Les confession motorisées – Le petit tracas de Vincent

Une fourgonnette hors d’âge fait une entrée fracassante dans la cour du mas, faisant sursauter Odette et Mireille qui se prélassaient dans le patio. Les portières claquent. Des éclats de voix leur parviennent aux oreilles. Enfin, la sentence tombe, comme un couperet.

– Si je te dis pas que c’était mieux comme on faisait quand j’avais ton âge, si je t’engueule pas un peu, à quoi ça sert que je sois ton papé ?!

De sa main posée sur le genou d’Odette, Mireille prend congé de son amie et se précipite à la rencontre du petit groupe qui vient d’arriver.

– Vincent ! Tu vois dans quel état d’énervement tu mets ton papé ?! Regarde-le, au bord de l’apoplexie ! Que je vais devoir lui faire descendre la tension… Viens ici, mon Marcel, laisse le gamin faire à sa façon, il aura bien le temps de comprendre son erreur et de venir te demander pardon à genoux.

Mireille fait un clin d’œil appuyé à son petit-fils afin qu’il ne soit pas tenté de reprendre la discussion houleuse qui l’opposait à Marcel. Jim, le troisième homme du groupe, dit au revoir à Vincent tout en jetant un regard désespéré, quoique légèrement surjoué, à Mireille.

– De les voir se fâcher, ça me peine tellement… Je me dis que c’est ma faute, que j’aurais dû rentrer en Australie plutôt que de vous causer de la peine ici…

– Mais c’est pas ta faute, coumpan !

– Mai vé ta douce Mireille… A lei roitas ! Vé, rogís de la colèra ! Couquin de sort, mon cœur saigne tant j’ai vergougno de far tirar soucit…

Si Odette sourit du parler de Jim, mélange approximatif de français et de provençal, Mireille prend son propos très au sérieux.

– Ne prononce jamais plus de tels mots, Jim ! Si je suis rouge, c’est que je deviens l’auto des pompiers. C’est comme ça qu’il faut le comprendre ! Té, venez tous les deux, allons à l’infirmerie que je vous soigne le cœur à vous deux en même temps…

– À l’infirmerie ?!

Mireille indique la direction de sa chambre. Ils la suivent en se donnant de complices bourrades. Ils croisent Daniel qui observait la scène de loin.

– Mon épouse chérie, n’y vois aucune pointe d’ingérence, mais je me dois de vous accompagner pour vérifier que tu respectes à la lettre le protocole requis et pour ce faire, je me dois d’apporter un regard extérieur ce qui, en outre, me permettra d’estimer l’efficacité des soins que tu vas leur prodiguer.

Marcel tente bien de prendre sa grosse voix pour réprimander Vincent, mais il ne parvient pas à effacer les étincelles de lubricité de son regard.

– T’es content de toi ?! Vé les difficultés que tu nous causerais pas si tu faisais ce que je te dis sans me faire la contrariété !

Vincent lève les yeux au ciel. Il salue Odette d’un geste de la main et refuse le verre de boisson fraîche qu’elle lui proposait de prendre. Désormais seul dans la cour, il ouvre la portière de la fourgonnette, s’installe au volant. Redescend de la fourgonnette, en claque la portière. Furieux.

– Put… ils sont partis avec les clés ! Je rentre comment, moi ?!

– Tu veux que je te dépose quelque part, jeune homme ?

– Je dis pas non, Odette…

Après avoir finalement bu deux grands verres de citronnade, Vincent monte aux côtés d’Odette.

– Je m’en veux, si tu savais comme je m’en veux. Quand il se met dans de tels états, j’en suis malade… J’ai tellement peur qu’il s’en aille sur une engueulade… Je ne sais pas ce qui lui a pris… d’habitude, il est plutôt d’accord avec moi, mais… des fois… sans aucune raison… je ne sais même pas pourquoi, il…

– Vous ne vous engueulez pas tout le temps, alors ?

– Non ! Jamais ! Presque jamais.

– Et ses colères, elles débutent à quelle occasion ?

– Je ne vois pas ce que tu veux dire…

– À tout hasard, ses colères ne débuteraient-elles pas à chaque fois que tu les déposes, lui et Jim, au mas ?

Les rouages neuronaux de Vincent s’activent si fort, qu’Odette peut les voir en action. Avant que les mots du jeune homme ne franchissent ses lèvres, Blanche-Minette lui tapote gentiment le genou.

– Ne te méprends pas, ce n’est en aucun cas de la fourberie, vois-y plutôt de l’espérience… de l’espérience née d’une longue, longue vie consacrée aux espériences ès-scientifiques.

Vincent se détend enfin. Il sourit.

– Si tu as envie de te confesser, c’est le moment.

– Je n’ai rien à confesser, mais est-ce que je peux te faire part d’un petit tracas qui me… tracasse ?

– Je suis toute ouïe.

Vincent est heureux dans ce qu’il vit. Il aime cette liberté sexuelle qui lui permet de baiser sans que ça ne devienne ni grave, ni contraignant, tout en sachant qu’il ne fait de la peine ni à Manon, ni à Émilie. Il aime la relation particulière et singulière qu’il entretient désormais avec Pauline. Il en remercie grandement Odette. Il se pose néanmoins une question, qui n’est ni un dilemme, ni une faute, mais plutôt, comme il l’a expliqué en préambule, un petit tracas.

Depuis l’accident d’Enzo, ses deux bras plâtrés, leur amitié a pris un tournant que nous qualifierons de plus viril. Tout a commencé comme un jeu. Le lendemain du départ de Lucas et Émilie, installé dans le cabinet de la curiosité, il regardait Enzo faire l’amour à Pauline, Manon a chuchoté quelques mots à l’oreille de celle-ci, qui est devenue toute rouge de désir, vraiment rouge, « du nombril à la pointe des cheveux ».

Alors, Manon a demandé à Enzo de sortir de la pièce, de rejoindre Vincent. Elle a éteint la lumière, celle du jour qui traversait les persiennes créait une sorte de pénombre. En plissant fort les yeux, lui et Enzo pouvaient deviner ce qu’elles se faisaient, sans en être vraiment certains. Enzo s’est plaint de ne pas pouvoir se branler alors qu’il bandait si fort que ça en devenait douloureux.

– Tu ne voudrais pas me branler un peu ? Entre amis. Entre confrères. Une branlette thérapeutique en quelque sorte ?

– Quoi ?! Que je te branle ?

– Après, tu pourras me demander tout ce que tu voudras, mais je t’en supplie, là, c’est à hurler de douleur.

– Ça ne sera pas après, mais avant. Je veux bien te branler à condition que tu me suces avant. Que tu me suces exactement comme Pauline te suce.

Le souvenir de cette thérapeutique a été si mémorable, si agréable qu’ils se rejouent la scène, dès que l’occasion se présente. Le plus souvent en matant leurs vidéos. Enzo raffole de celles avec Émilie, Vincent de celles avec Pauline.

Dans quelques jours, Enzo sera déplâtré, Vincent voudrait que leurs séances intimes et secrètes continuent, mais il ne sait pas si c’est réciproque. Il n’est pas amoureux d’Enzo, il ne le désire pas non plus, mais il adore le branler après s’être fait sucer par lui en regardant Pauline sucer leurs amis.

– J’ai bien écouté l’exposé de ton problème, il me semble que le plus simple serait d’en parler avec lui. Tu crois pas ?

– J’y ai bien pensé, mais… je ne veux pas qu’il croie que j’ai tourné gay, ou bi… Parce que c’est pas le cas. Je t’assure, en dehors de ces “séances”, je n’ai pas de désir pour lui. Quand on est avec les filles, je ne me dis pas que je voudrais le branler, que je voudrais qu’il me suce. Non. Jamais. C’est juste que ça nous prend, comme ça, quand on est tous les deux et qu’il se plaint de bander si dur que ça lui fait mal. Et même à ce moment-là, c’est pas du désir. Juste je kiffe sentir sa queue dans ma main et la mienne dans sa bouche.

– Tu kiffes profiter du moment, c’est ça ?

– Oui.

– Alors, profite et laisse le temps faire son œuvre, tu verras bien comment les choses vont tourner. Et si la manière dont elles tournent te cause à nouveau du tracas, tu sauras toujours où me trouver.

Sur ces paroles pleines de sagesse, et aussi parce qu’ils sont arrivés chez lui, Odette dit au revoir à Vincent.