Le cahier de Bonne-Maman — « L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’imagination »

J’avais ouvert ma « malle aux trésors » et nous en vidions le contenu en nous apostrophant joyeusement. Marie-Louise s’était montrée plus que généreuse en m’offrant toutes ces merveilles. Extirpant une drôle de veste, Toine me demanda « À ton avis, qui a joué le rôle du chasseur ? ». J’étais la seule, avec lui, à connaître les membres de cette famille, Pierrot et Nathalie attendaient ma réponse, mais j’avais beau me creuser la tête, je ne parvenais pas à imaginer un homme de cette maison bourgeoise acceptant d’endosser cet accoutrement.

Par jeu, Toine l’enfila, en l’ajustant, il eut un regard surpris, plongea la main dans une des poches, en sortit ce que je pris pour une page arrachée d’un livre.

Qui, parmi vous croit aux coïncidences ?

Nous nous interrogeâmes du regard. Personne. Un étrange sourire aux lèvres, il prit une intonation théâtrale pour déclamer, en tenant la feuille exagérément loin de son visage, le bras tendu devant lui, l’autre main, faisant des sortes de moulinets

Fées, répandez partout
La rosée sacrée des champs ;
Et bénissez chaque chambre,
En remplissant ce palais de la paix la plus douce

D’une petite voix un peu hésitante, Nathalie brisa le silence qui s’était abattu sur la maison

Des fois, j’y crois un peu… aux coïncidences… parce que des fois… je ne m’explique pas tout… mais comme tu n’y crois pas, alors je préfère ne pas y croire, mais…

Que me dis-tu là, Pitchounette ?

Comme tu n’y crois pas… que tu dois avoir raison…

Ayant retrouvé tout son sérieux, il la prit dans ses bras.

Mais que tu y croies ou que tu n’y croies pas, ça ne changera pas l’amour que je te porte, ma Pitchounette ! Comment puis-je défendre la liberté de penser si je t’impose la mienne ? !

Je ne sais pas… mais si tu n’y crois pas… tu es plus savant que moi… Mais des fois… tu vois, il y a des choses que je ne m’explique pas… alors, je me dis que c’est… le destin… ou… Comment tu dirais, toi, pour ces mots que tu as trouvé justement aujourd’hui ? Comment tu dirais ?

Je ne sais pas ! Une chance ! La chance de sentir, là… tout au fond de moi à quel point je t’aime ! La chance de tenter de te convaincre de ne pas renier celle que tu es pour me plaire, parce que tu me plais telle que tu es, Pitchounette… telle que tu es… C’est toi que j’aime, toi, Nathalie, la femme que tu es, je ne veux pas d’un tas de glaise que je modèlerais à ma guise… Je veux que tu… Oh… je t’aime, ma Nathalie, je t’aime !

Blottie dans les bras de Pierrot, je les regardais heureuse, émerveillée, chancelant de bonheur quand il me murmura dans un baiser sur ma nuque « Je t’aime tout autant qu’il l’aime, tu sais… »

Je ne saurais dire combien de temps a duré ce moment de bonheur serein, ce moment où tout avait été dit, ce soulagement, cet apaisement, peut-être n’a-t-il duré que quelques secondes, quelques minutes, peut-être plus. Nous étions silencieux, unis.

Et puis, la réalité, notre réalité est remontée à la surface. Toine s’est assis sur le canapé, a invité Pierrot à s’asseoir à ses côtés et a relu le quatrain.

Tu peux le redire encore, Toinou ? Je trouve ça très beau !

Oui, c’est vrai, c’est très beau ! C’est une pièce de théâtre, un opéra ou un poème ?

Toine retourna la feuille de papier

C’est tiré du « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare…

Puis voyant nos mines, il demanda

Vous ne connaissez pas Shakespeare ?

Il ne se moquait pas de nous, lui seul avait poursuivi ses études après le certificat d’études, Pierrot, Nathalie et moi étions des enfants de paysans, après l’école obligatoire, nous avions travaillé à la ferme. Il le savait et avait conscience de sa chance d’avoir pu aller au collège.

Roméo et Juliette… vous connaissez ? C’est de lui, c’est de Shakespeare…

Nous connaissions l’histoire, mais n’avions ni lu, ni vu la pièce.

Comment tu dis, Toine ? « Shakespeare » ? Je croyais que ça se disait…

Quelques semaines plus tôt, le père de Toine avait reçu une malle pleine de vieux livres. Ne sachant qu’en faire, il avait décidé d’en faire don à l’embryon de bibliothèque municipale qu’il avait créée. Il n’y avait pas de locaux à proprement parler, mais des étagères inutilisées dans la grande salle de la mairie. C’était là que trônaient fièrement la dizaine de romans de notre bibliothèque. Il m’avait demandé de ranger les livres de cette fameuse malle sur ces rayons et parmi eux, plusieurs pièces de théâtre de Shakespeare, dont « Roméo et Juliette ».

Tu croyais que ça se disait… ?

Je te préviens, si tu te moques de moi… je te préviens ! Si tu ris… gare à toi !

Promis !

Je croyais qu’on disait « Chat qu’espère »… t’avais promis, Toine ! T’avais promis…

Je ne me moque pas, mais… « Chat qu’espère »… c’est… tu sais c’est très poétique, Bouton d’Or…

Je faisais un peu la moue, vexée sans l’être tout à fait. Nathalie, solidaire, annonça.

Pour ta peine, on va t’attacher à une chaise et tu devras regarder tes trois couillons préférés se donner du plaisir… hein qu’on va faire ça ?

Pierrot, ravi de l’aubaine approuvait vigoureusement de la tête, tandis que Toine faisait semblant de ne pas être content de la tournure des événements.

Les cordes de chantier que nous possédions ne convenaient pas, mais Pierrot trouva de vieux bouts de ficelles dans une caisse à outils. Le temps de nous retourner, Toine était déjà nu !

Ho gari ! T’as pas l’air de redouter ta punition !

Attache-le donc à la chaise pendant que Nathalie et moi nous changeons… et mets cette tenue, nous revenons tout de suite !

Nathalie avait choisi cette robe de bergère d’opérette qui lui avait tant plu samedi soir, quant à moi, je décidai d’utiliser de nouveau la robe que je portais le matin même. J’aimais beaucoup ce sentiment de me sentir plus impudique habillée que nue. Sentiment tout à fait nouveau pour moi.

Nous allâmes mettre nos costumes dans la chambre qui donne sur le jardin. Que Nathalie était belle ainsi costumée ! Nous entendions leurs éclats de rire. Pierrot se plaignait d’avoir l’air couillon et Toine, au lieu de le rassurer, riait de plus belle en lui reprochant d’avoir trop serré les liens.

À mi-voix, nous mîmes au point notre première mise en scène, nous improvisant tour à tour costumières, accessoiristes, dialoguistes… C’est Nathalie qui eut l’idée de ceindre mon front d’une couronne de fleurs. De longues années passées à veiller sur des troupeaux nous avaient conféré habileté et rapidité dans cet art.

Afin de ne rien dévoiler de notre « plan secret », nous enjambâmes la fenêtre pour aller chercher de quoi la confectionner. Le temps de revenir dans la chambre, il ne restait déjà plus à Nathalie qu’à la nouer avant de la poser sur mes cheveux coiffés en un chignon très lâche, un chignon « à la sauvage » comme nous les nommâmes par la suite…

Nathalie, les joues rougies d’excitation, me précéda dans la salle à manger. J’entendis son rire surpris qu’elle avait du mal à contenir.

Hé, monsieur le chasseur ! Vous me voyez bien dans l’embarras… Je dois mener mon troup…

J’imaginai son air courroucé, les poings sur ses hanches quand elle s’interrompit pour tancer le Toine « Descessa de rire, Toinou ! »

… je dois mener mon troupeau et j’ai perdu ma badine… Ah… si seulement une bonne fée venait à passer par là…

J’improvisai un petit pas sauté, ouvrant les bras comme je l’avais vu faire une fois, dans mon enfance, quand j’avais assisté à un spectacle à Montchaton.

Ai-je bien entendu ? Une bergère m’aurait appelée à son secours ?

Bien que je l’aie toujours nié, je dois reconnaître que mon Pierrot était bien ridicule dans cette tenue de chasseur d’opérette, les bras ballants, la bouche grande ouverte et le regard ahuri, mais je n’en laissai rien paraître.

Mais, petite étourdie, qu’as-tu fait de ta badine ?

Je l’ai égarée, Madame la Fée… sauriez-vous la retrouver ?

Hélas… je ne le puis, mais si tu suis mon conseil, tu en feras apparaître une autre…

Je fis semblant de lui chuchoter un secret à l’oreille, tout en l’aidant à dénouer son corsage, sa poitrine en jaillit, conquérante. Faisant mine de vouloir la faire pigeonner, je la caressai, sachant l’effet que mes gestes produiraient sur Pierrot et aussi sur Toine.

Voilà qui est fait ! Que cette journée te soit douce, jolie bergère !

Nathalie fit semblant de chercher du regard…

Mais… bonne Fée… je ne la vois point !

Ouvre grands tes yeux, jolie bergère et regarde !

Déboutonnant Pierrot, lui arrachant presque ce pantalon ridicule, je désignai son sexe gonflé, tendu, dressé. Nathalie, jouant la surprise, s’approcha de lui, s’agenouilla, le caressa du bout des doigts, comme si elle le découvrait.

Mais quelle étrange badine… si douce… si chaude… comme vivante… je n’en ai point vu de semblable de toute ma vie ! Quelle étrange badine…

Jolie bergère, apprends qu’on l’on doit la nommer…

Je me retournai pour regarder Toine droit dans les yeux

… que l’on doit la nommer « verge »

Toine ne put empêcher ses joues de s’empourprer, mais se reprenant aussitôt, il m’adressa un clin d’œil complice.

Comment l’appelez-vous ? « Vierge » ?

Mais non ! « VERGE » ! Et regarde, jolie bergère, ces deux jolis fruits ne sont point des grelots, il faut les dorloter, les caresser, en prendre grand soin, sinon la verge se brisera.

Oh, ce serait tellement dommage…

Nous caressions le sexe de Pierrot, qui semblait paralysé de plaisir, prises nous-mêmes par ce jeu qui avait commencé comme une farce et qui nous tournait désormais la tête.

Oh ! Regardez, madame la Fée, la verge a du chagrin…

Le sexe de Pierrot commençait à perler, je notai les contractions de ses cuisses, je me demandai à quoi il se forçait à penser pour retenir l’éjaculation qui menaçait de mettre fin à cette saynète que nous jouions avec tant de plaisir.

Jolie bergère, elle n’a pas de chagrin, c’est sa façon de réclamer le baiser auquel elle a droit… regarde, il faut l’apaiser ainsi…

Du bout de mes lèvres, je frôlai le gland gonflé de désir, d’excitation. Nathalie me rejoignit dans ce baiser, nos langues jouaient ensemble dans des baisers sensuels. Pierrot, voulant repousser nos bouches pour ne pas jouir trop vite, fit voler ma couronne de fleurs qui atterrit sur les genoux de Toine. Son geste avait été trop brusque pour mon « chignon à la sauvage », en me relevant pour récupérer ma couronne, mes cheveux reprirent leur liberté. Faisant mine de remarquer la présence de Toine, je le houspillai.

Ce n’est pas amusant, monsieur le captif ! Cessez donc de rire !

Mais je ne ris pas, madame la Fée, je ne faisais que sourire…

Le traitant de menteur, je giflai ses cuisses de ma couronne qui se délita davantage à chaque coup porté. Les fleurs parsemaient le sol, ses cuisses, telle une furie, je me servis de mes cheveux pour le souffleter. Ses yeux me hurlaient son plaisir, sa respiration saccadée, tantôt profonde, tantôt haletante me criait son désir.

Viens par ici, jolie bergère, que je t’apprenne un nouveau mot.

Nathalie vint me rejoindre, je lui désignai le sexe de son Toinou, elle fit mine d’être surprise, un peu effarouchée par sa taille, je l’invitai à le toucher, à en éprouver la dureté en serrant sa main autour.

Vois-tu, quand une badine a cette apparence, on ne la nomme ni « badine », ni « verge », mais on l’appelle « houssine » et ne va pas t’en servir pour mener ton troupeau, elle est bien trop dure et bien trop effrayante pour de craintives brebis…

Mais que fait-on quand on la rencontre ?

On la masque à la vue du troupeau !

Et je m’empalai d’un coup sec. Toine ne put contenir un cri de surprise agrémentée de plaisir. Je fis quelques mouvements, sous les commentaires de Nathalie, quand Pierrot se rappela à notre bon souvenir « Je croyais que nous devions le punir… », j’échangeai un sourire complice avec Nathalie et semblant reprendre mes esprits comme on sort d’un songe, je me levai brusquement « Mais où avais-je la tête ? Tu as raison, Pierrot, laissons le moqueur à sa moquerie ! » et nous le rejoignîmes.

Allongé sur le sol, sa verge enfoncée en elle, les mains comblées de Pierrot caressaient les seins de Nathalie. Pour que la punition soit totale, j’entrouvris les pans de ma tenue de fée, dévoilant la blondeur de ma toison au regard de Toine, qui ne pouvait ni la toucher, ni l’embrasser. Entravé comme il l’était, il ne pouvait pas se caresser, il se plaignit maintes fois que son érection était douloureuse, mais nous restâmes sourds à ses supplications tant que nous n’eûmes pas joui les uns des autres.

Alors, nous consentîmes à le libérer, il me pénétra comme j’aimais tant qu’il le fasse « un coup pour la fée » il sortit aussitôt, attrapa Nathalie, la pénétra à son tour « un coup pour la bergère », avant de recommencer « un coup pour la fée ». Nous gémissions, nous criions de plaisir, il recouvrait le corps de Nathalie de mes longs cheveux quand le clocher de l’église sonna la fin de la récréation. Il était convenu que Nathalie rentrât chez elle après les vêpres, c’était l’unique condition pour qu’elle puisse passer le dimanche avec nous… et manquer les offices.

Ce dimanche-là, comme cela arrivait de plus en plus souvent, Pierrot passa la nuit avec moi, nous riions encore, ivres du bonheur de cette journée, quand le sommeil nous prit.

Le lendemain, sur la table qui me servait de bureau, je trouvai un recueil de pièces de Shakespeare. Toine était allé à la mairie, à tout hasard et y avait trouvé cet exemplaire. En guise de marque-page, une carte sur laquelle il avait dessiné une bergère pensive, qui ressemblait fort à Nathalie, sous son dessin, pour toute légende « Il y a des choses que je ne m’explique pas ». Je souriais et en tournant la carte, cet autre dessin sans aucune légende, puisqu’elle eut été inutile, un petit chat songeur, qui semblait attendre on ne sait quoi.

De cette première lecture, que je fis dès le mardi soir, je me souviens avoir noté dans mon journal intime, cette citation qui nous ressemblait tant « Les amoureux et les fous ont des cerveaux bouillants, et l’imagination si fertile qu’ils perçoivent ce que la froide raison ne pourra jamais comprendre. »

Décembre 1919, Rosalie retourne chez Marie-Louise et la journée se terminera sur la plus belle des perspectives. (Si ça ne vous donne pas envie de cliquer sur le lien, c’est à désespérer de tout ! ;-)  )

Même si elle ne fut pas académique, telle fut notre initiation à l’art théâtral

Le cahier de Bonne-Maman – À la Sainte-Reine, sème tes graines

Nathalie arriva chez moi dès le samedi soir, elle était si excitée à l’idée de voir toutes ces tenues, ces pièces de tissus que j’avais rapportées qu’elle n’avait pas eu la patience d’attendre jusqu’au dimanche matin. Quand je lui avais raconté ce qui m’était arrivé, ce jeudi, j’avais évoqué en deux mots l’idée « de nouveaux jeux, de nouvelles figures ».

Ouh fan… ! Il y en a combien en tout ? !

Je ne sais pas ! J’ai attendu que tu viennes pour ouvrir la malle et les compter avec toi ! Et puis… regarde… tu as vu ? Il y a même des costumes pour Pierrot et Toine ! Ils ne sont pas tout à fait à leur taille, mais on pourra arranger ça, non ?

Nathalie dansait avec un costume de bergère posé contre son corps. Nous riions comme des fillettes ravies de cette bonne aubaine, quand une idée surgit « et si nous faisions une surprise à nos amoureux ? »

Depuis que j’y demeurais, nous nous retrouvions tous les quatre dans la maison, chaque dimanche à 9 heures. Munies d’un panier de victuailles, notre costume sous nos robes, Nathalie et moi nous mîmes en route avant le lever du jour, pour ne pas prendre le risque d’être vues. Nous improvisant stratèges, nous fîmes même un grand détour, évitant ainsi de passer devant la ferme de Pierrot et celle de Joli Coquelicot.

Avant notre départ, nous avions laissé ce quatrain, bien en évidence sur la grande table

Il se dit que, près d’une certaine source,
À la Sainte-Reine, quelques jeunes fées
Par l’été assoiffées, s’y retrouvent pour se désaltérer
Alors, messieurs, venez les y rejoindre… et au pas de course !

Arrivées dans cette forêt au sol rocailleux, nous ôtâmes nos robes, et les rangeâmes près des paniers, que nous cachâmes dans une sorte de petite grotte où régnait une fraîcheur fort agréable. L’été avait été déroutant, au froid relatif avait succédé une période de forte chaleur, les arbres en semblaient déboussolés, les branches de certains étaient déjà presque nues tandis que d’autres arboraient encore un feuillage tout printanier.

Sur les conseils de Nathalie, j’avais détaché mon chignon et elle avait longtemps brossé mes longs cheveux, les rendant vaporeux, féeriques… Elle portait les siens déjà beaucoup plus courts, mais tandis que je la coiffais, je fus saisie par sa beauté particulièrement éclatante ce matin-là.

Nous riions beaucoup, plaisantant en les attendant, nous taquinant aussi, nos caresses étaient tendres, nos baisers aussi. Nous aimions depuis longtemps faire l’amour ensemble, mais c’est ce jour précis, à l’ombre de ces arbres centenaires, près de ce filet d’eau qui chantait, que l’évidence nous sauta à la figure.

Nous avions longtemps cru que la part sexuelle de notre relation avait été un pis-aller pendant l’absence de Toine et de Pierrot, ensuite, nous savions qu’elle les excitait. Ils aimaient nous voir faire l’amour et nous aimions leur offrir ce spectacle, mais en ce matin, alors qu’ils allaient bientôt nous rejoindre et que nous étions seules, nous dûmes nous rendre à l’évidence. Nous nous aimions pleinement, nous nous aimions tout simplement. Loin de nous troubler, cette révélation nous apporta une force, une sérénité supplémentaire.

J’aimais sentir mon corps vibrer sous ses caresses, j’aimais sentir le sien vibrer sous les miennes. La douceur de sa peau, la plénitude de ses seins, les aréoles plus brunes, plus larges que les miennes, cette petite ligne cuivrée joliment dessinée, qui courait de son nombril vers son pubis à la toison brune, comme pour guider mes baisers… sa bouche, ses yeux, ses mains… Oh oui, j’aimais et je désirais son corps avec autant de fougue que celui d’un homme !

Elle me faisait l’amour d’une façon incroyable, en me disant que c’était tellement facile. Je la comprenais. Nos corps ne se contentaient pas de réagir aux caresses, aux baisers, aux griffures, aux morsures, ils indiquaient ce dont ils avaient soif, comme s’ils nous criaient « Ici ! Comme ça ! Encore ! Plus fort ! Moins fort ! Encore ! Encore ! Oui ! Comme ça ! »

Je n’ai, nous n’avons jamais cherché à savoir ce que je, ce que nous préférions, les plaisirs étaient différents, mais pourquoi vouloir les hiérarchiser ? Comment comparer ce qui est incomparable ? La question est tout aussi ridicule que si l’on me demandait si je préfère l’aïoli à la tarte aux pommes ! Ce qui compte, n’est-ce pas le moment, la puissance de l’abandon au plaisir ?

Il n’était guère plus que dix heures quand nous entendîmes des pas lourds écraser des brindilles, des voix d’hommes se répondre. Un dernier baiser rien que pour nous et nous rejoignîmes notre cachette. Oh ! Le terme « cachette » est bien exagéré puisque nous n’avions qu’un désir, un désir ardent, celui qu’ils nous trouvassent !

Ça y est ! Je les vois !

Nathalie et moi sursautâmes, étonnées d’entendre la voix de Bouche Divine, ainsi, Pierrot et Toine étaient venus avec des comparses… Nous avions prévu de faire semblant d’être effarouchées et de nous égailler en poussant des petits cris suraigus pour qu’ils nous courent après. Mais, paralysées par la surprise, nous ne pûmes que tourner nos visages vers eux.

Quand mon regard croisa celui de Bouche Divine, je pris conscience qu’il était le plus jeune des villageois partis combattre. Il ressemblait à un enfant émerveillé. Je me levai, fis semblant de me réfugier derrière un arbre, mais de l’index, l’invitai à s’approcher de moi.

De son côté, Toine invita Barjaco à succomber aux charmes de Nathalie et recula d’un pas. Aux côtés de Pierrot, les bras croisés, ils observaient la scène, amusés, comme pour nous dire « à malin, malin et demi ».

Offre-moi un de tes divins baisers, jeune homme…

Après une seconde d’hésitation, il entra dans le jeu que je lui proposai. Un baiser sur mon front, un second à la naissance de mon cou. De ses mains artificielles, il dénoua le ruban qui retenait les pans de ma robe. Je lus dans ses yeux qu’il avait peur de me blesser en faisant jaillir mes seins dont il ne pouvait sentir la fragilité, j’accompagnai donc son geste et lui volai le baiser suspendu à ses lèvres.

Une fois de plus, la douceur, la fougue de ses lèvres, la tendresse et l’habileté de sa langue me transportèrent loin de la réalité. Sa bouche se promena le long de mon cou, fit un détour par mes épaules. J’aurais voulu avoir la force de la diriger sur mes seins, mais je n’en étais déjà plus capable…

Quand enfin sa langue les caressa, qu’il me dit, rougissant « on dirait deux petits boutons de roses prêts à éclore », une vague de bonheur me submergea et mon désir enfla comme un torrent à la fonte des neiges. Je lui arrachai ses vêtements plus que je ne le dévêtis, sans prendre garde aux lanières de cuir qui ceinturaient son buste. Plus tard, bien plus tard, il m’avoua que mes gestes ce matin-là lui avaient rendu sa « normalité ».

Je m’agenouillai devant lui, comme j’aurais aimé avoir son don, rien qu’une fois, son merveilleux don… ! Adossé à cet arbre, il criait pour la première fois son plaisir, m’encourageant, me guidant, me remerciant, m’encourageant encore, émerveillé de sentir ma langue, ma salive inonder son sexe…

À sa demande, je le laissai s’allonger et m’allongeai sur lui. Sexes contre bouches, nous étions seuls au monde. Je me sentais comme un bateau en papier que je ne pouvais diriger au milieu d’un océan de plaisir, à la merci de ses vagues. Quand il arracha sa bouche à mon sexe, je fus propulsée dans la réalité, dans cette clairière ensoleillée, entourée des personnes que j’aimais le plus au monde.

Je voudrais regarder tes jolis seins danser au rythme de mes coups de reins…

Dans la précipitation du départ pour cette escapade imprévue, il avait oublié de prendre sa « capote réglementaire » comme nous nous amusions à les nommer. Barjaco était en train de se servir de la sienne avec Nathalie. Les rouages de mon cerveau tournèrent à toute vitesse. Il ne souffrait d’aucune maladie vénérienne, les anglais débarqueraient le mardi suivant… Le désir prit le pas sur la raison, je m’accroupis au-dessus de son sexe dressé comme s’il voulait défier les cieux…

Et moi, je voudrais que tu n’oublies jamais cette sensation…

Le plus lentement que je pus, je me pénétrai de lui, m’émerveillant de son émerveillement, m’enivrant de l’ivresse de ses sens… Oubliant un instant ses mutilations, il tendit ses prothèses vers mes seins. Une ombre de désespoir assombrit son regard, comme un nuage masquant le soleil. Je la chassai en frottant mes petits globes doucement sur elles. Écartant ses bras, il me demanda de le caresser « encore une fois… comme l’autre fois ». Je me penchai, en profitai pour lui quémander un long baiser.

Le premier fut bref, interrompu par « Ta langue à le goût de m… »

Moi, je l’aime ce goût ! Pas toi ?

Un long baiser et il explosa au fond de moi, mais je restais maîtresse de mes mouvements, je l’empêchais de sortir de tout le poids de mon corps sur le sien. Lors de « l’amicale des anciens combattants », j’avais constaté à quelle vitesse son membre reprenait de sa vigueur. « Regarde la Nathalie ! Aimes-tu la regarder prendre du plaisir autant que j’aime la regarder ? Sens-tu comme ça me chauffe les sangs ? Et quand je vois mon Pierrot et le Toine… regarde comme ils bandent ! » L’effet fut immédiat, je sentis son sexe durcir, malgré l’éclat de rire que lui arrachèrent les commentaires de Barjaco

Boudie ! Baiser ton petit con en pleine nature… espinchouner l’autre coquine… et ton cul qui danse… Ô fatché, sens… ça me fait venir ! »

Je regardais Bouche Divine, le reflet de ses yeux, son sourire, sa poitrine qui se soulevait comme pour s’emplir de tout ce bonheur, de tout ce plaisir… J’allais me pencher pour l’embrasser encore quand Nathalie, d’une bourrade, m’en empêcha.

À mon tour de profiter de tes baisers !

Me faisant face, elle s’assit presque sur sa bouche, poussant un cri de plaisir à son contact. Le sexe de Bouche Divine sembla doubler de volume et de dureté. Nathalie appela Toine et Pierrot qui firent mine de ne pas vouloir approcher davantage. Elle minaudait, faisant pigeonner sa magnifique poitrine, relevant puis agitant sa superbe chevelure brune, fit la moue, mais rien n’y faisait, ils ne bougeaient pas d’un centimètre. Que j’aimais leurs sourires complices, taquins, amusés !

Je me penchai vers elle, lui murmurai à l’oreille « Ils ne résisteront pas à ça… » et je l’embrassai, lui caressai le corps. Ses mains glissèrent de la même façon le long du mien, elle savait me faire frémir quand sa main glissait de mon ventre au bas de mon dos. Une décharge de plaisir me foudroya quand du dos de sa main, elle effleura le creux de ma taille.

Bouche Divine semblait aux anges, masqué par le corps de Nathalie, je ne pouvais le voir, mais j’entendais ses grognements de plaisir et je sentais son sexe toujours plus dur, toujours plus puissant.

Toine et Pierrot nous accusèrent de ne point être des fées, mais de diaboliques sorcières et vinrent enfin à nos côtés. Pour être exacte, Toine derrière mon dos, agenouillé, me caressait les seins, le ventre, ses doigts rejoignant ceux de sa fiancée. Pierrot, sur le côté gauche de Nathalie, lui aussi à genoux, faisait de même avec les miens.

Barjaco, resté quelques instants muet de surprise, s’exclama « Oh, mais vous me faites rebander, sacrées coquines ! Oh malheur ! Il faut me calmer le feu ! » Il approcha son sexe épais de ma bouche, je léchai un peu son gland, mais j’avais encore envie des baisers de Nathalie, je le délaissai le temps de l’embrasser. Elle me fit un clin d’œil

Hé Barjaco, tu préfères ma bouche ?

Elle le suça un peu…

Ou celle de ma Rosalie ?

Et me laissa faire. Barjaco en bégaya de surprise. Une pichenette sur mon épaule, Nathalie regarda son Toine, comprit, lui sourit, avant de poursuivre

Ho Barjaco, ne me dis pas…

Et nous entreprîmes de le sucer en même temps, excitées par ses exclamations de plaisir.

Je sentis les doigts de Toine glisser dans ma toison « Tu veux jouir de mes doigts, Bouton d’Or ? » À sa question susurrée à mon oreille, je répondis en rejetant ma tête en arrière, comme si j’avais voulu offrir mon visage aux caresses du soleil et lui caressai le corps de mes longs cheveux, il me mordit un peu l’épaule avant de m’offrir un orgasme radieux comme un sourire complice.

Ho, petite… !

Sans laisser à Barjaco la possibilité de se plaindre, je léchai, d’une langue gourmande, la hampe de son sexe, avant de retrouver celle de Nathalie sur le bout de son gland.

Boudie ! Regardez ce que vous m’avez fait faire !

Nos joues éclaboussées de son sperme, nous riions quand Nathalie fut secouée d’un spasme violent. En s’affaissant sur le côté, elle libéra le visage de Bouche Divine, qui hurla son plaisir à en déraciner les arbres alentour.

Pierrot me prit dans ses bras « On leur montre la figure Rosalie ? ». Nous l’exécutâmes avec une grâce folle, comme un ballet dans le plus beau des opéras.

Barjaco et Bouche Divine nous dirent au revoir, ils ne pouvaient manquer le déjeuner dominical et il était déjà presque une heure de l’après-midi. Déjà repus de plaisir, nous déjeunâmes tous les quatre, les pieds barbotant dans l’eau fraîche de cette source.

Nous étions sur le chemin du retour quand je leur parlai de la malle pleine de vêtements, de tissus que m’avait offerte Marie-Louise. Taquin, Toine me demanda si parmi eux, il y avait un costume du Petit Chaperon-Rouge « avec son petit pot de beurre ». J’éclatai de rire en faisant mine de vouloir le boxer.

De retour dans sa maison, Rosalie décide de montrer à Pierrot et à Toine les trésors contenus dans la malle que lui a offerte Marie-Louise

Le cahier de Bonne-Maman – « Jouis, il n’est pas d’autre sagesse ; fais jouir ton semblable, il n’est pas d’autre vertu »

Pendant cette année 1919, nous fîmes, Nathalie et moi, la connaissance de presque tous nos partenaires. Certains ont cessé de nous rencontrer après leur mariage, après la naissance d’un enfant ou après un deuil, mais tous ont gardé secrets nos ébats et aucun ne nous a jamais manqué de respect.

Pour autant, n’allez pas vous imaginer que notre vie sexuelle se limitait à ces orgies ou à une accumulation d’amants. Certes, nous aimions nous étourdir dans ces soirées, mais ce que nous aimions par-dessus tout, c’était de jouir de nos corps en toute liberté, de ne pas rougir de nos envies. Quand on est intimement convaincu que la vie s’achève avec la mort, qu’il n’y a rien après, ni paradis, ni enfer, on profite de chaque instant, malgré les contingences, malgré les souffrances et on est plus attentif aux autres, plus ouvert. En tout cas, c’est ainsi que nous étions, que nous sommes toujours.

Un matin de septembre, alors que je reportais des écritures comptables sur le grand registre du père de Toine, je sentis son regard lourd d’embarras se poser sur moi. Je travaillais sur une table installée dans son bureau, je levai la tête, il m’expliqua ce qui le tracassait.

Un de ses plus anciens clients, un riche propriétaire terrien, avait une fille qui avait fait un « mariage d’amour » quelques années avant la guerre. Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, la plupart des mariages étaient dits « de raison », quelle que fût l’origine sociale des époux. Par la suite, surtout dans les familles avec du bien, cette tradition a perduré, perdure encore. Le berger qui épouse la princesse, ou inversement, est un mythe que la littérature a contribué à distiller dans nos esprits, s’il est très plaisant à imaginer, il est cependant fort éloigné de la réalité.

Quoi qu’il en soit, cette jeune fille avait épousé un jeune homme, de son milieu, mais qu’elle avait choisi. Ce qui me permit de comprendre immédiatement l’amour que lui portaient ses parents. La veille, le père de Toine avait eu un rendez-vous chez ce client, dont le gendre devait reprendre laffaire. S’étonnant qu’il ne participât point au rendez-vous, l’homme lui expliqua

Il est en crise, je ne sais pas combien de temps elle durera… Je crains qu’il ne me faille revendre mon affaire… Les mois passent, rien ne change. Les drogues n’ont plus d’effet sur lui et quand il les prend, on dirait un fantôme… Il effraie ses enfants à crier comme un possédé… Il leur fait honte à sangloter comme une fillette… Et puis, tout semble rentrer dans l’ordre… Jusqu’à la crise suivante. On ne peut jamais savoir quand elle va débuter, ni combien de temps elle durera…

Je regardai le père de Toine et lui demandai

Vous voudriez savoir si je pourrais lui apporter mon aide ?

Non ! Enfin… si… mais… ce que tu fais avec Antoine, ce que Nathalie fait avec Pierre, ce que vous faites avec les autres, ceux du village, tu ne pourrais le faire avec lui… Comprends-tu, il demeure à plus de cinquante kilomètres… comment pourrais-tu t’y rendre si une crise se déclenchait au milieu de la nuit ?

Avant qu’il n’ait fini d’exposer le fond de sa pensée, je lui proposai de rencontrer cet homme et son épouse pour tenter de leur expliquer comment nous procédions. Il me sourit, soulagé, me remercia chaleureusement et termina par cette boutade

Je louerais bien notre Seigneur de t’avoir mise sur notre route, mais puisque tu ne fréquentes pas plus l’église que mon fils, je craindrais de heurter tes convictions !

Au village, seules trois personnes possédaient le téléphone. Le père de Toine était l’une d’elles. Il appela son client, lui parla de moi et lui fit part de ma proposition. La crise avait été plus violente que d’ordinaire, il avait fallu appeler le médecin en pleine nuit, qui lui avait fait une piqûre, avait évoqué la nécessité de le mettre chez les fous, ce que sa fille avait fermement refusé, pour le moment, son gendre dormait encore, mais je serais la bienvenue quand je souhaiterai venir parler à sa fille.

Le père de Toine n’était pas homme à tergiverser. C’est ainsi qu’une demi-heure plus tard, nous nous mettions en route. J’aimais beaucoup me déplacer en automobile à ses côtés. Je découvrais des villages, des villes que je ne connaissais que de nom et il avait toujours une histoire à me raconter à leur propos, quand il ne me parlait pas d’un client. Nous arrivâmes au milieu de la matinée et nous fûmes accueillis par ce patriarche à l’air sévère, je ne me l’étais pas du tout imaginé ainsi. Il fit appeler sa fille qui nous rejoignit immédiatement. Je demandai à lui parler en tête à tête et la suivis dans ses appartements, à l’étage.

Cette femme était mon aînée de quinze ans, pourtant avant même d’avoir parlé avec elle, je sus le respect que je lui inspirais et la confiance qu’elle me faisait. Elle entrouvrit la porte de sa chambre et je pus observer son mari s’agiter dans son sommeil.

Quand il est ainsi, je sais que la crise n’est pas finie…

Sa voix était étranglée de sanglots. Je me demandais si elle serait assez forte pour supporter l’horreur des souvenirs de son époux. Nous étions dans l’antichambre, elle s’apprêtait à refermer la porte quand je lui demandai « Avez-vous un mot, un geste secret qui le rend particulièrement… amoureux ? »

Quelle sorcière étais-je donc, moi, la gamine pas même mariée, pour connaître l’existence de tels gestes, de tels mots entre un mari et sa femme ? Sa détresse était plus grande que la bienséance, elle eut un sourire contrit, le rouge lui monta aux joues, je l’encourageai du regard, s’en excusant presque, elle me souffla

Un baiser sur ses doigts… un certain… baiser… sur ses doigts

Il s’agita davantage.

Allez à ses côtés, rassurez-le en lui disant que vous êtes près de lui, qu’il est à l’abri, dans sa maison et… embrassez-lui les doigts !

Elle fit comme je venais de le lui conseiller, je souris en la regardant embrasser les doigts de son époux. Pourquoi m’étais-je imaginé un doux baiser pudique ? Parce que son univers était pétri de convenances bourgeoises ou parce que je n’avais jamais pensé que nous étions mus par les mêmes émotions ?

Elle embrassait l’index et le majeur de son mari comme on taille une pipe, n’interrompant son baiser que pour lui dire « Je suis là… tu es revenu ». Il paraissait s’apaiser, d’un geste de la main, d’un hochement de tête, j’encourageai cette femme à continuer. Oubliant ma présence, ou feignant de l’oublier, ses baisers se firent plus précis, je regardais, fascinée, sa bouche s’ouvrir, aller et venir, le bout de sa langue titiller la petite peau entre l’index et le majeur, avant de s’enrouler autour des doigts. Soudain, la magie opéra tout à fait. Les doigts de l’endormi se mirent à jouer avec les lèvres de son épouse, il sourit enfin dans son sommeil « Tu es revenu et je suis là ! »

Comme si on avait arraché un masque tragique, je vis le visage de cet homme changer du tout au tout. Quand il glissa hors du sommeil, quand il prit conscience de ma présence, ce fut comme s’il me connaissait déjà. En quelques mots, il comprit la raison de ma venue et m’en remercia, mais demeurait incrédule. Comment une gamine pourrait supporter l’évocation de ses souvenirs ? Avec douceur, mais avec fermeté, avec patience, je lui parlai d’autres anciens combattants qui venaient me livrer les leurs au village, je le rassurai en lui affirmant que les mots crus ne m’effaroucheraient pas et puis, ce n’était que pour cette fois « pour amorcer la pompe » ensuite, s’il le souhaitait, il pourrait se livrer à son épouse.

Je m’isolai avec lui, dans ce qui devait être son bureau, pendant que sa femme patientait dans son boudoir. Je n’avais jamais vu une telle propriété, plusieurs appartements dont chacun devait être plus vaste que ma maison toute entière ! Je n’étais pas envieuse, mais très surprise de constater, de visu, cette différence.

Charles, puisque c’est ainsi qu’il se prénommait, évoqua les cris, la boue, l’odeur de la mort, celle de la merde, l’odeur de la peur, le froid, l’humidité, le bruit, le silence angoissant qui précède l’assaut. Enfin, après presque une heure de confidences, cette vision qui venait le hanter, surgissant à l’improviste, parfois dans son sommeil, parfois alors qu’il était éveillé. Ce traumatisme qu’il ne parvenait pas à surmonter. Il suffoquait, son corps entier toujours bouleversé par ce qu’il avait vécu.

Monté à l’assaut avec plusieurs hommes, un obus les avait ensevelis, il ne savait pas combien de temps il était resté ainsi, couvert de terre, sans pouvoir bouger, sans savoir s’il était debout ou couché, la tête vers le ciel ou enfoncée dans le sol, mais avec la certitude qu’il allait mourir asphyxié, personne ne viendrait les sauver, personne ne saurait où ils étaient, ils allaient mourir là, oubliés de tous, sans avoir dit adieu aux êtres chers. Un autre obus souleva la terre et le projeta dans les airs, quand il réalisa qu’il s’en était sorti vivant, plus contusionné que blessé, il éclata de rire, soulagé, avant de s’apercevoir qu’il était entouré de cadavres et que plusieurs de ses compagnons demeuraient ensevelis. Il a creusé longtemps, priant de tout son cœur pour un miracle qui ne s‘est jamais produit.

Les larmes inondaient son visage, je lui demandai s’il voulait répéter à sa femme ce qu’il venait de me raconter ou s’il préférait que je le fasse. J’estimais qu’il était important qu’elle connût la raison des cris de son époux. Pour achever de le convaincre, je lui affirmai que l’ignorance était bien plus douloureuse que la réalité. Il l’appela, je la fis asseoir aux côtés de son époux et je débutai le récit, une respiration plus ample et saccadée m’indiqua qu’il ressentait dans sa chair ce que j’expliquais. Je demandai à Marie-Louise, puisque c’était son prénom, de se tenir prête. Elle lui suça les doigts quand Charles s’enfonça dans l’horreur et Charles revint à lui.

Comment vous remercier ? Vous le sauvez de l’asile, savez-vous ? Nous vous serons éternellement reconnaissants !

Je vous ai donné la méthode que j’applique, rien de plus ! Mais je sais que vous n’en avez pas fini avec les cauchemars, avec les cris, les crises de votre époux… Si vous le souhaitez, si vous en avez besoin, n’hésitez pas à me faire signe, j’essaierais de vous aider avec mes faibles moyens…

Une cloche retentit. Il était temps de passer à table. Ne vous moquez pas, mais en redescendant vers la salle à manger, aux côtés Charles et Marie-Louise rayonnants, le sourire et le regard plein de fierté du père de Toine fut ma plus belle récompense.

Le repas fut joyeux comme l’étaient ceux de la bourgeoisie de l’époque, point d’éclats de rire, point de plaisanteries, mais des sourires polis, des « je vous en prie » prononcés avec légèreté, des considérations sur les mets, sur les vins, sur la douceur de cette fin d’été, sur l’odeur des fleurs. Je n’en fus pas surprise, le père de Toine avait souvent évoqué cette particularité quand je demeurais chez lui et que nos conversations s’animaient ou que nous riions un peu trop fort lors des repas.

Après le déjeuner, pendant que les hommes buvaient une eau-de-vie digestive, Marie-Louise et sa mère me proposèrent de profiter de l’ombre de la tonnelle pour me détendre un peu avant de reprendre la route. De nouveau, elles me remercièrent, me demandèrent comment me rendre la pareille. Je n’en savais fichtre rien ! Pour couper court à la discussion, je leur désignai les superbes rideaux qui ornaient les vitres du « salon d’hiver », leur demandant si elles pouvaient m’indiquer où acheter un tissu semblable qui me permettrait d’en confectionner pour habiller les fenêtres de ma future maison.

Sans le savoir, j’avais tapé dans le mille ! Elles étaient toutes deux passionnées de spectacle, d’opéra, de théâtre et leur marotte était de recréer les décors et les costumes pour rejouer des extraits de leurs œuvres favorites. Au fil des ans, tout ceci s’était accumulé dans une réserve. Marie-Louise était certaine qu’il restait des coupons de ce tissu, ou d’un autre similaire.

Souhaitez-vous m’y accompagner ? Vous pourriez faire votre choix et je serais si heureuse de savoir qu’il y a un peu de mon univers chez vous !

Quand je découvris la réserve, je devais ressembler à Ali-Baba voyant pour la première fois les trésors de la caverne ! Je ne savais où poser mon regard ! Tant de jolis objets, de costumes chatoyants ! Marie-Louise m’invita à essayer une robe, puis une autre, ravie comme une fillette qui joue avec sa poupée. Nous étions, à peu de choses près, bâties sur le même gabarit, « Il y aurait si peu de retouches à faire… je vous en prie, prenez celles-ci ! »

Sur le trajet du retour, le père de Toine plaisanta à propos de la malle remplie de tissus et de costumes qu’il avait dû arrimer à l’arrière de l’auto.

Mais que vas-tu faire de tout ce fatras ?

J’ai ma petite idée, mais promettez-moi de n’en parler à personne. Je voudrais faire une surprise à mon Pierrot et à votre fils…

Il rit de plus belle, mais tint sa promesse. En chemin, il fit un détour pour me permettre de parler à Nathalie, à qui je demandai d’arriver une bonne heure avant Pierrot et Toine lors de notre prochain rendez-vous dominical. Une fois encore, nous étions amusées, excitées et complices sans avoir eu besoin de mots supplémentaires.

Ce soir-là, comme ça ne m’était pas arrivé depuis plusieurs semaines, je dînai chez les parents de Toine, qui me raccompagna chez moi après le repas. Voulant me taquiner, il me dit

Alors, Bouton d’Or, comme ça, tu es passée à l’ennemi ? Tu réconfortes ces salauds de bourgeois ?

Piquée au vif, je lui répondis

J’ai soulagé un être humain, son épouse. Si pour toi, c’est « passer à l’ennemi », alors oui, je suis passée à l’ennemi et j’en suis fière !

Avant de me dire au revoir, il remarqua mon front plissé.

Ho ! Que t’arrive-t-il, Bouton d’Or ? Je t’aurais blessée en voulant te taquiner ?

Je balayai ses craintes d’un revers de la main.

Parfois, tous ces souvenirs que je n’ai pas vécus semblent m’envahir et prendre possession de mon cerveau… Ce n’est rien… un mauvais moment à passer…

Il entra avec moi, me demandant comment il pourrait m’aider.

Je ne sais pas… ou alors… peut-être que…

Angelo Asti femme blonde assise
Angelo Asti

Je me dévêtis, m’assis sur le sofa et lui demandai de poser sa tête sur mes cuisses. Sans un mot, nous passâmes une partie de la soirée ainsi, son regard perdu dans ma toison et ses doigts qui en lissaient les poils. Mes mains caressant ses cheveux, je laissais couler des torrents de larmes sur mes joues.

Fais-moi… tu aurais envie de jouir… là… maintenant ? Rien que toi et moi ? Tu aurais envie qu’on jouisse ensemble ?

Ho, Bouton d’Or ! Tu me poses la question ? Si je retire mon pantalon, je vais me crever un œil tellement je bande !

Des sanglots dans mon éclat de rire, je l’aidai à se déshabiller « en prenant garde à tes yeux ! » Il me prit dans ses bras et m’invita à danser avec lui, mon corps nu collé au sien, nous valsions dans le silence de la pièce.

J’aime quand tu me fais danser, Toine !

J’aime te faire danser, Bouton d’Or ! Et tu sais pourquoi ?

Non ! Pourquoi ?

Parce que tu connais le secret de cette danse, jolie Normande

Le secret ? Mais quel secret ?

Il me fit tourner dans un sens, puis dans un même mouvement dans l’autre.

Ma belle, tu valses aussi bien à l’envers qu’à l’endroit !

Comme tout le monde, non ?

Mais non ! Justement pas ! Oh… quand tu souris comme ça… laisse-moi faire…

Continuant à me serrer contre lui, d’une main, il retira les épingles, les peignes qui maintenaient mon chignon en place. Je sentis mes cheveux couler sur mon dos, comme si c’était de l’eau.

À ton tour de te laisser faire…

Je m’agenouillai devant lui, enroulai une mèche de mes cheveux blonds autour de son sexe, Toine était émerveillé. D’autant plus que la faible lumière de la lampe à pétrole conférait à la scène une ambiance féerique, presque irréelle.

Ho, Bouton d’Or ! Mais que fais-tu ?

Je léchais son sexe au travers de mes cheveux

Si tu savais comme j’aime le goût de ta verge…

Fais-moi plaisir, Bouton d’Or, pour une fois dis-moi « ta grosse queue » au lieu de « ta verge » !

Je préfère le mot « verge » quand je parle de la tienne

Et pourquoi… donc… ooh… oui… comme ça… avec tes cheveux… dorés… Et pourquoi donc ?

Parce que par chez moi… hummm… comme j’aime son goût… chez moi… quand on… hmm… fesse un gamin… hmm… on dit… hmm… qu’on lui… assène… des coups… de verges… et…

Ho, Bouton d’Or… tu me… mets à la tor… oohh… à la… torture… et ?

Sentir le… contact de ta… verge sur mes… fesses… oohh… si tu savais…

Voulant être certain de bien comprendre ma raison, il me releva, d’un mouvement de l’index sous mon menton, il m’obligea à le regarder dans les yeux.

Sur tes fesses ou dans tes fesses ?

Sur mes fesses…

Je voulus détourner le regard, il m’en empêcha, la lumière de son regard, son sourire…

… mais surtout dans mes fesses… quand je pense à toi…

Quand tu penses à moi ?

Je me caresse souvent en imaginant ta verge dans mes fesses… Je pense à Nice… à quand on vous a expliqué pour l’huile d’olive… à la fois où tu les as honorées… comme tu ne le fais plus… je rêve et je me caresse…

Mais c’est parce que j’ai peur de te faire mal ! Tu as vu la taille de mon engin ? ! Si tu savais comme j’en ai envie… mais je ne veux pas te faire mal !

Si c’est ainsi que tu définis « me faire du mal », ne t’en prives pas ! Fais-moi du mal et dès que tu le voudras !

Comme s’il était possédé, il sortit de la pièce, le temps de réaliser qu’il était toujours nu et qu’il ne voulait pas me fuir, je l’entendis pester dans la cuisine

Putoù que… dis-moi, Bouton d’Or où tu la caches ton huile d’olive ?

Je le rejoignis en riant et lui expliquai que j’avais oublié d’en racheter. Il fit la grimace. Je lui pris la main et l’entraînai dans le petit cellier, où je pouvais entreposer les denrées qui avaient besoin de fraîcheur pour ne pas se gâter. Puisqu’il était toujours prompt à me taquiner sur mes origines, je lui proposai de le faire « à la mode de chez moi ». Il plongea ses doigts dans la petite motte de beurre. « Une chance que la Normande soit de nature prévoyante ! » et entreprit de m’enduire le derrière. Je sentais mon corps se détendre sous ses caresses. Il ne les stoppa que pour allumer une lampe à pétrole et quelques chandelles. « Je veux voir ton regard, ton sourire, Bouton d’Or ». J’aurais voulu garder les yeux ouverts, comme il le souhaitait, mais quand je sentis son gland me pénétrer, ils se fermèrent malgré moi.

Que marmonnes-tu, Bouton d’Or ? Dis… que marmonnes-tu ?

C’est encore meilleur que l’autre fois… encore… meilleur… encore… encore… encore !

Je ne te fais pas mal ?

Oh non ! C’est comme…

Je sentais le moindre des reliefs de sa verge et c’était comme autant de caresses différentes. J’ouvris les yeux.

… comme si… elle avait été… oh oui ! Comme si… pour que tu… ooh… pour que tu la mettes là…

Ô, Bouton d’Or…

Je caressais son cou, ses épaules, ses bras, son dos. Je griffais doucement ses reins du bout de mes ongles. Je voulais le sentir davantage en moi, mais il se retirait déjà. Doucement.

Non ! Pas tout de suite ! Pas déjà !

Il me pénétra à nouveau. Cette fois-ci, je parvins à garder mes yeux grand ouverts. Nous nous criions en silence de jolis mots, pleins de tendresse crue. Le temps semblait suspendu à nos souffles coupés. Je sentais mes chairs s’ouvrir pour mieux l’accueillir au plus profond de moi. Je sentais aussi les contractions de mon plaisir croissant. Quand j’allais y succomber, il se retira encore.

Oooh… tu me…

Je te ? Je te quoi, joli Bouton d’Or ?

Tu me tourneboules… oh non ! Ne ris pas !

Quel drôle de mot ! Et pourquoi donc ?

Je ne sais pas ce… oooh… ce que… je préfère…

Quand il allait et venait en moi, je pensais que c’était ça que je préférais. Puis, quand il s’enfonçait d’un coup de rein, de tout son long, que mon corps était empli de sa verge, je me disais « ah non… non… c’est ça que je préfère ». Alors, il se retirait, qu’il le fasse rapidement ou au ralenti, je préférais subitement cette sensation. Jusqu’au moment où son gland, à chaque fois un peu plus bouillant, à chaque fois un peu plus dur, me pénétrait, écartant mon orifice étroit… J’avais à peine le temps de réaliser que c’était ça que je préférais qu’il recommençait ses va-et-vient… Alors, pour ne pas « tourner fada » comme il disait, je décidai de ne pas chercher à savoir ce que je préférais, mais de m’abandonner au plaisir.

Allongée sur le dos, le poids de son corps ajouté au mien, mes longs cheveux dénoués me tiraient un peu, avant que ça ne devienne désagréable, je me soulevai légèrement et d’un geste vif, les projetai sur le côté. Sans l’avoir cherché, j’avais fouetté Toine. Il sursauta, surpris. Me sourit. Alors, je pris mes longs cheveux dans ma main et recommençai. Pour lire dans ses yeux, dans son sourire, le plaisir de cette sensation… Plus il me disait qu’il aimait ça, plus j’y prenais plaisir.

J’étais comme possédée, comme prise dans une vague de sensations plus agréables les unes que les autres. Je me demandai s’il pouvait percevoir la violence de l’orgasme qu’il m’offrait, quand il me chuchota, d’une voix qu’il avait du mal à dompter « Que c’est bon de te sentir jouir… » Il ferma les yeux et jouit au plus profond de moi.

Il nous fallut attendre un long moment avant de trouver le courage, d’avoir la force de nous relever pour aller nous coucher, mais nous ne pûmes nous résoudre à ne pas dormir ensemble.

Allongés dans les bras l’un de l’autre, encore étourdis de tout ce plaisir, nous ne parvenions pas à trouver le sommeil, alors, nous nous chuchotions des secrets qui n’auraient pas accepté d’être révélés à voix haute. Je n’oublierai jamais combien il fut bouleversé quand je lui fis cet aveu

Parfois, je me déteste. Quand j’entends les récits de vos années dans les tranchées, quand je pense aux souffrances que vous avez endurées, je souffre pour vous… Mais, en même temps, une petite voix au fond de moi me rappelle que s’il n’y avait pas eu la guerre, je n’aurais jamais correspondu avec Pierrot. Je serais restée la petite Rosalie, dure à la tâche, dans sa ferme normande… Je n’aurais connu ni l’amour, ni l’amitié, ni même le plaisir… Je mène une vie dont je n’aurais jamais osé rêver et cette vie, mon bonheur, je les ai construits sur les cadavres de la plus horrible des boucheries… Si tu savais comme je me déteste de me dire que la chance de ma vie aura été cette putain de guerre 14-18…

Il déposa de doux baisers sur mon front, entrecoupés de mots bien plus doux encore, sécha mes larmes par des caresses d’une tendresse incroyable. Apaisée d’avoir pu enfin confier ce secret qui commençait à me ronger, je m’endormis sereinement.

Le dimanche suivant, jour de la Sainte-Reine, voici ce qu’il advint