Le cahier de Bonne-Maman — « Faites des bêtises, mais faites-les avec enthousiasme »

J’ai commencé à trouver étrange le comportement de Nathalie peu après l’arrivée du printemps. Elle semblait toujours lasse et quand je lui demandais ce qui la tracassait, elle me répondait « Rien, mais je n’ai goût à rien. Je voudrais dormir, dormir et dormir encore », à peine le temps d’en être inquiète, elle avait retrouvé tout son entrain. Et quel entrain !

Et puis vint le week-end pascal. Toine était arrivé le premier à la maison, ce dimanche 4 avril, et il remplissait le tronc de petits papiers sur lesquels il avait inscrit « la figure Rosalie », quand je lui demandai quelle mouche l’avait piqué, il me répondit

C’est en remplissant le tableau que j’ai eu cette idée

Valentino lui avait envoyé une lettre lui demandant de l’inscrire pour toutes les tâches de menuiserie, mais aussi celles de plomberie, de maçonnerie…

Il faudra lui expliquer qu’il n’a pas besoin d’alibi pour passer du temps avec moi !

Mais j’étais touchée de cette attention et très excitée à l’idée de le revoir, il avait dû accepter un chantier bien éloigné de la Provence, parce qu’une telle occasion ne se présentait pas souvent… deux mois loin de ses bras, deux mois sans nos baisers, deux mois sans ses « Rosalina », sans ses « Rosalinetta », deux mois sans nos corps à corps… La brûlure de son absence se réveillait maintenant que je savais que nous nous reverrions sous peu…

Mais qu’est-ce qu’ils fichent ?

Pierrot et Nathalie étaient en retard à notre rendez-vous hebdomadaire. Je regardais le corps de Toine, déjà nu, son impatience faisait plaisir à voir ! Feignant de lui accorder une faveur, un prix de consolation, je m’assis à côté de lui, détachai négligemment mon chignon, pris ­–l’air de rien– une mèche de mes cheveux, en entourai son sexe et commençai à le branler, en lui parlant de tout et de rien, puis petit à petit, de ce que j’aimerais que nous fassions, lui et moi, si nous devions nous passer de la présence de Pierrot et de Nathalie. Il sourit et tournant le regard vers la cuisine

Tu me rends amoureux du beurre, Bouton d’Or !

Nous riions de bon cœur, notre complicité nous ravissait autant l’un que l’autre. Enfin, Pierrot et Nathalie firent leur entrée.

C’est pas trop tôt ! On se demandait si vous viendriez !

Ne vous en prenez pas à moi, mais à mademoiselle ! Elle voulait aller se confesser et j’ai dû… lui faire changer d’avis…

Tu voulais… aller à confesse ? Parce qu’on est le dimanche de Pâques ?

Non, Rosalie, mais… peut-être un peu oui… je ne sais pas… Je n’ai jamais été comme ça ! L’envie de sexe me réveille au milieu de la nuit… Je me soulage… je me rendors… et l’envie me réveille encore ! Je ne pense qu’à ça…

Viens me voir, Pitchounette dans ces cas-là ! Je saurais te soulager, si tu venais me voir !

Mais tu travailles à la ville, mon Toinou !

Parce que ça te prend aussi dans la journée ? !

Je vous l’ai dit ! Je suis possédée ! Ça me prend tout le temps ! Je ne pense qu’à ça… tiens, regardez donc ! Rien que de vous voir, je suis toute échauffée… ! Comme si je ne l’avais pas fait depuis des jours…

Il n’y a pas de temps à perdre, alors, ma Pitchounette ! Tiens, à toi l’honneur… que ta main innocente nous indique…

Je ne levai même pas les yeux au ciel, Nathalie pêcha un petit bout de papier. « La figure Rosalie ». Nous fîmes tous semblant d’en être étonnés. Nathalie s’allongea en travers du lit, ses jambes outrageusement écartées, livraient son sexe à notre vue, il palpitait de désir tout en coulant de la semence que Pierrot y avait déversé quelques minutes plus tôt.

Pierrot s’excusa de devoir me faire attendre un peu, Toine plaisanta sur la capacité de son gros goupillon à extirper le mal qui consumait Nathalie. Quand il la pénétra, elle gémit de plaisir et lui demanda de la brusquer un peu…

Je vous veux tous les trois… je vous veux tous les trois !

Je me mis à califourchon sur son visage, elle me dévorait le minou avec art et gourmandise, de nous regarder ainsi excita davantage Toine, et Pierrot commença à retrouver toute sa vigueur, il caressa la poitrine de Nathalie d’une main tout en se masturbant de l’autre. Quand sa main toucha les seins de Nathalie, elle me téta le bouton avec une avidité accrue, même si elle n’avait pas crié, j’aurais su, nous aurions su la force de son orgasme. Toine avait les yeux rivés sur ma toison et caressait Nathalie, comme il aurait eu envie de me caresser.

Que nous avons aimé ce dimanche pascal ! Nous faisions l’amour, chacun notre tour, à Nathalie, qui nous remerciait à chaque fois avec plus d’ardeur, plus de tendresse.

Le sommeil se saisit d’elle brutalement. La journée s’était écoulé à toute vitesse, il était déjà l’heure de dîner, pour une fois tous les quatre, mais Nathalie dormait profondément.

Nous la laissâmes dans les bras de Morphée et allâmes dans la cuisine pour manger un peu. Me voyant sortir la petite motte de beurre, Toine plaisanta avec Pierrot sur la façon dont je m’arrangeais pour le leur faire apprécier. Je riais avec eux, quand Toine se plaignit de souffrir du même mal que Nathalie.

Oh fatché ! Je bande encore ! Oh, mais regardez-moi comme penser à ma grosse queue dans le cul de la Rosalie me fait de l’effet !

Tu parles de travers, Toine… ce n’est pas ça qui te fait bander…

J’avais laissé ma phrase en suspens, pour les titiller un peu.

… ce qui te fait bander, c’est la bonne odeur du beurre, sa douceur… tu sais quand je fais..

Je pris un bon morceau de beurre et du bout des doigts en tartinai le sexe de Toine, surtout son gland… Quand il était très excité, Toine avait tendance à saliver plus que de raison… Quand je sentis une goutte de salive tomber sur mon avant-bras, je levai les yeux vers lui…

C’est appétissant, n’est-ce pas ? Moi, je ne peux pas y résister…

D’une langue gourmande, je retirai tout le beurre que je venais de mettre sur la verge de Toine. Il jouait avec mes cheveux en me disant combien il aimait faire ce que nous faisions, combien voir Pierrot se branler en admirant le spectacle l’excitait davantage. Je fis semblant de réaliser la présence de mon amoureux et abandonnai Toine pour aller le retrouver et lui enduire à son tour le sexe de beurre.

Prise à mon propre jeu, je passais de l’un à l’autre, m’enivrais de toutes ces sensations, de leurs mots de plus en plus crus, des miens qui le devenaient aussi, de leurs caresses… enfin, n’y tenant plus, je suppliai Toine.

Fais-le ! Fais-le moi enfin… !

Que je te fasse quoi ?

Prise par je ne sais quelle furie sensuelle, je le bousculai, l’obligeant à s’asseoir sur une chaise, enduisis mon derrière et son gland de beurre et m’empalai d’un coup sur sa verge dressée.

Oh, Bouton d’Or !

Oh, ma Rosalie !

La surprise les avait cueillis tous les deux et leur voix s’étaient mêlées dans ce cri. J’avais éprouvé autant de plaisir que de douleur, mais je voulais l’éprouver encore. Je me relevai et m’empalai de nouveau.

D’un ton qui ne m’était pas coutumier, j’ordonnai à Pierrot de s’asseoir sur l’autre chaise, aux côtés de Toine. Ils comprirent immédiatement. Je passai de l’un à l’autre, en les suppliant de ne pas arrêter de commenter, de parler de moi ainsi… Quand Toine jouit, Pierrot se releva et prit « la direction des opérations » comme il aimait à le dire. Il demanda à son ami de s’asseoir sur la table, d’offrir sa queue à ma bouche, écarta mes fesses et me sodomisa avec une rage que je ne lui avais jamais connue avant.

Apaisés, nous dînâmes avant de rejoindre Nathalie toujours endormie. Nous aimions beaucoup l’étroitesse du lit qui nous obligeait à dormir au plus près les uns des autres. J’eus un sommeil agité cette nuit-là, peuplé de rêves où des démons venaient me posséder, des démons qui ressemblaient fort à Pierrot, à Toine, à Valentino et à quelques autres comparses.

Les baisers de Nathalie me réveillèrent. Toine allait et venait en elle, brutalement, me semblait-il. Je savais reconnaître cette lueur dans son regard. Regarder sa promise me faire jouir de sa bouche, pendant qu’il lui faisait l’amour l’excitait énormément, le faire au réveil, après avoir passé la nuit tous les quatre était plus que rare à cette période de notre vie, alors il voulait en jouir pleinement. Pierrot se réveilla, un magnifique sourire aux lèvres et commença à caresser les seins de Nathalie qui en cria de plaisir.

À ton tour, Pierrot ! Cette créature aura ma peau… !

Si c’est pour rendre service… tu me connais, je ne laisserais jamais un collègue dans l’embarras…

Il fut surpris de trouver le sexe de Nathalie à la fois si étroit et si souple et tellement chaud.

T’as la fièvre du minou, ma Nathalie !

Elle me dévorait le minou, mais ses baisers devenaient trop ardents pour mon bouton. Toine me souleva, m’allongea en travers du lit, de telle sorte que mon visage reposait sur le ventre de Nathalie. Pierrot lui caressait les seins, quand Toine me pénétra d’un coup, de tout son long. Sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche, il articula « Tes cheveux… tes cheveux ! », alors, j’en pris une mèche et lui fouettai les cuisses, les reins. Toujours sans émettre aucun son, il m’en remercia et arrangea artistiquement d’autres mèches sur le corps de Nathalie.

Nous enchaînâmes les figures, en inventant au passage, puis, comme la veille au soir, Nathalie s’endormit brutalement. Nous la laissâmes se reposer, et comme la veille au soir, nous rejoignîmes la cuisine pour déjeuner.

Aucun de mes amis provençaux n’appréciait la cuisine au beurre, mais je ne pouvais pas me résoudre à manger une côtelette d’agneau frite dans de l’huile. Je fis comme à mon habitude, deux poêlées, la mienne et la leur. J’étais en train de les servir quand Nathalie entra dans la cuisine. Je ris en la voyant essuyer ma poêle avec un morceau de pain avant de le porter à sa bouche.

Pour quelqu’un qui n’aime pas le beurre fondu…

Je ne sais pas pourquoi, mais j’en avais une de ces envies… Non ! Je t’en prie, ne fais pas cuire ma côtelette dans l’huile… rien que d’y penser…

Elle fit une moue de dégoût qui nous amusa tous.

Nous venions de finir de manger quand nos invités toquèrent à la porte. Pierrot leur ouvrit « Bienvenue à l’amicale des anciens combattants ! ». Nous nous connaissions tous assez pour avoir nos habitudes. Une d’elles était que nous n’embrassions Bouche Divine qu’en dernier, parce que ses baisers… ses baisers étaient la promesse de tant de plaisirs que nous n’aurions prêté aucune attention aux autres comparses si nous l’avions embrassé en premier.

Nous nous connaissions assez pour qu’aucun n’ait à rougir de ses « manies », par exemple, Gentil Coquelicot s’était découvert un plaisir qui lui était propre, mais n’avait pas hésité bien longtemps avant de nous en parler. Ce qui l’aidait à se mettre en condition pendant nos étreintes collectives, était d’avoir l’une de nous deux allongée sur son ventre pendant qu’elle se faisait prendre par un autre homme. Il en devenait écarlate de désir, ensuite, il nous « ravageait » l’une après l’autre, en nous inondant de mots doux prononcés comme des insultes.

Nous avions tous parfaitement conscience qu’il ne pouvait partager cette particularité qu’avec des personnes en lesquelles il avait une confiance absolue.

Le plaisir de Neuneuille était de nous observer sous toutes les coutures, mais aussi et surtout de nous palper, de nous fouiller, avant, pendant et après l’amour. Barjaco s’étourdissait de ses bavardages, à chaque fois qu’il constatait qu’un mot nous faisait réagir, il en prenait plus de plaisir encore.

Bouche Divine était secrètement amoureux de moi, secret qui avait fait long feu dès le début tant il était évident. Il appréciait que Pierrot ne lui en tint point rigueur. Plus tard, avec la même passion mêlée de désespoir qu’il était tombé amoureux de moi, il tomba éperdument amoureux de Nathalie. Puis, à nouveau de moi. Puis de Nathalie. Il n’a jamais été amoureux de nous deux en même temps, mais je crois que c’est parce que ça l’arrangeait bien, finalement.

Quand il était amoureux de moi, il aimait « se venger » de mon « infidélité » en se surpassant quand il faisait l’amour à Nathalie, plus elle se pâmait, plus il répétait « Je pourrais le faire à Rosalie si elle acceptait de ne plus coucher avec d’autres hommes que moi ! » et comme pour mieux me faire regretter ma « conduite », il l’embrassait avec tout son don. Il lui suffisait d’être amoureux de Nathalie pour que je bénéficie de ses prouesses.

En ce lundi de Pâques, Nathalie s’impatientait des politesses d’usage. Elle s’approcha de Neuneuille et lui glissa quelques mots à l’oreille. Il lui répondit par un sourire et glissa une main sous son jupon. Nous la regardions onduler en psalmodiant « Encore… plus fort… encore ! », avant de nous préoccuper de nous-mêmes.

Toute occupée à enfiler la capote sur le sexe de Bouche Divine, je ne remarquai pas que Nathalie s’était approchée de nous « Pardon, Rosalie, mais… ». Elle allait et venait sur lui, concentrée sur le plaisir qu’elle volait. Enfin, elle ne le volait pas vraiment, mais elle le prenait sans se demander si elle en offrait en retour, ce qui n’était pas dans ses habitudes.

Allongée sur Gentil Coquelicot, je me laissais aller aux caresses de Neuneuille. Barjaco riait de voir Nathalie se déchaîner, quand il lui en fit la remarque, elle répondit :

Je suis possédée, c’est sûr, maintenant !

Qué « possédée » ?

J’ai toujours envie… ça me réveille la nuit… ça me travaille le jour… au plus je le fais, au plus j’en ai envie…

Heureusement qu’elle dort beaucoup… sinon, on serait morts!  C’est pas une vie, je te le dis !

La mauvaise foi de Toine était absolue, mais moins que celle de Pierrot !

Et c’est pas le plus grave ! Figure-toi qu’elle est passé dans l’autre camp… celui de la… (mimant exagérément l’écœurement)… de la cuisine au beurre ! Alors que l’huile…

Nathalie plissa son joli nez, un air de dégoût froissa son minois.

Tais-toi Pierrot… rien que de penser à l’odeur de l’huile…

Barjaco se leva d’un bond, tendit la main à Nathalie, s’excusa auprès de Bouche Divine « Tu permets ? »

Allonge-toi sur la table et écarte les cuisses… laisse faire le docteur…

Il la pénétra de ses doigts, comme pour l’ausculter, il avait un air très sérieux. Nathalie frémit davantage quand il caressa sa poitrine qu’il regardait d’un œil expert.

Boudiou, coquine ! Tu n’es pas possédée, mais tu l’as été pour sûr ! Mets-toi à quatre pattes que je te prenne un peu…

Nathalie s’exécuta, le corps vibrant d’impatience, tandis que Barjaco enfilait sa capote. Il la pénétra, attentif à ses sensations.

Fatché ! Comme c’est bon de prendre une femelle quand elle est pleine… !

Pendant quelques instants, nous fûmes tous frappés de stupeur. Barjaco nous houspilla pour la forme.

C’est bien la peine d’être paysans pour ne pas reconnaître les signes…

Il énuméra, tout en continuant ses va-et-vient

Le feu au cul, le sommeil qui assomme, le dégoût de… serre plus tes cuisses, boudiou !… le dégoût de ce qu’est bon… les nichons fiers comme deux Artaban et sensibles et frémissants comme le cul d’une pucelle sous les mains d’un homme… le petit con souple, chaud et accueillant… elle est pleine, j’vous dis !

Puis s’adressant directement à Nathalie

C’est quand que t’as saigné la dernière fois ?

Je… ooohh… je… ooohh… je ne sais… ooohhh… j’ai oublié… ooohh… !

Nathalie essayait de s’en souvenir, mais Barjaco ne cessait de la houspiller.

Mais serre donc les cuisses, bougresse ! Tends ton derrière ! Mieux que ça ! C’est ça que tu veux ?

Tout en allant et venant dans son vagin, il la pénétra non pas d’un, mais avec deux de ses doigts.

Oh ! Fan de Diou ! Ça remonte à la Sainte-Martine !

Messieurs, retenez la leçon ! Rien ne vaut deux doigts dans le cul pour faire retrouver la mémoire à une femelle !

Fier de sa bêtise, il éclata d’un rire tonitruant.

Ainsi donc, Nathalie était enceinte ! C’était arrivé le dimanche que j’avais passé avec Valentino, juste avant son départ si loin de moi…

En fin d’après-midi, nos invités partis, nous évoquâmes la régularisation de notre situation. Puisque le mariage devenait urgent, je voulus délier Nathalie de sa promesse.

Je n’aurai jamais l’accord de mes parents, de toute façon…

Nathalie entra dans un de ses rares, mais légendaires courroux. Le visage empourpré de colère, elle tapa du pied par terre et du poing sur la table

On a dit une double-cérémonie, ce sera une double-cérémonie ou rien du tout !

Pour l’apaiser, Toine me conseilla d’écrire une autre lettre à mes parents. J’éclatai en sanglots, me levai, ouvris le tiroir du buffet et lançai quatre enveloppes sur la table. Toine et Pierrot les prirent, les mains tremblantes de rage, de surprise, de peine aussi. Elles n’avaient pas même été ouvertes, la mention « Refusé – Retour à l’envoyeur » à l’encre rouge barrant leur adresse.

Pourquoi ne pas nous l’avoir dit, Bouton d’Or ?

La tête entre les mains, je pleurais à chaudes larmes.

J’ai tellement honte… À cause de moi… Nathalie…

À cause de toi ? ! Mais, ma Rosalie, ce n’est pas ta faute si tes parents sont des cons !

Ne pleure pas, Bouton d’Or, je vais demander à mon père, s’il n’y aurait pas…

NON ! Le notaire a été très clair sur ce point, hein mon Pierrot ? Sans l’autorisation de mes parents… même si j’étais majeure, j’en aurais eu besoin…

Toine raccompagna Nathalie chez elle puisque Pierrot avait tenu à rester à mes côtés. Il passa la nuit à me consoler, à me demander d’avoir confiance, que tout allait s’arranger. J’enviai son optimisme. D’avoir tant pleuré m’avait épuisée, je m’endormis comme une masse.

Le lendemain matin, le père de Toine m’accueillit en me demandant si je pouvais lui rendre un petit service. En tant que maire, il avait un courrier officiel à envoyer, il l’avait déjà rédigé, mais pensait qu’il ferait « plus officiel » s’il était dactylographié. Or, il ne savait pas taper à la machine, pourrais-je lui rendre ce petit service ? Comment aurais-je pu le lui refuser ? Il me tendit la lettre, je la lus.

Vous pensez vraiment ça de moi ? Vous n’exagérez pas un petit peu, tout de même ?

Non, Rosalie, je suis même en-dessous de la réalité !

J’éclatai de rire et de sanglots en même temps… Ainsi, dès mon arrivée au village, j’avais agi comme une héroïne, j’avais pris en charge la classe des petits tant que l’instituteur était sur le front. Puis, au retour des combattants, j’avais su écouter leur peine et leurs tourments et grâce à mon comportement leur éviter de sombrer dans l’alcoolisme. Ainsi, la vie avait repris son cours normal, celui qu’elle n’aurait jamais dû cesser de suivre sans cette saignée.

Un de ses administrés voulait tenir la promesse qu’il m’avait faite quand il se battait pour la France, mais l’attitude de mes parents le lui interdisait. Ma réserve et ma pudeur naturelle m’avaient interdit d’en parler avant et c’est tout à fait par hasard qu’il avait appris ma situation.

La lettre se terminait par un « Je vous demande votre soutien, en tant que premier élu de votre ville aidez ce jeune homme à tenir parole, il ne supporterait pas qu’on le prenne pour un menteur, cela lui serait plus insupportable que ces longues années passées au front. Je vous en conjure, allez trouver les parents de Rosalie et tentez de les convaincre. »

Il signa la lettre et me sourit en apposant le cachet officiel de la commune.

Et d’une !

Comment ça « Et d’une » ?

Si tes parents sont aussi obtus qu’il m’y paraît, je pense qu’il faut les attaquer de toutes parts. Et puis, si Nathalie refuse le mariage à mon Antoine… Je ne veux pas que mon petit-fils, ma petite-fille apparaisse comme un enfant illégitime dans les registres… Nous avons mis au point un ordre de bataille. On va les attaquer sur trois fronts et je suis sûr qu’ils céderont !

Sur trois fronts ?

C’est une question d’honneur qui les a fait te renier, n’est-ce pas ? Selon eux, leur nom a été sali par ta conduite, n’est-ce pas ? Et bien, il est grand temps que ce soit la leur qui le salisse. J’ai téléphoné au père de Marie-Louise, à l’heure qu’il est, il a contacté son notaire, qui contactera celui de Coutances pour préparer les papiers, et il s’est engagé à payer l’addition « C’est bien le moins que je puisse faire pour Rosalie, sans elle, j’aurais dû revendre mon bien, mon affaire ». Son notaire expliquera la situation, sans rien omettre de ce que tu as fait pour Charles et lui aussi évoquera la dette d’honneur qu’il a vis-à-vis de toi ! Crois-moi, quand ceux que toi et mon fils appelez « les puissants » se piquent d’obtenir quelque chose, ils l’obtiennent !

Je le regardais, éberluée, il se donnait tant de mal pour moi, parce que je savais que la grossesse de Nathalie était le prétexte qu’il invoquait pour que je ne puisse refuser. Il a toujours eu cette façon de procéder, quand il faisait un cadeau, quand il accordait une faveur, il se débrouillait toujours pour nous donner l’impression qu’on lui rendait service en l’acceptant.

Je marmonnai un « Merci, merci beaucoup » quand il me dit

Tu ne sais donc plus compter ?

Levant le pouce, il annonça « le courrier du maire », levant l’index « le courrier du notaire » et il me regarda comme un maître d’école attendant une réponse.

Le troisième front ! Quel est le troisième front ?

Ah quand même ! Antoine aurait été vexé que tu ne me posasses pas la question ! Et bien, figure-toi que le troisième front vient de l’Amicale des Anciens Combattants ! Pourquoi rougis-tu ?

Qu’est-ce que c’est cette histoire ?

Toine a battu le rappel des anciens combattants du village, et ils ont décidé d’écrire, à leur tour, avec leurs mots, une lettre à l’amicale des anciens combattants de Coutances, pour expliquer ta situation et leur demandant de tenter de convaincre tes parents, et s’ils n’y parviennent pas, de faire paraître un avis dans le journal local racontant, en les nommant, la conduite de tes parents pour leur faire honte.

Je ne saurais dire quel argument a le plus porté, mais le fait est que dans le mois qui suivait, monsieur le maire recevait un courrier du notaire de Coutances auquel était joint le consentement parental à mon mariage.

Nous aurions donc pu nous marier avant même le début de l’été, mais comme le souhaita Nathalie « Puisque de toute façon, ça se verra que j’ai fêté Pâques avant les Rameaux, je propose qu’on se marie le 4 septembre, le jour de la Sainte-Rosalie ! ».

Je n’aurais jamais osé espérer une plus belle noce que celle que nous vécûmes ! Tout le village était présent, il y avait aussi Marie-Louise avec son bambin dans les bras, Charles à ses côtés, leurs parents, tous nos amis à l’exception de Valentino qui craignait de ne pas se sentir à sa place dans cette fête.

Il est temps pour Bonne-Maman de refermer le cahier et d’expliquer à Monique pourquoi elle l’a écrit.

Le cahier de Bonne-Maman — « La sagesse n’est pas dans la raison, mais dans l’amour »

L’hiver n’allait pas tarder à pointer le bout de son nez quand mon chemin croisa de nouveau celui de Marie-Louise et de Charles. La veille au soir, le père de Toine m’avait prévenue, il irait voir son gros client pour affaires et m’avait demandé de l’accompagner. « Mais ce sera pour toi une journée de détente, Marie-Louise et son époux voudraient te recevoir comme on reçoit une amie ». J’avais donc mis ma plus belle robe, et nous fîmes le trajet en auto.

Je retrouvai Marie-Louise avec grand bonheur, elle me fit les gros yeux en constatant que j’avais rapporté la malle, elle en avait tant… ! Et me demanda si je m’amusais bien avec les costumes et les éléments de décor. Par chance, nous étions seules à ce moment précis. J’aurais aimé savoir mentir, faire semblant, mais quand bien même aurais-je pu y parvenir par mes mots, mon regard, mon sourire m’avaient trahie.

Comme une grande sœur, elle voulut en savoir plus long. Devais-je me jeter à l’eau, lui dévoiler mes secrets ? Devais-je prendre le risque qu’elle me dénonce, qu’elle s’offusque de ma conduite ? Devais-je tout simplement assumer cette part de ma vie, pourquoi aurais-je dû en avoir honte ?

J’évoquai à demi-mots des saynètes un peu… lestes que nous inspiraient les fragments de textes que nous trouvions dans les poches de certains costumes. Je pensais qu’elle se sentirait bafouée d’un tel usage, au contraire, elle sourit.

Ces représentations, nous préférons les garder secrètes, Charles et moi… mes parents ne sont pas au courant, je ne pense pas qu’ils les approuveraient.

Ainsi donc, leur amour était de même nature que celui qui nous unissait ! Une fois de plus, je méprisai ce réflexe qui m’interdisait de penser que nous pouvions êtres mues par les mêmes envies, par les mêmes sentiments, par les mêmes sensations. Marie-Louise et Charles appartenaient à un monde qui ne serait jamais le mien, mais je n’étais pas plus envieuse de leur richesse qu’ils n’enviaient la simplicité de ma vie.

Je n’ai jamais su si elle avait pris conscience de la nature exacte de notre relation multiple. Dans son monde, il est des mots qu’on ne prononce pas, en tout cas pas avec les gens du mien.

Malgré tout, notre complicité éclata encore. Elle me demanda d’accepter « ces deux petits livrets un peu lestes » comme si je lui rendais service. Quand nous les lûmes, le dimanche suivant, Toine ne put s’empêcher de ricaner « Ah bravo ! Quand je pense que ça va à l’église tous les dimanches ! », mais il y avait plus de surprise amusée que de critique dans cette remarque.

Elle me parla aussi des progrès de son mari, de ces cauchemars qui ne le hantaient presque plus. Elle me remercia trop chaleureusement pour que je ne puisse en éprouver un certain malaise. Je n’avais rien fait de si exceptionnel, pourquoi se sentait-elle tellement redevable ? Pourquoi ces trémolos dans la voix ? Pourquoi me serrait-elle si fort contre son cœur ?

Tu es la première à qui je le dis, même ma mère l’ignore encore… Pendant le déjeuner, nous allons annoncer que…

Elle s’interrompit et mima un ventre rebondi. Cette grossesse était pour elle le signe que la vie reprenait son cours normal, que l’espoir pourrait renaître. Elle aurait souhaité que je sois la marraine de cet enfant à venir, mais je ne pus accepter de mentir. J’avais cessé de croire en dieu et je refusai de me commettre dans ce que je voyais comme une mascarade.

Nous eûmes à ce propos, une discussion franche et animée, ne redoutais-je pas la colère de Dieu ? Je lui répondis que si dieu existait, il serait bien plus mécontent que je me rende à l’église sans y croire plutôt que de rester fidèle à mes convictions. Charles nous rejoignit à cet instant, il entendit mes mots, me dit « Finalement, vous faites le pari de Pascal, mais vous en arrivez à la conclusion inverse ! » Je faillis lui demander qui était ce Pascal, mais la cloche annonçant que nous devions passer à table venait de retentir.

La règle était de ne pas faire attendre le patriarche à l’heure des repas. Nous descendîmes une fois encore, tous les trois ce grand escalier si impressionnant.

La nouvelle de la future naissance enchanta tout le monde, comme Marie-Louise l’avait souhaité, je fis semblant d’être aussi surprise que les autres convives. Le vin coula à flots, de nouveaux projets se faisaient jour.

Je repris la route, aux côtés du père de Toine, qui fut ravi de ne pas avoir à arrimer une autre malle au coffre de son automobile.

Nous plaisantions, joyeux comme des pinsons, le froid commençait à s’abattre sur la Provence, mais nous le sentions pas encore.

Le père de Toine me confia que le geste que j’avais eu pour Charles avait eu des répercussions sur son affaire et il s’en sentait redevable envers moi. Je haussai les épaules en lui rappelant tout ce qu’il avait fait pour moi, comment l’emploi qu’il m’avait offert, la chambre qu’il m’avait prêtée m’avaient permis de rester au pays. Il sourit « Au pays, dis-tu ? » Je pris alors conscience que je me sentais chez moi dans ce village à l’autre bout de la France, bien plus que je ne me l’étais jamais sentie dans ma Normandie natale.

Nous arrivâmes au village au milieu de l’après-midi et le père de Toine me donna congé. « Tu mérites bien cette journée de vacances, Rosalie ! Repose-toi, il sera bien temps pour toi de te remettre au travail dès demain ! »

Quand je rentrai chez moi, encore un peu grise de cette matinée, de ce déjeuner si joyeux, ayant congé pour l’après-midi, je trouvai Valentino attablé, en train de fumer, une tasse de café à demi vide devant lui. Il se tourna vers moi, me sourit. Il était déjà venu à plusieurs reprises à la maison, mais n’aurait jamais pu deviner que je ne travaillerai pas cet après-midi là.

Comme tous les ouvriers qui venaient nous aider, il possédait un double de la clé. Toine tenait une sorte planning des travaux, chacun savait ce qu’il restait à faire et s’inscrivait pour une tâche à la date qui lui convenait le mieux.

Valentino était menuisier-charpentier, il s’était engagé à réparer l’escalier devenu dangereux après des décennies sans entretien. Non, je n’étais pas venue pour surveiller son travail ! Nous riions ensemble parce qu’il n’avait pas cherché à me faire croire que sa question était autre chose qu’une plaisanterie.

Il m’offrit de me faire un café, j’avais appris à l’aimer bien plus fort, moins amer que celui de mon enfance. C’était la deuxième fois de la journée que je repensais à la Normandie et la deuxième fois où je réalisais que je ne m’y étais jamais vraiment sentie chez moi. L’odeur du café maintenu au chaud toute la journée sur le fourneau me revint en mémoire avec déplaisir.

Tu as de la peine ? Tu es… fâchée de ma présence ?

Non ! Je… je repensais à mon village, à mon enfance… L’Italie te manque ? Parce que mon pays ne me manque pas, je viens de comprendre que je suis chez moi ici…

Ton… « pays » ? Mais… tu n’es pas française ?

Si ! Mais…

Je me levai, pris une poignée de farine, la déversai sur la table, traçai une carte de France et lui montrai d’où je venais… je savais qu’il comprendrait parce que j’avais entendu des discussions entre italiens. Il sourit en me voyant récupérer la farine et la verser dans une assiette.

Tu es plus soigneuse avec la nourriture qu’avec tes vêtements !

Pourquoi me disait-il ça ? Avait-il fouillé dans mon armoire ? Et puis, mon linge y était proprement rangé ! Il regarda en direction de la salle à manger et je compris.

Je ris en lui expliquant qu’il s’agissait de costumes de théâtre et pourquoi dans ma hâte de rendre la malle à Marie-Louise, j’en avais vidé le contenu sur la grande table et le sofa. Je réalisai que je n’avais aucun meuble où les ranger.

Si tu le veux, je pourrais revenir pour t’en fabriquer un, mais réparer ton escalier est plus urgent…

Il avait parfaitement raison. Nous parlâmes des travaux à venir, de politique, d’exil. Les cafés et les heures avaient défilé sans que nous en ayons vraiment pris conscience. Il était trop tard pour qu’il se remette à l’ouvrage.

Il se lava, se rhabilla de propre pendant que je rangeais les costumes et les accessoires, du mieux que je pouvais, dans la petite chambre que vous connaissez bien. En sortant de la cuisine, il rit de me voir les bras chargés de robes incongrues.

Tu portes vraiment toutes ces robes quand tu fais du théâtre ?

Nous aimons bien nous costumer et nous inventer des histoires.

Des histoires ?

Attends, je vais te montrer…

Je dois encore trouver un endroit où manger, où dormir… il est trop tard pour que je rentre chez moi… Une autre fois, peut-être…

Où travailles-tu demain ?

Pour l’instant, nulle part ! Tu sais bien… un chantier par-ci, un chantier par-là… tu connais notre condition…

Alors, reste ici ! Demain, tu finiras ce que je t’ai empêché de faire aujourd’hui, je te ferai à manger, et tu pourras dormir ici !

Dormir ici ? ! Et toi ? Où dormiras-tu ?

Dans ma chambre ! Tu peux dormir dans le canapé et il y a deux matelas… on peut les installer si tu trouves que le canapé n’est pas assez confortable…

Mais… toi et moi seuls chez toi ? Tu sais ce qu’on dit des italiens avec les femmes… et avec les femmes françaises ! Tu connais la réputation que nous avons… tu…

Je connais aussi la réputation des anarchistes, Valentino ! Pourtant aucun n’a déposé la moindre bombe dans cette propriété privée, aucun ne nous a jamais molestés ! Fais-moi plaisir, installe-toi confortablement sur le canapé comme si tu étais au spectacle et ouvre grand tes yeux quand je ferai mon entrée !

J’allai dans la chambre et enfilai à la hâte une robe de princesse. Je ne saurais dire pourquoi je choisis cette robe, peut-être parce qu’elle était si éloignée de moi, du monde d’où je venais, de celui dans lequel je vivais… Peut-être parce que le haut de la robe, ce corset qui faisait pigeonner ma poitrine se laçait sur le devant et que je n’avais pas besoin d’aide pour l’attacher…

Je l’ajustai, pris le chapeau qui complétait le costume, le posai sur ma tête et fis une entrée théâtrale. J’ai gardé longtemps cette manie du petit pas sauté, des bras ouverts et de cette révérence maladroite.

Il rit, je ris. Je lus dans ses yeux qu’il me trouvait aussi séduisante que je le trouvais séduisant et qu’il en était tout autant surpris que moi. Nous venions de passer plusieurs heures ensemble, je le connaissais depuis des mois, mais c’est à ce moment précis que le désir s’est emparé de nous.

Un silence gêné s’était abattu sur la maison, comme si nos regards suffisaient pour poser la question que nous n’osions pas formuler à haute voix. « Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Valentino se leva d’un bond, comme si un ressort l’avait éjecté du canapé.

Rosalie… je ne vais pas rester…

Je comprenais sa gêne, je la partageais, mais quand nos mains se tendirent pour cet « au revoir » amical, nos corps réagirent comme s’ils avaient été aimantés.

Rosalie… Rosalie… il ne faut pas… Rosalie… il ne faut pas…

Dis-le… dis-le moi encore…

Il ne faut pas…

Dans un sourire, je posai mon index sur ses lèvres.

Non ! Redis-moi « Rosalie »

Je sentis un sourire naître sous mon doigt.

Rosalie

Encore

Rosalie

Encore

Rosalie

Je ne me lassais pas de l’entendre prononcer mon prénom, les « r » étaient tantôt rocailleux, presque gutturaux, tantôt roulés, chantants et quelque soit leur prononciation, ils me charmaient pareillement.

Encore…

Son sourire était aussi doux que sa voix.

Rosalie

Je levai enfin les yeux et osai le regarder. Quelle douceur, quelle tendresse teintée de crainte dans son regard d’habitude si assuré ! Je m’y lovai, j’aurais voulu qu’elle m’enveloppât, qu’elle ne cessât de m’envelopper.

Je fus foudroyée par le contraste entre la peau rugueuse de sa main et la douceur de son geste quand il attrapa la mienne pour la porter à sa bouche et y déposer son premier baiser.

Rosalie

Nous n’avions pas encore osé nous embrasser, je déposai quelques baisers, légers, timides sur sa poitrine. Je fermai les yeux pour trouver le courage de déboutonner sa chemise qui se dressait comme un rempart entre ma bouche et sa peau. À chaque bouton dégrafé, à chaque baiser sur sa peau mate, répondait un « Rosalie ».

Que ma peau me parut douce quand il prit mon visage entre ses mains pour m’embrasser, délicatement, passionnément ! Combien j’ai aimé la lenteur de ses gestes quand il délaça le corset…

Quand ma main effleura son pantalon, que mes doigts s’apprêtèrent à le déboutonner, Valentino poussa un soupir de désir et un petit cri entre crainte et excitation, le tout dans un même souffle.

Sa main se posa sur la mienne comme pour arrêter mon geste, mais quand je le caressai par-dessus le tissu de son pantalon, son « Oh… Rosalie ! » avait la sonorité des encouragements impatients.

Il m’embrassa encore, puis me demanda si je voulais aller plus loin. Dans un grand sourire, je lui dis « Tu mériterais que je te réponde « Non » et que je te laisse ainsi ! »

Il rit, tout en rougissant. Nous n’étions pas très à l’aise, Valentino ne savait rien de ma vie intime, je ne savais pas ce qu’il connaissait de moi. Mais le désir domina nos craintes. Seule notre envie d’être heureux, de nous offrir une parenthèse de plaisir avait de l’importance.

Quand je m’agenouillai, il voulut m’en empêcher, j’appris plus tard, qu’il croyait que je n’avais pas conscience des conséquences et fut soulagé de constater que je ne semblais pas étonnée, choquée par la vision de son membre.

Plus mon désir était ardent, plus je prenais mon temps. Quel étrange paradoxe ! Mais que j’aimais regarder son sexe dressé, gonflé, vibrant, que j’aimais en éprouver le relief du bout de mes doigts !

Tu regardes comme si c’était un chef-d’œuvre !

Je le regarde pour ce qu’il est ! Et aussi pour ne pas me précipiter… Je veux profiter de cet instant… Je veux imaginer le plaisir que je prendrai et savoir que mon imagination sera bien en-deçà de la réalité…

Il se méprit, car il voulut que je m’allonge. Je lui fis signe d’attendre, le regardai, fermai les yeux, approchai mon visage, entrouvris mes lèvres, les humectai du bout de ma langue, je l’entendis respirer plus fort, un peu plus fort, un peu plus fort encore…

Oh !

Dans un réflexe, ses doigts s’étaient crispés sur mes cheveux. Je goûtai son sexe comme on découvre une nouvelle gourmandise. Je goûtai aussi le plaisir infini de l’entendre gémir en italien, ne comprenant pas les mots mais en ressentant viscéralement la signification…

Ma langue s’humidifiait à l’aune de son plaisir, j’en prenais tout autant que lui et nous en étions également conscients. Je sus quand ne plus l’empêcher de s’arracher de ma bouche, je ne résistai pas quand il me souleva par les aisselles.

Il me déposa délicatement sur le canapé, dénudant mon corps avec lenteur, lui aussi voulait prendre le temps de le découvrir. Il avait remis de l’ordre dans ma tenue, recouvert mes seins du corset délacé, mais régulièrement, il tirait sur le ruban de telle façon que le tissu se décollât de ma peau, il jetait alors un regard en biais terriblement excitant sur ma poitrine à-demi dénudée.

Il remontait le bas de ma robe, centimètre par centimètre, s’étonnant de la douceur de ma peau sous mon bas. Soudain, telle une couleuvre coulant vivement dans un sous-bois, sa main gauche glissa sous ma robe, remonta le long de ma jambe et se faufila entre la peau de ma cuisse et mon bas, comme pour vérifier l’exactitude de cette impression.

Je me hérissai de désir, de plaisir, mes jambes s’écartèrent sans que je puisse les en empêcher. Son visage simula l’indifférence, mais son sexe le trahit. Nous nous sourîmes, complices, mais faisant mine de rien, il poursuivit son monologue et je fis semblant d’en comprendre chaque mot.

Quand le bas de ma robe dévoila mes cuisses, j’arrêtai son geste, en le suppliant de ne faire aucune remarque sur ce qu’il allait voir pour la première fois. Je vis passer dans ses yeux une vague de surprise et de crainte mêlées, il glissa sa main sur mon pubis, entre mes cuisses, sourit, mi-soulagé, mi-amusé et continua à remonter ma robe. Il m’avoua, par la suite, avoir cru que je le prévenais de mon hermaphrodisme ou quelque chose de la sorte.

Quand ma blondeur resplendit à la lueur des lampes à pétrole, il eut un sourire charmant. Il pencha la tête sur le côté, pour mieux m’observer, comme un lapidaire, face à un diamant brut, pourrait se demander comment le tailler pour le mettre en valeur, sans nuire à sa perfection.

Mes jambes s’ouvrirent sous ce regard, au rythme de sa respiration. Ses doigts écartaient mes lèvres, entraient dans mon vagin. Comme je l’avais fait plus tôt, il voulait en ressentir chaque relief, il se murmura à lui-même cette exclamation ravie « Oh che bella fighetta! ». Je lui en demandai la signification, il ferma les yeux, rougit un peu, fit non de la tête.

Tu serais offensée, alors que c’est tout le contraire

Ses doigts me transformaient en marionnette, j’ondulais, je m’ouvrais comme mue par leur propre volonté et ces mots que je ne comprenais pas, tout en les ressentant balayaient toute crainte, toute pudeur. Ses yeux étincelaient de désir, de folie.

Tu aimes mes caresses, Rosalina ?

Je tombai immédiatement amoureuse de ce doux diminutif, il me fallut quelques instants avant de reprendre mes esprits.

Ne le sens-tu pas sous tes doigts ?

Comme ça ?

Ses doigts allaient et venaient en moi, me paralysant de plaisir.

Ou comme ça ?

Tout en continuant ses va-et-vient, de son autre main, il caressa, non pas mon petit bouton bandé, mais les petites lèvres autour, accompagnant ses caresses d’une pression croissante. J’étais muette de plaisir.

Muette et paralysée, mais quel plaisir doux et violent ! Il répondit pour moi.

Comme ça, alora !

Je me sentais jouir sous ses doigts, nos sourires se répondaient et nos regards… ! Nos regards ! Ce fut la première fois où j’eus cette impression étrange d’une telle communion entre nous que mes yeux devenaient d’un noir ardent et les siens d’un bleu étincelant.

Enfin, tel un enfant, qui après avoir attendu patiemment, se décide à déguster cette pâtisserie dont il avait tellement envie, Valentino se pencha vers mon sexe offert, avec une avidité non dissimulée.

Sa bouche, sa langue, la précision de ses baisers… un orgasme me transperça les reins comme un coup de poignard. Mes gémissements de plaisir s’échappèrent de sa bouche. Il lui fallut user de toute sa force pour m’empêcher de l’étrangler avec mes cuisses.

Ayant dégusté mon plaisir, Valentino releva la tête. Ses lèvres, sa moustache, sa barbe, son nez, même ses pommettes luisaient. Il le vit dans mes yeux et rit de notre bonheur simple, inattendu…

Je voudrais aller dans mon lit, mais je n’en ai pas la force…

Tu as sommeil ?

NON ! Mais mon lit est… ooohh Valentino… plus confortable…

Je vais te porter, alora, Rosalina…

Il me souleva du canapé, m’embrassa « Tu es plus légère qu’une plume, Rosalinetta ! » et sans que nous l’ayons décidé, nos sexes s’unirent. Nous en fûmes autant surpris l’un que l’autre. Valentino s’arrêta. Je sentais mon sexe palpiter autour de son gland. La position était assez inconfortable, mais pour rien au monde, nous aurions voulu en changer.

Il avança lentement, précautionneusement, par chance, mon entrée théâtrale m’avait empêchée de fermer la porte de ma chambre.

Quand il voulut me déposer sur mon lit, son sexe entra de tout son long dans le mien, son gland cogna le fond de mon vagin.

Oh !

Il me reprit dans ses bras, me fit coulisser le long de son membre et « HAN ! » m’empala. Une fois. Deux fois. Dix fois. Prenant un peu plus d’assurance à chaque fois.

Je me pâmais, comme en équilibre à l’exacte limite de l’orgasme. Je le suppliai

Encore !

Il ne m’écouta pas et m’allongea sur le lit. Son regard, son sourire avaient retrouvé toute leur assurance. Avec la certitude que nos corps, nos esprits parlaient la même langue, la sérénité pouvait enfin s’inviter dans la fougue de cette première étreinte. Je puisais dans son regard, la force et l’assurance, je me sentais rayonner.

J’attendis que son sexe soit presque hors du mien, de sentir le bourrelet à la base de son gland à l’entrée de mon vagin pour, d’un geste de la main, lui demander de cesser tout mouvement.

Regarde ! Regarde !

J’écartai mes lèvres du majeur et de l’index d’une main, tandis que de l’autre, je me caressai, impudique, livrée à sa curiosité. L’orgasme me souleva à demi, je lui criai mon plaisir, mes sentiments dans un mélange de patois, de français. Il me répondit en italien et en français, qu’il aimait ce que nous faisions et d’autres choses que je ne compris pas.

Tu aimes quand je jouis, Valentino ?

Il hocha la tête et, comme à regret, m’avoua

Mais j’ai peur de…

Tu as peur de ?

Jouir trop vite… tu comprends ?

La surprise me fit dire, sur le ton péremptoire d’un sermon

Mais, Valentino, un cazzo non è un fucile a un solo colpo !

Il éclata de rire et surpris me demanda si je parlais italien, je lui dis la vérité, je ne connaissais que cette phrase, mais elle me semblait correspondre à ce que je voulais exprimer.

Qui te l’a apprise ?

Toine la dit souvent dans ce genre de situation…

Je me demandai soudain, si j’en avais bien perçu la signification…

Toine ? Tu… avec Toine ?

Redoutant son jugement, mais n’ayant pas envie de lui mentir, je regardai Valentino droit dans les yeux.

Oui ! Nous sommes un couple à quatre… Nathalie et Toine, Nathalie et Pierrot, Pierrot et moi, moi et Toine, moi et Nathalie…

De plus en plus surpris, il me demanda

Et Toine et Pierrot ?

Ah non ! Enfin… je ne crois pas…

Il ne me jugea pas, au contraire, cette précision sembla le soulager tout à fait.

Alors, la phrase de Toine veut bien dire ce que je croyais ?

Il opina en souriant. Son sexe avait perdu de sa dureté, mais dès que je me redressai pour voler un baiser à Valentino, sa vigueur revint comme par magie.

Écarte tes lèvres, Rosalina…

Non ! Tes doigts sont plus…

Plus ?

Plus plaisants que les miens… ils m’excitent plus…

Oh Rosalina… !

Ses doigts écartèrent mes lèvres, d’une main je me caressai et de l’autre, je m’agrippai à ses reins…

Embrasse mes seins, Valentino… s’il te plaît… ils ont besoin de tes baisers…

Une longue plainte s’échappa de sa bouche, comme si ma supplique le libérait d’un désir inavoué. Ma voix me surprit quand je lui demandai s’il sentait qu’une vague de plaisir allait bientôt me submerger. Je jouis violemment, haletant comme une bête sauvage, sans pudeur, j’avais perdu tout contrôle, j’avais envie de le mordre, de l’embrasser, de le lécher, de le dévorer tout à la fois.

Rosalina… Rosalina…

Je sentais les soubresauts de son corps tandis que son plaisir explosait enfin. Je l’empêchai de sortir de mon sexe « Profite et laisse-moi profiter de ce moment, mon beau Valentino ». Il y consentit en m’inondant de mots tendres en italien.

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Nous ne dormîmes pas de la nuit, et je ne pus me résoudre à aller travailler le lendemain matin, j’avais l’impression que cette nuit de folie amoureuse et sexuelle était tatouée sur mon corps, sur mon visage.

Je n’avais pas tout à fait tort, parce que lorsque Toine « venu aux renseignements » nous trouva assis dans la cuisine devant un bol de café, il eut un sourire amusé, prit mon poignet entre ses mains, fit semblant d’y chercher un pouls, et d’un ton très sérieux annonça « Bon, le bon docteur Toine a trouvé la Rosalie bien fatiguée, un peu fiévreuse, sans doute un coup de froid, je lui conseille de garder la chambre pour la journée ». Il déposa un baiser amical sur mon front « Profite, Bouton d’Or », avant qu’il ne s’en aille, Valentino lui dit quelque chose en italien, ils éclatèrent de rire, et Toine, tout en ébouriffant mes cheveux fit semblant de me sermonner « Il ne faut pas toujours répéter ce que je dis, Bouton d’Or ! »

Valentino demanda pourquoi il m’appelait ainsi, et Toine lui répondit en italien quelque chose que je compris tout à fait. J’aimais leur façon de parler de se regarder, ils faisaient de moi leur égale, ce qui n’était pas fréquent en 1919. J’étais une femme, je couchais régulièrement avec l’un, je venais de le faire avec l’autre, ils le savaient, mais respectaient tout autant mon désir que la femme que j’étais.

Ce fut donc, notre volonté commune, à Valentino et à moi, de n’être que tous les deux quand nous faisions l’amour. Il n’a jamais revendiqué une quelconque exclusivité et réciproquement. En revanche, il n’avait aucune envie de me voir coucher avec un autre, une fois encore ce souhait était réciproque.

Nous avons vécu une belle et longue histoire d’amour, en parallèle avec celle que je vivais avec Pierrot, mais je n’ai jamais cherché ni à la cacher, ni à en minimiser l’importance. Pierrot l’a acceptée, comme j’ai pu accepter les belles histoires d’amour qu’il a vécues sans moi.

Après l’automne, après l’hiver, le printemps est arrivé…

 

 

 

Le cahier de Bonne-Maman — « L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’imagination »

J’avais ouvert ma « malle aux trésors » et nous en vidions le contenu en nous apostrophant joyeusement. Marie-Louise s’était montrée plus que généreuse en m’offrant toutes ces merveilles. Extirpant une drôle de veste, Toine me demanda « À ton avis, qui a joué le rôle du chasseur ? ». J’étais la seule, avec lui, à connaître les membres de cette famille, Pierrot et Nathalie attendaient ma réponse, mais j’avais beau me creuser la tête, je ne parvenais pas à imaginer un homme de cette maison bourgeoise acceptant d’endosser cet accoutrement.

Par jeu, Toine l’enfila, en l’ajustant, il eut un regard surpris, plongea la main dans une des poches, en sortit ce que je pris pour une page arrachée d’un livre.

Qui, parmi vous croit aux coïncidences ?

Nous nous interrogeâmes du regard. Personne. Un étrange sourire aux lèvres, il prit une intonation théâtrale pour déclamer, en tenant la feuille exagérément loin de son visage, le bras tendu devant lui, l’autre main, faisant des sortes de moulinets

Fées, répandez partout
La rosée sacrée des champs ;
Et bénissez chaque chambre,
En remplissant ce palais de la paix la plus douce

D’une petite voix un peu hésitante, Nathalie brisa le silence qui s’était abattu sur la maison

Des fois, j’y crois un peu… aux coïncidences… parce que des fois… je ne m’explique pas tout… mais comme tu n’y crois pas, alors je préfère ne pas y croire, mais…

Que me dis-tu là, Pitchounette ?

Comme tu n’y crois pas… que tu dois avoir raison…

Ayant retrouvé tout son sérieux, il la prit dans ses bras.

Mais que tu y croies ou que tu n’y croies pas, ça ne changera pas l’amour que je te porte, ma Pitchounette ! Comment puis-je défendre la liberté de penser si je t’impose la mienne ? !

Je ne sais pas… mais si tu n’y crois pas… tu es plus savant que moi… Mais des fois… tu vois, il y a des choses que je ne m’explique pas… alors, je me dis que c’est… le destin… ou… Comment tu dirais, toi, pour ces mots que tu as trouvé justement aujourd’hui ? Comment tu dirais ?

Je ne sais pas ! Une chance ! La chance de sentir, là… tout au fond de moi à quel point je t’aime ! La chance de tenter de te convaincre de ne pas renier celle que tu es pour me plaire, parce que tu me plais telle que tu es, Pitchounette… telle que tu es… C’est toi que j’aime, toi, Nathalie, la femme que tu es, je ne veux pas d’un tas de glaise que je modèlerais à ma guise… Je veux que tu… Oh… je t’aime, ma Nathalie, je t’aime !

Blottie dans les bras de Pierrot, je les regardais heureuse, émerveillée, chancelant de bonheur quand il me murmura dans un baiser sur ma nuque « Je t’aime tout autant qu’il l’aime, tu sais… »

Je ne saurais dire combien de temps a duré ce moment de bonheur serein, ce moment où tout avait été dit, ce soulagement, cet apaisement, peut-être n’a-t-il duré que quelques secondes, quelques minutes, peut-être plus. Nous étions silencieux, unis.

Et puis, la réalité, notre réalité est remontée à la surface. Toine s’est assis sur le canapé, a invité Pierrot à s’asseoir à ses côtés et a relu le quatrain.

Tu peux le redire encore, Toinou ? Je trouve ça très beau !

Oui, c’est vrai, c’est très beau ! C’est une pièce de théâtre, un opéra ou un poème ?

Toine retourna la feuille de papier

C’est tiré du « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare…

Puis voyant nos mines, il demanda

Vous ne connaissez pas Shakespeare ?

Il ne se moquait pas de nous, lui seul avait poursuivi ses études après le certificat d’études, Pierrot, Nathalie et moi étions des enfants de paysans, après l’école obligatoire, nous avions travaillé à la ferme. Il le savait et avait conscience de sa chance d’avoir pu aller au collège.

Roméo et Juliette… vous connaissez ? C’est de lui, c’est de Shakespeare…

Nous connaissions l’histoire, mais n’avions ni lu, ni vu la pièce.

Comment tu dis, Toine ? « Shakespeare » ? Je croyais que ça se disait…

Quelques semaines plus tôt, le père de Toine avait reçu une malle pleine de vieux livres. Ne sachant qu’en faire, il avait décidé d’en faire don à l’embryon de bibliothèque municipale qu’il avait créée. Il n’y avait pas de locaux à proprement parler, mais des étagères inutilisées dans la grande salle de la mairie. C’était là que trônaient fièrement la dizaine de romans de notre bibliothèque. Il m’avait demandé de ranger les livres de cette fameuse malle sur ces rayons et parmi eux, plusieurs pièces de théâtre de Shakespeare, dont « Roméo et Juliette ».

Tu croyais que ça se disait… ?

Je te préviens, si tu te moques de moi… je te préviens ! Si tu ris… gare à toi !

Promis !

Je croyais qu’on disait « Chat qu’espère »… t’avais promis, Toine ! T’avais promis…

Je ne me moque pas, mais… « Chat qu’espère »… c’est… tu sais c’est très poétique, Bouton d’Or…

Je faisais un peu la moue, vexée sans l’être tout à fait. Nathalie, solidaire, annonça.

Pour ta peine, on va t’attacher à une chaise et tu devras regarder tes trois couillons préférés se donner du plaisir… hein qu’on va faire ça ?

Pierrot, ravi de l’aubaine approuvait vigoureusement de la tête, tandis que Toine faisait semblant de ne pas être content de la tournure des événements.

Les cordes de chantier que nous possédions ne convenaient pas, mais Pierrot trouva de vieux bouts de ficelles dans une caisse à outils. Le temps de nous retourner, Toine était déjà nu !

Ho gari ! T’as pas l’air de redouter ta punition !

Attache-le donc à la chaise pendant que Nathalie et moi nous changeons… et mets cette tenue, nous revenons tout de suite !

Nathalie avait choisi cette robe de bergère d’opérette qui lui avait tant plu samedi soir, quant à moi, je décidai d’utiliser de nouveau la robe que je portais le matin même. J’aimais beaucoup ce sentiment de me sentir plus impudique habillée que nue. Sentiment tout à fait nouveau pour moi.

Nous allâmes mettre nos costumes dans la chambre qui donne sur le jardin. Que Nathalie était belle ainsi costumée ! Nous entendions leurs éclats de rire. Pierrot se plaignait d’avoir l’air couillon et Toine, au lieu de le rassurer, riait de plus belle en lui reprochant d’avoir trop serré les liens.

À mi-voix, nous mîmes au point notre première mise en scène, nous improvisant tour à tour costumières, accessoiristes, dialoguistes… C’est Nathalie qui eut l’idée de ceindre mon front d’une couronne de fleurs. De longues années passées à veiller sur des troupeaux nous avaient conféré habileté et rapidité dans cet art.

Afin de ne rien dévoiler de notre « plan secret », nous enjambâmes la fenêtre pour aller chercher de quoi la confectionner. Le temps de revenir dans la chambre, il ne restait déjà plus à Nathalie qu’à la nouer avant de la poser sur mes cheveux coiffés en un chignon très lâche, un chignon « à la sauvage » comme nous les nommâmes par la suite…

Nathalie, les joues rougies d’excitation, me précéda dans la salle à manger. J’entendis son rire surpris qu’elle avait du mal à contenir.

Hé, monsieur le chasseur ! Vous me voyez bien dans l’embarras… Je dois mener mon troup…

J’imaginai son air courroucé, les poings sur ses hanches quand elle s’interrompit pour tancer le Toine « Descessa de rire, Toinou ! »

… je dois mener mon troupeau et j’ai perdu ma badine… Ah… si seulement une bonne fée venait à passer par là…

J’improvisai un petit pas sauté, ouvrant les bras comme je l’avais vu faire une fois, dans mon enfance, quand j’avais assisté à un spectacle à Montchaton.

Ai-je bien entendu ? Une bergère m’aurait appelée à son secours ?

Bien que je l’aie toujours nié, je dois reconnaître que mon Pierrot était bien ridicule dans cette tenue de chasseur d’opérette, les bras ballants, la bouche grande ouverte et le regard ahuri, mais je n’en laissai rien paraître.

Mais, petite étourdie, qu’as-tu fait de ta badine ?

Je l’ai égarée, Madame la Fée… sauriez-vous la retrouver ?

Hélas… je ne le puis, mais si tu suis mon conseil, tu en feras apparaître une autre…

Je fis semblant de lui chuchoter un secret à l’oreille, tout en l’aidant à dénouer son corsage, sa poitrine en jaillit, conquérante. Faisant mine de vouloir la faire pigeonner, je la caressai, sachant l’effet que mes gestes produiraient sur Pierrot et aussi sur Toine.

Voilà qui est fait ! Que cette journée te soit douce, jolie bergère !

Nathalie fit semblant de chercher du regard…

Mais… bonne Fée… je ne la vois point !

Ouvre grands tes yeux, jolie bergère et regarde !

Déboutonnant Pierrot, lui arrachant presque ce pantalon ridicule, je désignai son sexe gonflé, tendu, dressé. Nathalie, jouant la surprise, s’approcha de lui, s’agenouilla, le caressa du bout des doigts, comme si elle le découvrait.

Mais quelle étrange badine… si douce… si chaude… comme vivante… je n’en ai point vu de semblable de toute ma vie ! Quelle étrange badine…

Jolie bergère, apprends qu’on l’on doit la nommer…

Je me retournai pour regarder Toine droit dans les yeux

… que l’on doit la nommer « verge »

Toine ne put empêcher ses joues de s’empourprer, mais se reprenant aussitôt, il m’adressa un clin d’œil complice.

Comment l’appelez-vous ? « Vierge » ?

Mais non ! « VERGE » ! Et regarde, jolie bergère, ces deux jolis fruits ne sont point des grelots, il faut les dorloter, les caresser, en prendre grand soin, sinon la verge se brisera.

Oh, ce serait tellement dommage…

Nous caressions le sexe de Pierrot, qui semblait paralysé de plaisir, prises nous-mêmes par ce jeu qui avait commencé comme une farce et qui nous tournait désormais la tête.

Oh ! Regardez, madame la Fée, la verge a du chagrin…

Le sexe de Pierrot commençait à perler, je notai les contractions de ses cuisses, je me demandai à quoi il se forçait à penser pour retenir l’éjaculation qui menaçait de mettre fin à cette saynète que nous jouions avec tant de plaisir.

Jolie bergère, elle n’a pas de chagrin, c’est sa façon de réclamer le baiser auquel elle a droit… regarde, il faut l’apaiser ainsi…

Du bout de mes lèvres, je frôlai le gland gonflé de désir, d’excitation. Nathalie me rejoignit dans ce baiser, nos langues jouaient ensemble dans des baisers sensuels. Pierrot, voulant repousser nos bouches pour ne pas jouir trop vite, fit voler ma couronne de fleurs qui atterrit sur les genoux de Toine. Son geste avait été trop brusque pour mon « chignon à la sauvage », en me relevant pour récupérer ma couronne, mes cheveux reprirent leur liberté. Faisant mine de remarquer la présence de Toine, je le houspillai.

Ce n’est pas amusant, monsieur le captif ! Cessez donc de rire !

Mais je ne ris pas, madame la Fée, je ne faisais que sourire…

Le traitant de menteur, je giflai ses cuisses de ma couronne qui se délita davantage à chaque coup porté. Les fleurs parsemaient le sol, ses cuisses, telle une furie, je me servis de mes cheveux pour le souffleter. Ses yeux me hurlaient son plaisir, sa respiration saccadée, tantôt profonde, tantôt haletante me criait son désir.

Viens par ici, jolie bergère, que je t’apprenne un nouveau mot.

Nathalie vint me rejoindre, je lui désignai le sexe de son Toinou, elle fit mine d’être surprise, un peu effarouchée par sa taille, je l’invitai à le toucher, à en éprouver la dureté en serrant sa main autour.

Vois-tu, quand une badine a cette apparence, on ne la nomme ni « badine », ni « verge », mais on l’appelle « houssine » et ne va pas t’en servir pour mener ton troupeau, elle est bien trop dure et bien trop effrayante pour de craintives brebis…

Mais que fait-on quand on la rencontre ?

On la masque à la vue du troupeau !

Et je m’empalai d’un coup sec. Toine ne put contenir un cri de surprise agrémentée de plaisir. Je fis quelques mouvements, sous les commentaires de Nathalie, quand Pierrot se rappela à notre bon souvenir « Je croyais que nous devions le punir… », j’échangeai un sourire complice avec Nathalie et semblant reprendre mes esprits comme on sort d’un songe, je me levai brusquement « Mais où avais-je la tête ? Tu as raison, Pierrot, laissons le moqueur à sa moquerie ! » et nous le rejoignîmes.

Allongé sur le sol, sa verge enfoncée en elle, les mains comblées de Pierrot caressaient les seins de Nathalie. Pour que la punition soit totale, j’entrouvris les pans de ma tenue de fée, dévoilant la blondeur de ma toison au regard de Toine, qui ne pouvait ni la toucher, ni l’embrasser. Entravé comme il l’était, il ne pouvait pas se caresser, il se plaignit maintes fois que son érection était douloureuse, mais nous restâmes sourds à ses supplications tant que nous n’eûmes pas joui les uns des autres.

Alors, nous consentîmes à le libérer, il me pénétra comme j’aimais tant qu’il le fasse « un coup pour la fée » il sortit aussitôt, attrapa Nathalie, la pénétra à son tour « un coup pour la bergère », avant de recommencer « un coup pour la fée ». Nous gémissions, nous criions de plaisir, il recouvrait le corps de Nathalie de mes longs cheveux quand le clocher de l’église sonna la fin de la récréation. Il était convenu que Nathalie rentrât chez elle après les vêpres, c’était l’unique condition pour qu’elle puisse passer le dimanche avec nous… et manquer les offices.

Ce dimanche-là, comme cela arrivait de plus en plus souvent, Pierrot passa la nuit avec moi, nous riions encore, ivres du bonheur de cette journée, quand le sommeil nous prit.

Le lendemain, sur la table qui me servait de bureau, je trouvai un recueil de pièces de Shakespeare. Toine était allé à la mairie, à tout hasard et y avait trouvé cet exemplaire. En guise de marque-page, une carte sur laquelle il avait dessiné une bergère pensive, qui ressemblait fort à Nathalie, sous son dessin, pour toute légende « Il y a des choses que je ne m’explique pas ». Je souriais et en tournant la carte, cet autre dessin sans aucune légende, puisqu’elle eut été inutile, un petit chat songeur, qui semblait attendre on ne sait quoi.

De cette première lecture, que je fis dès le mardi soir, je me souviens avoir noté dans mon journal intime, cette citation qui nous ressemblait tant « Les amoureux et les fous ont des cerveaux bouillants, et l’imagination si fertile qu’ils perçoivent ce que la froide raison ne pourra jamais comprendre. »

Décembre 1919, Rosalie retourne chez Marie-Louise et la journée se terminera sur la plus belle des perspectives. (Si ça ne vous donne pas envie de cliquer sur le lien, c’est à désespérer de tout ! ;-)  )

Même si elle ne fut pas académique, telle fut notre initiation à l’art théâtral