux de sang. Jim le sentit également. Il s’agenouilla sur un petit banc. Son sexe se plaça naturellement au niveau du mien.

Je ne pouvais distinguer son gland qu’au travers des poils de ma toison pubienne. C’est d’ailleurs en observant son gland que je remarquai pour la première fois « mon minou désormais poivre et sel ». J’éclatais de rire sans pouvoir en expliquer la raison.

J’essayais de visualiser les reliefs que je sentais le long de ma vulve. Son petit bourrelet cognait régulièrement juste au-dessus de mon clitoris, le décalottant davantage. Je déchirai mes cordes vocales et les tympans de Jim en hurlant mon plaisir.

N’y tenant plus, il me pencha en avant, cala son membre -qui me parut avoir épaissi- entre les seins et débuta ses va-et-vient. J’étais ravie de voir son sexe apparaître puis disparaître… Il me traitait de déesse diabolique, compressait mes seins, relâchait la pression qu’il exerçait sur eux avant de l’accentuer à nouveau…

Il eut un regard presque suppliant qui m’étonna. Je me penchai vers lui et l’embrassai naturellement, ignorant encore cette règle que certains s’infligent « Pas de baiser sur la bouche ». Trouvant le premier baiser, un peu trop furtif, j’en réclamai un second, plus long, que j’obtins sans aucun problème. J’aimais la grâce avec laquelle nos langues dansaient ensemble. Sensation accentuée par les caresses de son magnifique membre entre mes seins.

Mes doigts se crispèrent sur sa nuque. Je jouis « comme une chienne ». Cette image décupla mon plaisir. Jim jura. Je regardais avec une joie infinie, son sexe éjaculer, son sperme maculer ma gorge. J’avais l’impression qu’il ne s’arrêterait jamais ! Avide, je bus la fin de son éjaculation. Ses doigts se crispèrent à leur tour sur ma nuque. Il me remercia avec des mots, des caresses, des baisers d’une tendresse incroyable. Jimmy pesta.

– Et voilà ! Je pensais débusquer la piste qui me mènerait à mon père et tout ce que je trouve, c’est le fils d’Alain ! Quand ça veut pas, ça veut pas !

Jim ne parlant pas le français, se fia au ton de Jimmy et se méprit. Jimmy lui raconta l’histoire de sa naissance et cette blague qui revient régulièrement entre nous, cette blague qui nous unit l’un à l’autre. Il dut sans doute lui expliquer pour la particularité particulière d’Alain, mais je ne compris pas ou ne fis pas attention. Ce détail ne m’est revenu en mémoire que lorsqu’Alain me fit visiter la maison de Jean-Luc.

– Viens ! Viens ! Prends-moi, Jimmy ! Prends-moi maintenant !

– Serviteur !

Une fois de plus, il réussit à me faire éclater de rire tout en me pénétrant. Il se figea. Parut perplexe. « La p’tite bosse ? ». Fit marche arrière. Sortit presque de mon vagin. Un sourire. « La p’tite bosse ! » et rassuré me pénétra à nouveau. Faisant rouler mes lèvres autour de son bourrelet. Tout en faisant semblant de me reprocher de n’avoir pas eu la patience d’attendre que le sperme de Jim ait fini de sécher.

– Tu as aimé me voir… avec un autre ?

– Et toi ? Tu as aimé t’offrir à Jim ? Devant moi ?

– Tu ne l’as pas remarqué ? Senti ?

Après avoir joui, nous passâmes la journée sur le bateau, à profiter du soleil, de la beauté de nos corps. Nous ne nous caressions pas forcément, mais nous étions bien tous les trois sur ce petit rafiot au milieu de l’océan. Parfois, au détour d’une phrase, au gré d’une vague un peu plus forte, la main de l’un ou de l’autre glissait sur mon corps, déclenchant l’érection de mes tétons, la chair de poule sur mes aréoles… Je pestais alors avec la plus parfaite mauvaise foi « Et si je te faisais ça, moi ? » Mais les gredins n’y voyaient point sanction !

Nous naviguions vers l’embarcadère quand Jimmy fut pris d’une inspiration soudaine.

– C’est sûr, papa était australien ! Jimmy O’Malley ! C’était son nom ! La preuve : toi et moi ! Princesse et Jim O’Malley !

Devant mon air ahuri, au prix d’un effort surhumain de self-control, il consentit à m’expliquer.

– Les Aristochats ! The AristoCats !

– Sauf que c’est Tom O’Malley et Duchesse, Monsieur Cinéma !

Jim avait compris le sens de notre conversation. J’étais pliée de rire, me moquant de l’inculture de Jimmy. Prenant l’australien à témoin. D’une belle voix grave, il entonna la chanson de Thomas O’Malley, remplaçant les Thomas par des Jimmy. Je capitulai devant leur coalition.

Après avoir accosté, nous nous dîmes au revoir. Jimmy m’offrit un dîner somptueux, au cours duquel il m’invita pour la dernière fois à venir m’installer avec lui en Provence. Proposition que je déclinai.

Quelques jours plus tard, alors que nous nous promenions en ville, nous entendîmes une mélodie sifflotée derrière nous. Nous nous retournâmes. Jim nous souriait, il nous remercia encore de la journée que nous avions passée ensemble. Il laissa sa proposition en suspens, mais elle finit par franchir ses lèvres tandis qu’il nous tendait une petite carte de visite.

– Si vous avez envie d’une autre promenade en mer…

– Tu as pensé aux capotes ?

Jim éclata de rire, me fit un clin d’œil et en sortit une pleine poignée de sa poche.

Quelle autre breloque aurait pu mieux représenter ce deuxième séjour « Nouveaux horizons » ?