Je cheminais à travers la plaine glacée de ma Sibérie natale, je rentrais à la maison après ces longues, ces trop longues années où je m’étais loué, où j’avais vendu ma vie contre quelques pièces d’or. J’avais vendu ma capacité à tuer celui qu’on me désignait. Comme mes semblables, je le faisais sans haine, sans rage, froidement. J’avais combattu dans presque tous les camps. Puis arriva ce jour où je devais me battre contre celui qui m’avait sauvé la vie, quand il combattait à mes côtés quelques mois auparavant. Je n’avais pas plus envie de le tuer qu’il n’avait envie de me tuer, mais nous étions des mercenaires et il était hors de question de faire du sentimentalisme. Un mercenaire se vend au plus offrant, cependant, nous prîmes la décision de nous vendre au moins offrant, un hobereau dans une contrée par-delà les montagnes.
Avant de prendre le chemin du retour, je voulus connaître mes chances de trouver au village une jeune fille aimante que je prendrai pour épouse. Je m’en fus trouver une diseuse de bonne-aventure pour qu’elle me prédise l’avenir. J’arrivai sur la place d’un village où se tenait la roulotte d’une tzigane réputée, elle avait beaucoup de succès auprès des villageois parce qu’en plus de son don de chiromancie, ses cheveux et ses yeux clairs détonnaient dans ces contrées peuplées d’hommes et de femmes aux yeux bridés, aux cheveux noirs, à la peau burinée par l’air des montagnes. J’observai cette foule qui s’interpellait dans une langue dont je ne comprenais pas toutes les subtilités.
Une autre bohémienne s’approcha de moi, m’apostropha
– Tu me sembles pressé. Tu veux connaître ton avenir. Désires-tu que je te le révèle ?
– Tu lis toi aussi dans les lignes de la main ?
Je lui posai la question, puisque depuis tous ces mois passés dans la région, je ne l’avais jamais vue, ni entendu parler d’elle. Elle me sourit. Bon dieu, qu’elle était laide ! Mais son sourire me mit en confiance et je la suivis dans la yourte où elle exerçait son art divinatoire.
– Je ne lis pas dans les lignes de la main, mais dans les veines de la bite !
Surpris, excité aussi, j’acceptai. Je sortis mon membre, un peu dépité qu’il ait si triste mine, tout mou, comme mort. J’avais toujours été fier de sa dureté, de sa longueur, de son épaisseur et ce que j’offrais à voir à cette femme ressemblait à un morceau de viande abandonné sur le bord de l’assiette. Elle le regarda, me sourit.
– Ne t’inquiète pas. Fais-moi confiance…
Elle le prit délicatement entre ses mains, s’adressa à lui, comme s’il n’était pas une partie de moi, mais un être indépendant.
– Bonjour, gentil membre, veux-tu me permettre d’aider cet homme à connaître son avenir ?
Charmé par cette voix, je sentis le sang jaillir du plus profond de mon être, irriguer les vaisseaux, rouler dans mes veines et gonfler, gonfler et tendre mon membre vigoureux comme il ne l’avait plus été depuis des années. La bohémienne parlait dans une langue inconnue, caressait les veines, les veinules de mon sexe avec science et délicatesse. Enfin, elle leva ses yeux bruns et dans un sourire me fit cette prédiction.
– Tu traverseras les plaines et les montagnes, les rivières et les fleuves, tu connaîtras la chaleur accablante, les mauvaises pluies et les orages. Quand le froid retentira dans chaque cellule de ton corps, tu sauras que tu es presque arrivé sur les terres qui t’ont vu naître. Tu veux rentrer chez toi pour y trouver une femme qui te ressemble et y fonder ta famille, mais à quelques vestres de ton but, tu comprendras ton erreur. Alors, tu feras demi-tour et partiras l’esprit léger vers celle qui t’est destinée.
Je la payai et me mis en route.
Je cheminais à travers la plaine glacée de ma Sibérie natale, toutes les cellules de mon corps m’indiquaient que j’étais enfin arrivé chez moi. Un petit oiseau se mit à chanter dans ma tête.
– Chez toi ? C’est ici chez toi? Quel âge avais-tu quand tu es parti pour vendre ta capacité à donner la mort ? Quels souvenirs as-tu tissés ici ? Chez toi ? Mais tu n’es pas chez toi, ici ! Tu n’as fait qu’y naître ! Chez toi, c’est le lieu où tu te sens vivant, où tu as envie de rester, si c’était ici, tu ne serais jamais parti !
Je pensais à ce que cet oiseau me serinait. Bon dieu, il avait tellement raison ! Mais où se trouvait mon chez moi ? Où avais-je envie de poser mon barda et de me reposer enfin ? Je sentis un picotement très agréable le long de mon membre, un picotement qui me fit penser aux doigts de cette diseuse de bonne-aventure, au bout de ses doigts délicats. J’essayais en vain de me souvenir de son visage, même le son de sa voix se perdait dans le brouhaha du vent sibérien. Ne demeurait que l’empreinte de ses caresses sur les veines de mon sexe. J’étais incapable de me remémorer ses mots, son accent, son sourire –m’avait-elle seulement souri ? Je voulais y croire–, à quoi ressemblaient ses yeux ? Ses cheveux étaient-ils raides ou ondulés ? Cachés sous un voile ou offerts à la vue ? Toutes ces questions sans réponses m’étaient insupportables. Je fis demi-tour.
Le printemps déployait ses ailes quand j’arrivai à la frontière de la province où j’avais passé ces dernières années. Je suivais le cours d’une rivière sans raison, mon corps semblait savoir ce qu’il faisait. Comme souvent depuis ce demi-tour, le sang pétillait dans mes veines, je décidai de me servir de ces sensations comme d’une boussole. Enfin, je compris.
Elle ne sembla pas surprise de me trouver face à elle. Elle me tendit la main, me sourit et me dit « Viens ! ». Il ne fut plus jamais question de divination, mais pour autant, ses caresses sur mon sexe, sur mon corps ne cessèrent jamais.
Un moment suspendu…