Le cahier à fermoir – Bonus

Martial et Odette ont reçu un petit paquet qui leur était expressément adressé. Il contenait deux cahiers reliés par un ruban et accompagnés d’une lettre signée de Lucas et d’Émilie.

Avranches, le 27 mars 2020

Pour supporter le confinement et puisqu’on en avait l’autorisation, on a fait quelques aménagements dans la maison de pépé et mémé Touré. On a eu quelques frayeurs (on ne vous en dira pas plus), mais surtout on a fait cette découverte. Quand on a lu ces deux cahiers écrits par mémé, on a été choqués de la découvrir comme ça, gamine, plus jeune que nous.

Dans le petit carnet rouge, il y a une lettre de Louise à ses parents, vous pouvez la lire avant le carnet, mais celles qui sont dans le cahier à fermoir ne doivent l’être qu’après avoir lu les pages entre lesquelles elles sont glissées. Le cahier à fermoir est la suite du petit carnet rouge.

Lucas trouve logique que ce soit Martial qui les lise en premier parce qu’il est l’aîné, Émilie pense que ce devrait être Odette parce que c’est le journal intime d’une jeune fille. Manon, Pauline, Enzo et Vincent nous répondent que la seule façon qui vaille c’est de les lire ensemble. Ils ont évidemment raison !

On se demande si vous avez connu madame Mougin, Eugénie, Marcelle, Henriette, Maurice, Xav’, monsieur Dubois, le docteur Meunier et les autres.

Bonne lecture et dites-nous tout !

À bientôt, des bises (Lucas) – With love XXX (Émilie)

Respects confraternels (Manon) – Respects fraternels tout court (Enzo) – Bah… respects tout cons, puisqu’il ne me reste que ça (Vincent) – Respects (Pauline)

– Allo Émilie ? C’est quoi ces petites frayeurs que vous évoquez si brièvement dans votre lettre ?

– Vous avez bien reçu le paquet, alors ? Trop cool !

– Ne botte pas en touche, c’est quoi ces petites frayeurs ?!

– Tu es toute seule ou est-ce que Martial est à tes côtés ?

– On est tous là, ou presque ! C’est quoi ces petites frayeurs ?!

– Attends, j’appelle Lucas et les autres, t’as mis le haut parleur ?

– Mais bordel de dieu, tu vas me répondre à la fin ?! C’est quoi ces petites frayeurs ?!

– Je vous l’avais bien dit qu’Odette risquait de rouspéter !

– Rouspéter ? C’est Manon qui parle de rouspéter ?!

– Oui, c’est moi… je dis « rouspéter » pour être sûre que tu comprennes…

– Et tu te fous de moi, en plus !

– Comme ça, je rassure tout le monde, tu es en bonne santé, c’est le principal ça, d’avoir la santé…

– Manon, c’est moi, Jimmy, allez-y doucement quand même, Odette est sur le point d’exploser !

– Je veux bien vous expliquer, mais promets-moi de ne pas me crier dessus, mémé Dédette !

– Si tu l’appelles encore une fois « mémé Dédette », c’est à moi que tu vas avoir affaire !

– Et à moi, vous allez me les raconter ces petites frayeurs ? Vous connaissez ma placidité légendaire et il me semble que je suis au moins autant concerné que ma chère sœur, non ?

– Avant de nous crier dessus, pensez à cette expression « un mal pour un bien » et gardez-la en tête, parce que…

– Tant de précautions oratoires, je crains le pire… Allez-y, nous sommes toute ouïe !

– On avait décidé de faire une partie de cache-cache pour passer le temps. On courait comme… un peu comme des fous et je ne sais pas comment, une porte a claqué.

– Fort. La porte a claqué vraiment fort. Sois précise, Émilie, sinon ils vont rien comprendre.

– T’as raison, Lucas, prends-nous pour des cons… Ah, il est bien votre petit-fils !

– Si je me permets cette précision, c’est qu’elle est d’importance, Odette. Le bruit était si fort qu’on aurait pu croire à une explosion ! Et pis, on a entendu un boum-blang vraiment impressionnant…

– C’est vrai, le bruit était fracassant, bref, mais fracassant. On s’est demandé d’où il venait. Enzo et Pauline étaient cachés dans la chambre de mémé et pépé Touré, ils ont poussé un cri… « Merde ! Le cadre ! »

– Quoi ?!?! Vous avez pété le cadre avec leur belle photo ?! Dites-moi que ce n’est pas vrai ! Pas le cadre !

– N’oublie pas, Odette, « un mal pour un bien » !

– Attends un peu, Émilie, ta grand-mère est au bord du malaise, laisse-moi lui prodiguer les premiers soins… Mais non, je ne cherche pas à profiter de la situation, n’est-ce pas ma princesse que mon massage te fait du bien ? Ah ! Vous voyez !

– Bon quand t’auras fini de tripoter ma mémé, on pourra reprendre le récit ?

– Jimmy ne me tripotait pas, il me ranimait avant que je fasse un malaise ! Un mal pour un bien, tu disais… ?

– Déjà, soyez rassurés, la photo est intacte. On a tous rappliqué dans la chambre, le cadre avait comme glissé le long du mur et il était fiché dans le parquet. La vitre était fendue, mais pas brisée. On a hésité pendant quelques jours, on n’osait pas trop y toucher pour ne pas aggraver la situation. On vous a envoyé la lettre et les cahiers. C’est seulement après qu’on s’est décidés à y regarder de plus près.

– Braves petits !

– La ramène pas, Mireille, la ramène pas !

– Je peux continuer ou vous préférez tchatcher entre vous ? Bon. Alors, on a bien fait attention pour soulever le cadre, comme vous le savez, il était vachement lourd et on ne voulait pas l’abîmer et surtout prendre le risque d’abîmer la photo…

– Émilie a oublié de vous préciser que le bas du cadre était désolidarisé du reste. On l’a soulevé très très très délicatement en faisant attention à ce que la vitre ne se casse pas complètement. Alors, une carte postale a glissé au sol, puis une autre.

– Sauf que ce n’étaient pas des cartes postales, mais des photos ! C’est pour ça que Lucas a parlé d’un mal pour un bien ! Alors, on a posé le tout sur le lit et on a décidé de démonter le cadre… Fichu pour fichu…

– Fichu pour fichu ?!

– Nan, pas fichu pour fichu comme tu pourrais croire, mais plutôt puisque de toute façon, il faudra changer la vitre et remonter le cadre, autant voir s’il n’y avait pas d’autres photos derrière.

– Et il y en avait ! En tout, le cadre cachait quatre photos format carte postale et une autre de la même taille que celle qu’vous connaissez…

– Pourquoi vous rigolez ?

– Attendez, on vous les envoie sur le téléphone de Jimmy… pourquoi Jimmy ? Bah, parce que c’est l’historien du groupe, non ?

Exclamations du côté de la Provence.

– Tu vois, Louise et Jean-Baptiste y avaient aussi pensé à la suite de la citation de Saint-Ex « l’amour ce n’est pas se regarder l’un l’autre, mais regarder ensemble dans la même direction », ça nous a fait tout drôle de voir la photo avec la légende « la levrette aussi ! ». En plus, elle est super réussie, la photo !

– Une levrette exécutée avec art et dans toute sa splendeur !

– N’est-ce pas, Jean-Luc ?

– On reconnaît les esthètes en la matière !

– Ça nous a fait rigoler parce qu’on a pensé à Odette qui avait fait cette remarque à Jimmy sans s’imaginer que ses parents avaient eu la même idée !

– Qui ne l’aurait pas eue ?

– Vous avez aussi regardé les autres ? Jean-Baptiste et Louise enceinte, nus et de profil… La première photo de famille entourés de leurs amis, avec Martial dans les bras de Louise… La troisième Louise enceinte et Jean-Baptiste nus et de profil. On pense que c’est quand elle était enceinte d’Odette parce qu’ils paraissent plus vieux et moins maigres que sur la première. Et la quatrième… vous reconnaissez les personnes ?

– Oui ! Je suis dans les bras de maman, Martial sur les genoux de tatie Zazie, derrière, il y a papa, et dans l’ordre Marcelle, à côté de Xavier ? Je ne suis pas sûre, mais ça ne peut être que lui, Henriette, Maurice, la petite Marcelle, pépé Léon, Marie-Jeanne et Phil.

– C’est qui tatie Zazie ? Et Phil ? Louise n’en parle pas dans ses cahiers.

– Quand on a commencé à lire le petit cahier rouge, Madame Mougin ne nous disait rien, pas plus au début du cahier à fermoir, jusqu’à la lecture du 27 août 45. Parce que tatie Zazie, oui ! On la connaissait ! Elle venait nous garder les jeudis aussi quand on était malade et qu’on ne pouvait pas aller à l’école et aussi quand papa et maman sortaient le soir. Elle n’était absolument pas sévère, au contraire, elle était très tendre !

– Et très bonne pâtissière !

– Après, Martial vous expliquera que cette réputation de gros gourmand qu’il traîne n’est que pure calomnie ! Toi, tu penses à tatie Zazie et tout de suite, tu parles pâtisserie !

– Ne me dis pas que tu as oublié son fameux « Téméraire » qu’on dégustait chaque jeudi « en attendant les congés de la Toussaint » comme elle disait !

– Martial avait droit à une grosse part parce que « les garçons doivent savoir se montrer téméraires »

– Allez, fais semblant d’oublier que tu avais toi aussi droit à une grosse part parce que « il n’y a pas de raison pour qu’une fille soit moins téméraire qu’un garçon ! ». Elle nous faisait beaucoup rire. Rien à voir, mais alors rien du tout avec l’affreuse mère Mougin du carnet rouge !

– C’est quoi « le Téméraire » ?

– Moi, je sais ! Mémé Dé… Odette en préparait pour le goûter, mais je ne connais pas la recette exacte.

– C’est super facile, en fait, c’est un gâteau à base de pommes, de raisins secs et de noisettes, je vous enverrai la recette. Martial est parti dans ses souvenirs d’enfance, il salive rien qu’à y penser !

– Et tu te souviens des cuisses de bonne femme ?! Putain, c’que c’était bon ça aussi… !

– Ben tiens, tu fais bien d’en parler ! Les cuisses de bonne femme, une pâtisserie tout en légèreté et en diététique, après on se demande pourquoi t’as toujours été rondouillard !

– Tu ne les aimais pas, toi, les cuisses de bonne femme ?

– Si… oui… oui… je les aimais… quand tu ne les avais pas toutes bouffées avant ! Au moins, pour le Téméraire, t’étais obligé d’attendre que tatie nous coupe des parts, tu pouvais pas t’en goinfrer en loucedé et prétexter que tu croyais que c’était ta part !

– Qu’est-ce que vous avez pas fait là, les mômes ! En leur demandant qui était tatie Zazie, vous avez réveillé de vieilles querelles, ça vire au règlement de compte !

– Si c’était si grave que ça, tu ne rigolerais pas autant, Jean-Luc ! Et les autres ? Vous vous en souveniez ?

– Je dois admettre que dans la série « un mal pour un bien », votre bêtise nous a permis de résoudre une vieille énigme qui nous a tracassés longtemps, celle de « l’inconnu du métro » ! Déjà en lisant le deuxième cahier, on s’en doutait un peu, mais maintenant qu’on a vu les photos, le mystère est résolu ! Peu de temps avant qu’il ne parte en coopération, Martial et moi étions dans le métro, il nous avait semblé qu’un homme se frottait contre les fesses de Marcelle qui ne remarquait rien. Les yeux dans le vague, elle semblait dormir debout. Elle ne nous avait pas vus. Pendant sa coopération, j’ai écrit à Martial que j’avais vu le même homme se frotter contre Marcelle, trois fois dans le métro, une fois dans le bus. À chaque fois, je m’étais arrangée pour ne pas être vue. Il faut dire que quand Marcelle venait à la maison, elle était toujours seule. Nous nous l’étions imaginée vieille fille, maintenant nous savons que cet inconnu du métro c’était Xavier. Marcelle parlait comme ça, avec une voix cristalline qui jurait avec son fort accent parisien.

– Quant aux autres… Henriette et Maurice avaient quatre enfants, mais comme on n’avait pas d’atomes crochus avec eux, on ne peut pas vous dire s’ils avaient été adoptés ou s’ils étaient leurs enfants biologiques.

– Je peux ajouter que Marcelle, Henriette et Maurice venaient régulièrement passer quelques jours à Avranches. On se souvient très bien de la petite Marcelle qui était comme notre cousine, de sa mère, Marie-Jeanne et de Phil, son mari. Mais on ne sait pas si Phil était le géniteur de la petite Marcelle ou s’il était uniquement son beau-père. On ne s’est jamais posé la question.

– Et la petite Eugénie ?

– On l’a peut-être connue, mais on n’en est pas certains.

– En revanche, on se rappelle très bien du docteur Meunier et de monsieur Dubois, qu’on appelait pépé Léon, ils sont morts à quelques semaines d’intervalle en novembre 1968. C’est après leur décès que papa et maman se sont décidés à partir s’installer à Avranches.

– Ce que Martial et Odette ne vous disent pas, c’est leur sidération en apprenant l’existence d’Albert et Albertine ! Vous auriez vu leur tête en apprenant le baptême… !

Éclat de rire presque général

– Tu vois, mon frère, on n’est jamais tant trahis que par ceux qu’on aime… et comment je fais pour lui en vouloir à cet idiot de Jimmy quand il sourit comme ça ? Tu peux me le dire ?

4 commentaires sur “Le cahier à fermoir – Bonus

  1. Oh yeah !

    Juste quelque chose qui me semble erroné : la citation, elle est de Saint-Ex, pas de Camus.

    Bonne poursuite d’écriture. Je t’embrasse.

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